Dégraisser les jeux
Downsizing games

Les droits de douane imposés par les Etats-Unis aux produits fabriqués en Chine sont en passe de tuer une bonne partie des petits éditeurs de jeux de société américains, en commençant par ceux qui avaient la malchance d’avoir un container en mer lorsque la mesure a été mise en place sans préavis. C’est sans grande importance en comparaison, mais le seul effet positif de cette folie sera peut-être la fin de la course aux jeux luxueux et « surproduits » jusqu’au ridicule.

J’achète pas mal de jeux sur Kickstarter, et maintenant sur Gamefound et, pendant longtemps, j’avais tendance à prendre la version « de luxe », souvent nécessaire pour avoir l’extension pour 5 ou 6 joueurs. De plus en plus souvent, je suis déçu lorsque je reçois une énorme boite, parfois deux, avec un matériel luxueux et surdimensionné qui semble plus avoir été imaginé pour faire de l’effet sur les photos et justifier des paliers de souscription (les fameux Stretch Goals) plus que pour faciliter le jeu.

J’ai commencé à prendre conscience de cela il y a une dizaine d’années, avec l’excellente série de jeux mythologiques d’Eric Lang publiée par CMON. Le matériel de Blood Rage m’avait impressionné, mais ne m’avait pas semblé excessif. Même avec les extensions, on arrivait à tout ranger dans la boite. Avec Rising Sun, puis Ankh, il fallait une autre boîte pour des miniatures qui, souvent, ne sortaient pas dans toutes les parties. J’ai fini par donner ma boîte d’Ankh, qui prenait trop de place. J’ai conservé Rising Sun, dont j’avais beaucoup apprécié ma première partie, mais si je ne l’ai jamais ressorti, c’est un peu parce qu’il demande trop de place et est trop compliqué à ranger

De tels jeux sont presque devenus la norme sur les plateformes de crowdfunding. Voici trois trois autres exemples reçus récemment.
Le premier me concerne directement, puisqu’il s’agit d’Artemis Odyssey, la nouvelle édition de Ad Astra, jeu de développement et de programmation dans l’espace conçu avec Serge Laget. Les exemplaires d’auteur que j’ai reçu étaient tous dans la version « de luxe » kickstarter, avec des pions en plastique qui sont assez bien faits, mais auxquels j’aurais certainement préféré les jolis pions en bois de la version boutique. Mais, bon, les figurines en plastique moulé avec plein de détails, c’est devenu un code pour dire « édition de luxe ».

J’ai reçu il y a quelques semaines, pledgée sur Kickstarter, ma boite de Mistwind, un très bon jeu de « pick-up and deliver » conçu par Adrian Adamescu et Daryl Andrews. La boite est énorme pour pouvoir contenir toutes les boites, sous-boites et sur-boites où sont rangées les figurines en plastique, notamment les énormes baleines volantes, qui rendent très difficile, pendant la partie, de lire les nombreuses informations figurant sur le plateau de jeu. Cela a rendu notre première partie un peu frustrante. Une édition « à l’allemande », avec des pièces plus petites en bois ou en carton, et un plateau moins décoré mais plus fonctionnel, aurait certainement ajouté beaucoup au plaisir de jouer.

Le summum est atteint avec Skyrise, de Sébastien Pauchon. Il y a une quinzaine d’années, j’avais beaucoup aimé Metropolys, mais regrettais, comme tous les joueurs je pense, son plateau extrêmement confus. Lorsque j’ai vu qu’une nouvelle version était dans les tuyaux, j’ai pensé que ce serait juste le même jeu, plus ou moins dans le même format, avec un plateau de jeu plus lisible. Je l’ai immédiatement commandée sur Kickstarter, choisissant imprudemment la version « de luxe ». J’ai reçu une boîte énorme, avec des éléments en plastique d’assez mauvais goût, totalement inutiles, et rendant le jeu encore plus difficile à jouer que l’original. Si quelqu’un veut l’échanger contre la version de base, sans tous les plastiques qui ne servent à rien, ce sera avec plaisir.

Je n’ai parlé ici que de jeux plus ou moins « dans mon style », de jeux que j’ai pris la peine de me procurer et de jouer. Dans d’autres genres que je pratique moins, les gros jeux de baston, souvent dans l’espace ou dans des labyrinthes, les jeux plein de Cthulhus, de dragons et de zombies, la tendance est plus prononcée encore.

Ces orgies de plastique, alors que d’autres éditeurs, ou parfois les mêmes, se vantent pour d’autres jeux de mettre des inserts en carton et remplacer le film plastique entourant les boites par des gommettes, me semblent déplacées. Elles s’expliquent, le plus souvent, par la logique perverse des sites de Crowdfunding, qui veut que plus un jeu est demandé, plus son matériel devient luxueux, même lorsque cela est inutile, voire nuisible.

Beaucoup de petits éditeurs américains, et même quelques moyens, sont en difficulté après la hausse des droits de douane sur les produits importés de Chine. L’un d’entre eux écrivait récemment sur Facebook que c’était un peu de leur faute, tant ils avaient réduit leurs marges ces dernières années, ce qui leur enlevait toute capacité d’adaptation, toute marge de manœuvre face à un problème inattendu. C’est un peu vrai, mais les jeux me semblent ces dernières années au moins autant « overproduced » que « underpriced ».

Par conséquent, si les éditeurs continuent à produire en Chine, il leur faudra mettre moins de plastique pour diminuer les coûts. Et s’ils produisent ailleurs, notamment en Europe, ils ne pourront plus mettre de plastique. Ce sera au moins ça de gagné. L’impact sur la production des jeux pourrait aussi se doubler d’un effet sur le style de jeux publiés, en renforçant la tendance récente à publier moins de pavés plus ou moins simulationnistes et plus de petits jeux de cartes malins, voire subtils – là aussi, je ne demande pas mieux.

Au fait, un joueur se moquait récemment sur les réseaux sociaux de « miniatures » devenues si grosses qu’elles n’ont plus rien de mini. Saviez-vous que miniature, terme qui désignait à l’origine les illustrations des manuscrits médiévaux, ne signifie étymologiquement pas « petit » (minus en latin) mais peint au minium, c’est à dire avec une peinture rouge à base d’oxyde de plomb, aujourd’hui strictement interdite. Rien n’empêche donc en théorie qu’une miniature soit grande – mais dans les jeux, en général, cela ne sert pas à grand-chose.



The tariffs imposed by the US to products made in China, which includes most games, are going to kill several small US game publishers, especially those who had a container at sea when the tariffs were unexpectedly established. Every cloud has a silver lining, and the only positive effect for boardgames of this crazy policy might be to end the race to the most exuberantly overproduced  boardgame.

I often buy games on Kickstarter, and now Gamefound. I used to often pledge the “luxus” version, often necessary to get the 5-6 player expansion. More and more often, I am a bit angry when receiving a gigantic box, or sometimes two, with garish and oversized components which have been devised not to help in playing the game, but to look nice on the  crowdfunding pictures and justify stretch goals.

I started to realize this about ten years ago, with Eric Lang’s great mythos game series, published by CMON. The components of Bllod Rage were impressive, but didn’t feel extravagant. Even with all the expansions, everything could still fit in the box. With Rising Sun, and then Ankh, a second box was necessary to hold giant miniatures which, in most cases, were not even used in most games. I finally gave away my copy of Ankh, which took too much place on my game shelves. I kept Rising Sun because I really enjoyed my first game, but actually never played it again, because it needs too much place, and too much time to put everything back in the box.

Such games have now almost become the norm on crowdfunding platform. Here are three more recent examples.

I’m personally involved in the first one, Artemis Odyssey, the recent new version of Ad Astra, designed with Serge Laget. All my author copies were of the kickstarter limited edition, with plastic miniatures. These miniatures are nice, but I would certainly have preferred the elegant wooden pieces of the retail version. Anyway, molded plastic miniatures have become a code to show that you are the lucky owner of a “limited edition”.  

A few months ago, I received my copy, pledged on Kickstarter, of Mistwind, a clever pick-up and deliver game designed by Adrian Adamescu and Daryl Andrews. The gigantic box holds plastic boxes in which are placed the many plastic miniatures, including oversized flying whales, which make difficult during the game to read all the infos on the board. This made our first game a bit frustrating. A “german style” edition, with smaller wooden or cardboard pieces, and a less elegant but more functional board, would certainly have made the game, which is already really good, even more exciting.

The most ridiculous example is Sébastien Pauchon’s Skyrise. I really liked Metropolys, published about 15 years ago, but, like many players, I found its board extremely confusing. When I heard that a new version was in the pipe, I thought it would be something similar but with a clearer board. I immediately ordered it on Kickstarter, and unwisely opted for the luxury version. I got an immense box, with components bordering on bad taste, including strange plastic “decorative” pieces which have zero use in the game and make it even more confusing. Anyone willing to trade it with me against the basic version with wooden pieces, even when it is still oversized?

I’ve talked so far only of games I own and enjoy, more or less “in my style”. In other styles of games, mostly long fighting games set somewhere in space or in underground labyrinths, games full of Cthulhus, dragons and zombies, this trend is even more pervasive.

These plastic binges when other publishers, or sometimes the same ones, take pride in publishing games with cardboard inserts and in replacing plastic films with small stickers, feel extremely inappropriate. It is mostly due to the perverse logic of crowdfunding which makes that, the more people pledge a game, the more extravagant components are added, even when they don’t help or even hinder the gameplay.

Many small US publishers, and even a few mid-sized ones, are facing a very difficult situation due the US tariffs on China. One of them recently wrote on facebook that they had some responsibility, having reduced their margins so much that they had almost no capacity to adapt in case of something unexpected.  It might be partially true, but my feeling is less than the games have been underpriced, and more that they have been overproduced.  

As a result, if publishers keep on producing in China, they will need to remove all this unnecessary and often ugly plastic to reduce the costs. And if they move production elsewhere, likely in Europe, they won’t be able to use plastic miniatures. There might also be an effect on the style of games produced, with fewer heavy and unnecessarily complex simulations and more clever little games. This trend is already a few years old, but it might become stronger, which also is a good thing.

By the way, I’ve read a post on social networks mocking publishers for making giant « miniatures » which were no more « mini » at all. The etymology of the word miniature, which was originally used to describe medieval manuscript paintings, is not what it seems. It comes from latin, but from minium (a red lead oxide used as a red pigment) and not from minus (small). It originally meant colored with a poisonous red lead paint  which is now strictly forbidden. So, etymologically at least, there’s no problem with having a big miniature – but in games, it’s usually useless.

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