Pirates !

Les pirates de notre imaginaire sont cruels, ivrognes, souvent vêtus de noir, portent de longs sabres recourbés, arborent fièrement un drapeau à tête de mort… bref, de sinistres personnages. Pourtant, les enfants, et même ces grands enfants que sont les joueurs, les aiment bien.
On peut trouver plein d’explications à cela. Bandeau sur l’œil, capitaines unijambistes, singes et perroquets, tout cela illustre le fait que le monde de la piraterie n’est pas perçu comme un univers historique mais comme un monde imaginaire et exotique, plus proche du médiéval fantastique ou de la science fiction que du XVIIème siècle. Que l’île de la Tortue soit bien réelle, que Francis Drake l’ait été, cela n’est que très marginal dans un passé qui échappe suffisamment aux historiens pour que l’imagination s’y donne libre cours. Elle le fait sans trop en rajouter dans la violence, et en faisant des équipages pirates les porte parole assez décalés de préoccupation contemporaines. Les pirates de nos jeux sont en effet ceux des films – ce sont des brutes, violents, ivrognes et machos, qui cachent parfois un cœur d’or, et leurs équipages sont « multiculturels », mixtes et fraternels. Les capitaines pirates sont des entrepreneurs sans scrupules motivés uniquement par l’appât du gain et le goût du sang, mais les frères de la côte sont une utopie socialiste qui aurait inventé la sécurité sociale. Chacun y trouve donc son compte, et les illustrateurs aussi s’en donnent à cœur joie avec les gueules cassées, les longues barbes, les ponts de navires, les perroquets et les singes.

Bref, la mer, le soleil, la baston, des visages virils découpés au sabre et hâlés au soleil – le thème idéal pour un film d’aventure, une bande dessinée ou un jeu. J’ajoute que, pour des raisons que j’ignore, la violence y est mise particulièrement à distance, comme le montre le fait que les parents qui n’aiment guère voir leurs enfants jouer aux petits soldats ne s’inquiètent aucunement de les voir se déguiser en pirates.

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La Fièvre de l’Or, jeu d’enchères conçu avec Bruno Cathala et originellement paru en 2004 est épuisé depuis longtemps. Il y a quelques années, un éditeur polonais, Egmont, en a publié une nouvelle version… sur le thème des pirates. J’avoue avoir été d’abord sceptique sur ce changement de thème, mais à l’usage il s’avère que le nouvel univers convient tout aussi bien au jeu, et que les illustrations de Maciej Szymanowicz sont absolument superbes. Le succès de l’édition polonais a attiré la curiosité de quelques éditeurs français, et elle devrait donc d’ici quelques mois arriver en France, publiée par Bombyx.

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Un peu avant sans doute arrivera Black Fleet, de Sebastian Bleasdale, publié par mes amis les Space Cowboys. Black Fleet est un jeu au feeling un peu retro, où l’on déplace ses galions et ses frégates sur une carte, allant d’île en île et attaquant à l’occasion les navires adverses. A la fois très tactique, du fait des déplacements sur la carte, et un peu imprévisible du fait des nombreuses cartes spéciales dont peuvent bénéficier les joueurs, Black Fleet est un jeu familial, léger, dynamique auquel je prédis un grand succès, un jeu de pirates à l’ancienne mais modernisé, dynamisé, accéléré.

Mais si j’ai eu envie de parler de jeux de pirates, c’est surtout parce que, hier soir, avec quelques amis, nous avon consacré une soirée entière aux jeux de pirates, et j’y ai découvert pas moins de trois excellents jeux.

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L’idée de départ était de jouer à Francis Drake, un jeu de Peter Hawes publié par Eagle Games. Ce jeu avait remporté un grand succès à mes dernières rencontres ludopathiques. Il a fallu trouver quatre joueurs encore capables s’asseoir autour d’une table pour un jeu de plusieurs heures avec quelques dizaines de pages de règles, mais je n’ai pas regretté l’expérience. Francis Drake, c’est deux jeux en un. Les joueurs préparent d’abord leur expédition, recrutent leur équipage, arment leur navire, cherchent des informations –  c’est du « placement d’ouvrier » dans une rue où l’on ne peut pas reculer et dont l’ordre des boutiques change à chaque tour, ce qui permet des configurations très différentes. Ensuite, ils partent en expédition dans les Caraïbes, essayant de profiter des meilleures occasions, d’attaquer les forts et les galions espagnols devant lesquels les autres pirates ne sont pas passés d’abord – et il y a là un peu de bluff assez amusant. Donc, quelque chose de beaucoup moins classique, de beaucoup moins abordable et de beaucoup moins « baston » que Black Fleet, mais un jeu d’une grande richesse dont je sais qu’il ressortira.

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Comme il nous restait du temps, nous avons aussi essayé deux petits jeux de cartes de pirates, bien plus modestes et tous deux très intéressants.
Port Royal est un jeu à l’allemande, un de ces nombreux jeux de pioche de cartes basés sur un mécanisme de « stop ou encore » (en bon français on devrait dire « quitte ou double », mais plus personne ne comprend). Comme dans la première phase des tours de Francis Drake, les joueurs sont des capitaines pirates qui dans les rues non plus de Plymouth mais de Port Royal cherchent à recruter leur équipage.  À partir d’un mécanisme déjà utilisé cent fois – à votre tour, vous piochez aussi longtemps que vous voulez, mais si vous piochez un deuxième navire de la même couleur, vous perdez tout – Alexander Pfister est parvenu à concevoir un jeu bien plus subtil qu’il n’y parait, où il nous manque toujours une pièce d’or, où l’on veut toujours piocher une carte de plus. Rien de très original, donc, mais un petit chef d’œuvre quand même.

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Pour terminer la soirée, nous avons joué à Dread Curse, de Stuart Sirk, un jeu de cartes acheté un peu par hasard. Ici, les joueurs sont membres d’un même équipage et, avec le sens de la camaraderie bien connu des frères de la côte, cherchent à s’embrouiller l’un l’autre, se voler des pièces d’or et se refiler la maudite tâche noire. J’ai beaucoup aimé, mais préfère vous mettre en garde – ce jeu n’est pas pour tout le monde. Si vous êtes de ceux qui reprochent parfois à mes jeux d’être chaotiques et incontrôlables, n’essayez surtout pas Dread Curse. Entre les effets des personnages, assez violents, et ceux des cartes, parfois monstrueux, ce jeu part dans tous les sens, va très vite, et les rebondissements sont incessants. On a vraiment beaucoup ri à ce qui ressemble à un croisement de Fluxxx et de Citadelles, mais je pense que nous aurions été nerveusement épuisés si nous avions voulu en faire plus d’une partie.

Voici donc trois excellents jeux de pirates, dans des styles très différents, du petit jeu délirant, Dread Curse, au monstre qu’est Francis Drake, en passant par un jeu à l’allemande de facture très classique, Port Royal. Et deux autres qui arrivent bientôt, Piraci et Black Fleet. Je ne souhaite qu’une chose, que les pirates reprennent dans le monde ludique la place que les sinistres zombies leur ont indument volé depuis quelques années.

Pirates are ferocious, drunk, dressed in black, carry long curved swords and sport a sinister black flag dispalying skull and bones. Not really nice fellows, but children like them, as do gamers, who often are old children.   .
One can find many explanations. One-legged captains, eye-patches, monkeys and parrots, all these icons show that the pirate’s world is not perceived as historical but as exotic fantasy, more similar in a way to medieval heroic fantasy or to science fiction than to historical XVIIIth century. Even though Turtle island is real, though Francis Drake was a historical figure, the pirates world is not known to us through historians but through novelists, and imagination can get loose about it. It does, without adding much violence, and pirate crews become surprising spokesperson about. The boardgame pirates are the as the videogames or movies ones. They are violent and brutish drunks, but they are kind hearted, their crews are mixed, « multicultural » and fraternal. They are the best and the worst possible people. Pirate captains are the epitome of private entrepreneurs, driven by the lure of profit and a taste for blood, but the brotherhood of the coast is a socialist utopia which invented the welfare state. Pirates suit all tastes, and Illustrators also have great times drawing scarred and bearded faces, old ships, parrots and monkeys.
Sea, sun, brawls and fights, tanned and virile faces – the best possible setting for an adventure movie, comics or game.  Also, and I don’t know the reason why, the obvious violence is neutralized, kept at a distance. Concerned parents who don’t like to see their children play war never have a problem with pirates outfits….


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Boomtown, an auction game I designed with Bruno Cathala, was published in 2004 and is long out of print in the US. A few years ago, a Polish publisher, Egmont, decided to retime it as pirate game. I was skeptical, but I l must admit the new settings fits as well as the old one, and Maciej Szymanowicz graphics are absolutely gorgeous. The Polish version was a hit, and it caught some interest from the French publisher Bombyx. A french version of the Polish version will soon be published in France, and may be later in the US.

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Sebastian Bleasdale’s Black Fleet, published by my friends at Space Cowboys, will probably be there first. Black Fleet has a retro look and feel. Players move their galleons from island to island, trade various resources and occasionally attack one another. Movement on the map is very tactical, but there’s also much luck with the many action cards in the players’ hands. Black Fleet is a light and dynamic board game. It has a very classical feel, but it’s much faster paced, more fun, less pedestrian than games from the eighties. I’m confident it will be a hit.

But the true reason I’ve started this article about pirate games is that, yesterday night, with a few friends, we’ve spent a few hours playing only pirate games, and I’ve discovered three great new games.

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The original idea for the evening was to give a try at Peter Hawes’ Francis Drake, published by Eagle Games, which had been a hit at my ludopathic gathering. I had to find four players who were still able to sit at a table for a long game, more than two hours, with rules a dozen pages long. I didn’t regret this experiment. There are two games in one in Francis Drake. First, players prepare their expedition, recruit crew members, find a ship, upgrade it, listen for rumors… this first game is worker placement in the main street of Plymouth, a one way street in which the shops are rearranged every round, making it a new challenge every time. Then, ships sail to the Carribean, planning to attack Spanish ships, Spanish forts, Spanish ports. There’s some interesting planning and bluffing, when each player tries to be the first to launch an attack on a given target. This is much heavier stuff than Black Fleet, it’s more about planning and less about launching surprise attacks, but it’s a very rich and deep game which I will certainly play again.

And then, because we had time left, we played two lighter and faster pirate-themed card games, and both were also really good.
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Port Royal is a typical German style card game. Like in the first phase of Francis Drake, players are pirate captain walking the street of Port Royal and trying to hire crewmen, buy a ship and launch an expedition. The basic system might have been overused – on one’s turn, one draws cards one after another, stopping when one wants, and if one happens to draw two ships of the same color, one loses one’s turn. The genius of Alexander Pfister was to build a fresh, intricate, subtle and terribly tense game on this unoriginal premise. A game in which one always wants to draw one card more, one always lacks one gold. Nothing very original, but one of the very best card games I’ve played recently.
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Then we ended the game night with Stuart Sirk’s Dread Curse, a card game I had bought more or less at random. This time, players are all members of the same crew and, of course, try to cheat and steal one another. I better warn all those who sometimes find my own designs too chaotic and uncontrollable for their taste – this is far worse. Character cards have violent effects, action cards have even more violent ones, and the game flow is very fast, completely chaotic but undeniably fun. If you have the guts for a mix between Fluxxx and Citadels, give Dread Curse a try. We had great fun, but were really too exhausted for a second game.

So, here are three great pirates games, in three very different styles. A light and zany card game, Drad Curse. A more restrained and classical one, Port Royal. A heavy multifaceted board game two or three hours long, Francis Drake. And two more soon to hit the shores, Piraci and Black Fleet. Now, I would like pirates to take back the leading place in the gaming world, which has been unduly stolen from them by zombies two or three years ago.

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