Kubenbois
Wodenkubs

Mon ami Tom Vuarchex à coutume de se moquer des pousseurs de cubes en bois, ou kubenbois, une spécialité ludique germanique qu’il tient pour un peu lourde et indigeste, une sorte de choucroute ludique. Sans doute en rajoute-t-il pour se donner un genre, mais je comprend un peu sa lassitude tant, ces dernières années, les jeux de société à l’allemande, tout en devenant stratégiquement de plus en plus sophistiqués, semblent avoir perdu de la fraîcheur qui, dans les années quatre-vingt-dix, faisait le charme de nouveautés comme Les Colons de Catan, San Marco, Tikal, Morgenland ou Elfenland.

Trois jeux auxquels j’ai joué récemment me semblent illustrer cette dérive – Descendance, Lords of Waterdeep et Québec. Tous sont des jeux de gestion de ressources plein de cubes en bois, conçus et équilibrés avec soin, d’un intérêt tactique ou stratégique indéniable, mais qui ne parviennent pas à m’amuser, à m’exciter, à m’intéresser.

Le premier problème vient du thème de ces jeux, ou plus exactement de la manière à la fois superficielle et surfaite dont ce thème est inscrit dans le jeu. Il y a une dizaine d’années, il était de bon ton de se moquer de jeux allemands au thème inexistant ou insignifiant. Les auteurs de Descendance, Lords of Waterdeep ou Québec semblent au premier abord avoir compris la leçon et avoir introduit dans des jeux assez complexes des éléments thématiques nombreux, jusqu’aux commentaires historiques à la fin des règles de Québec, et aux “flavor text” des quêtes de Lords of Waterdeep. On y croit vaguement à la lecture des règles, mais tout s’efface dès que la partie commence. Les kubenbois de Waterdeep sont censés représenter les clercs, guerriers, voleurs ou magiciens que l’on recrute dans les tavernes d’une cité médiévale fantastique et que l’on envoie accomplir des quêtes, mais très vite on ne voit que des cubes-ressources blancs, noirs, oranges ou mauves avec lesquels on achète des cartes. Le thème est peut être riche, presque baroque, mais il ne fonctionne pas. C’est un peu la même chose avec Québec – des bâtiments historiques, une carte géographiquement fidèle, un scoring censé représenter le développement militaire, agricole, artisanal et culturel, mais très vite on ne fait que poser des cubes sur des cases qui ne représentent que de potentiels bonus qui ne correspondent à rien de thématique, ou permettant de marquer des points rouges, jaunes, verts ou violets. Sans se situer dans un contexte historique ou imaginaire aussi précis, Descendance se veut aussi un jeu à la thématique riche, avec ses générations de personnages, avec les points que l’on marque en restant au village pour faire carrière dans le commerce, l’Eglise ou l’administration, ou en partant voyager au loin. La encore, ce sont les fameux kubenbois qui posent problème – les cubes roses sont la Connaissance, les bruns la Foi, les verts le charisme, les orange l’habileté – drôles de ressources – mais qu’importe, puisque les joueurs n’y font pas attention et ne font que manipuler des cubes de ressources de différentes couleurs.

Le thème d’un jeu n’a pas pour seule fonction de permettre aux illustrateurs de se défouler et à l’auteur de trouver des noms pour ses cartes, ses pions ou ses cubes. Qu’il soit ou non à l’origine du jeu, il doit donner une cohérence à l’ensemble des mécanismes et des éléments, et permettre ainsi aux joueurs de s’y retrouver. Si je me suis senti un peu perdu dans ces jeux, c’est que le thème m’a parfois semblé, au contraire, apporter plus de confusion que d’unité

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S’il y a de mauvais jeux de kubenbois, il y en a aussi de bons, voire de très bons. Les kubenbois de Belfort ou de Kingdom of Solomon, deux jeux “à l’allemande” récemment publiés par de petits éditeurs américains ne prétendent pas représenter des connaissances ou des aventuriers mais tout simplement du bois, du métal, des pierres utilisées ensuite pour construire des bâtiments. C’est sans doute moins original, mais cela marche, on s’y prend, et ces jeux sans grande prétention mériteraient sans doute d’être plus remarqués que des blockbusters à l’américaine ou des produits trop bien formatés pour le Spiel des Jahres.
Leurs thèmes ne sont ni meilleurs, ni moins bons que ceux des jeux dont j’ai parlé plus haut. L’univers religieux de Kingdom of Solomon ne l’empêche pas d’être très agressif, les bonnes places n’étant jamais assez nombreuses pour tous les joueurs. Je n’y ai même pas joué, mais j’ai suivi avec attention toute une partie, et même comme simple spectateur, j’ai tout compris et c’était passionnant. Les nains et les elfes de Belfort sont des stéréotypes, mais ils contribuent à ce que le jeu respire l’humour et les coups bas. Un peu plus ancien, Alien Frontiers ou Magnum Sal sont aussi deux excellents jeux de gestion de ressources à l’allemande, un peu plus interactifs que la moyenne, et qui auraient largement mérité le même succès que Descendance ou Lords of Waterdeep.

Bref, je pense comme Tom qu’il y a dans l’univers des kubenbois une certaine dérive vers des univers baroques mais peu cohérents, aussi riches que superficiels, vers des jeux d’optimisation calculatoires mais sans problématique, sans vision d’ensemble. Il semble y avoir un public pour de tels jeux, je n’en fais pas clairement pas partie, mais je n’en suis pas pour autant hostile à tous les cubes en bois. J’ai hâte de jouer pour de vrai à Kingdom of Solomon – à quatre, ce doit être une tuerie -, et de voir les nouvelles éditions d’Alien Frontiers ou de Bootleggers.

Une partie de Belfort aux Rencontres Ludopathiques, avec des boissons traditionnelles naines.
A game of Belfort at the ludopathic gathering, with traditional dwarf drinks.


My friend Tom Vuarchex, the author of Jungle Speed,moften mocks the “woodencubes pushers” and holds the kubenbois (wodenkubs) for a heavy and hardly digestible German specialty, the sauerkraut of games. He is prone to exaggeration and likes to overplay his role in the French gaming world, but I can understand him since i have also become tired of some German style strategic games, all about worker placement and resource management, which have lost the freshness that was, in the nineties, the great charm of games like Settlers of Catan San Marco, Tikal, Aladdin’s Dragons or Elfenland.

Three games I have played recently are very good examples of this trend. The Village, Lords of Waterdeep and Quebec are management games full of wooden cubes of different colors, cleverly designed, carefully balanced, tactically and strategically challenging, but they all fell flat for me.

These games all have a schizophrenic approach to theme, their setting being in the same time superficial and overplayed. Fifteen years ago, we used to mock the absence or blandness of the German games’ themes. The authors of The Village, Lords of Waterdeep or Quebec got the point and seem to have built their games on complex and rich thematic settings, be they history or fantasy, with even historical comments in the rules of Quebec and various flavor texts on the quest cards of Lords of Waterdeep. All this sounds more or less convincing and consistent when reading the rules, but soon withers away when the game starts. The woodencubes in Waterdeep are supposed to be adventurers, clerics, warriors, wizards and thieves recruited to fulfill various quests, but soon they become just white, orange, purple and black resource cubes spent to buy victory point cards. The setting might look rich, even baroque, but it just doesn’t work. It’s the same with Quebec. The game has historical buildings, and a complex scoring system supposed to represent military, agriculture, manufacturing and culture. This is instantly forgotten, and players just move cubes around to get esoteric bonuses and score purple, yellow, green or red points.
The Village doesn’t have such a detailed and specific setting, just generic Middle Ages, but it also pretends to be thematically rich and accurate, with clever rules for the aging and death of characters, with points scored either in the Village in the trade, church or state career, or in long distance trade. Once more, the problem comes from the wooden resource cubes – pink cubes are for knowledge, brown ones are faith, Green ones charisma and orange handcraft skill. Well, no one cares, may be because faith or knowledge are not naturally considered accountable resources, and players just manipulate wooden cubes in different colors.

The setting of a game is not only an inspiration for the illustrator and a help for the designer in finding cute names for cards, tokens or cubes. No matter wether theme or mechanisms came first, the setting is here to give unity and consistency to all the game parts and systems, and to guide players in the game. In these three games, I’ve felt lost and not guided, as if the setting brought more confusion than consistency.

There are bad,mor simply bland, wooden cubes games, but there are also good, even very good ones. The wooden cubes in Belfort, or in Kingdom of Solomon, two “euro games” recently published in the US, don’t pretend to be knowledge or people, but are just the good old building resources, wood, stone, ore and gold, used in building various… buildings and monuments. It may be less original, it may sound unassuming, but it’s consistent with the gameplay. These lower profile and less ambitious games deserve more attention than D&D blockbusters or preformatted Spiel des Jahres. Their themes are neither better than worse than those of the other games I’ve talked about before, but hey work much better. Despite its religious setting, Kingdom of Solomon is a nasty worker placement and resource management game in which there’s never enough good spots and enough temples to build for everyone. I’ve actually not played it, but I’ve looked at a whole game, and it was like a good movie. The dwarves and elves in Belfort might be more generic and stereotypical than the D&D characters in Deepwater, but that’s also why the game feel humorous, which is nicely balanced by a nasty enough gameplay. Some slightly older eurogame style resource management games, such as Alien Frontiers or Magnum Sal, are much better and nastier than average and would have deserved the same exposure as The Village or Lords of Waterdeep.

So, like Tom, I’m wary that the «wooden cubes» world is following a wrong trend, towards baroque but extremely thin themes, towards computing and reckoning games with no consistent philosophy. There seem to be enough players for these games to sell, but I’m not – which doesn’t want I won’t decline to push the occasional wooden cube, providing the game is light, interactive, thematic and consistent enough. I’m eager to try Kingdom of Solomon – it must be very nasty with four players – and to see the new editions of Alien Frontiers or Bootleggers.

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