Deckbuilding et crème brulée
Deckbuilding and creme brulee

Wonderland’s War

Dominion, de Donald Vaccarino, il y a une quinzaine d’années, fut sinon le premier jeu à avoir recours au “deckbuilding”, du moins le premier jeu de cartes entièrement construit autour de ce système. Chaque joueur débute la partie avec le même petit paquet de cartes, mais peut l’enrichir en achetant de nouvelles cartes plus puissantes, parfois aussi l’épurer en se débarrassant des plus modestes, construisant peu à peu un « moteur » pour sa stratégie propre, et l’adaptant au déroulement de la partie.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

J’ai tout de suite compris l’intérêt du truc, mais malgré plusieurs tentatives, je n’ai jamais accroché à Dominion, trop abstrait et, dès les premières extensions, trop calculatoire. J’ai plus joué à quelques uns de ses premiers successeurs, Thunderstone et surtout Trains, plus thématiques, mais je n’ai jamais été un spécialiste d’un genre auquel je ne m’intéressais que d’assez loin. Je n’ai d’ailleurs jamais non plus tenté de concevoir un jeu de deckbuilding.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank!, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

J’ai donc été surpris en réalisant que, depuis deux ou trois ans, certains des jeux auxquels je joue sinon le plus souvent, du moins le plus sérieusement, sont des jeux de deckbuilding, ou de bagbuilding qui est un peu la même chose (on y mélange des jetons dans un sac au lieu de mélanger un paquet de cartes). Je ne répèterai donc pas dans toute la suite de cet article « ou bagbuilding » chaque fois que je parle de deckbuilding, considérez que c’est sous entendu et que je parle de trucbuilding. Il y a d’abord eu El Dorado, Clank!, Great Western Trails, Dwar7s Winter et Quacks of Quedlinburg, il y a depuis peu Dwar7s Spring, Taverns of Tiefenthal, Lost Ruins of Arnak, War Chest (Champ d’Honneur en français) ou Dune Imperium. Ce dernier est mon favori ces derniers temps, mais un nouveau venu, Wonderland’s War, pourrait bien le détrôner.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Aucun de ces jeux n’est cependant, comme l’étaient Dominion et ses premiers successeurs, un pur jeu de cartes et donc un pur jeu de deckbuilding. Ils ont tous un plateau de jeu sur lequel se passe autre chose, souvent une course ou une baston.

Il est assez habituel de distinguer les sports dans lesquels joueurs ou équipes s’affrontent, face à face, comme la boxe ou le football, et ceux où ils sont en compétition, côte à côte ou l’un après l’autre, sans que leur performance affecte celle de leurs rivaux, comme les courses, sauts et lancers. C’est un peu la même chose pour les jeux de société, les wargames étant l’archétype du jeu d’affrontement et les « roll and write » celui du jeu de compétition tranquille, mais les cas intermédiaires ou ambigus y sont beaucoup plus nombreux.
La magie des nouveaux jeux de deckbuilding est qu’ils sont à la fois des jeux d’affrontement et de compétition, que l’on y joue à la fois face à face et côte à côte. Ils sont comme une crème brulée, à la fois chauds et froids. On y trouve à la fois le plaisir tranquille et solitaire de construire son deck et de le faire évoluer tout au long de la partie, et l’excitation d’affronter les autres joueurs sur le plateau de jeu. Si cette interaction reste limitée dans Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails, elle est plus importante, sous la forme de course dans Lost Ruins of Arnak et plus encore dans Clank! ou El Dorado, qui est un vrai jeu de blocage. Elle devient essentielle dans les jeux de guerre que sont War Chest, une sorte de jeu d’échecs en deckbuilding et le seul jeu à deux de cet article, Dune Imperium, sans doute le plus vendu, et Wonderland’s War, ma dernière découverte.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

Certes, il y peut y avoir un peu d’interaction dans la constitution des decks, mais cela reste assez limité. Souvent, une carte prise par un joueur n’est plus disponible pour les suivants, mais c’est rarement pour cette raison qu’on l’achète; c’est un peu comme dans les Roll and Write où un dé pris par un jouer n’est plus disponible pour les suivants – s’il n’y a pas de véritable volonté de nuire aux adversaires, l’interaction tombe à plat.
Cela peut parfois être un peu plus sérieux. Je ne sais plus dans quel jeu un effet mesquin permet de voler une carte sur la défausse d’un adversaire ; dans Wonderland’s War un pouvoir permet de rajouter de mauvais jetons dans un sac adverse. Tout cela reste néanmoins marginal, et c’est bien la dichotomie entre les deux parties du jeu qui crée, malgré leur complexité, le rythme et le charme particulier de cette nouvelle génération de jeux de deckbuiliding.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

Quant à en faire un…. Je m’y suis essayé avec Charlie Cleveland pour Vendetta, notre jeu de cartes dans l’univers de Vampire – La Mascarade. Je suis très fier du résultat, violent et thématique, mais cela a demandé un travail de réglage et d’équilibrage immense, que je ne me sens pas vraiment l’envie de vouloir faire une deuxième fois. Et je deviens de plus en plus paresseux. Surtout, des jeux comme El Dorado, Arnak, Quacks of Quedlinburg, Dune Imperium ou Wonderland’s War me semblent d’une telle qualité que je ne vois pas bien ce que je pourrais faire de mieux – il faudrait faire différent, donc associer le deckbuilding à quelque chose de nouveau – des enchères, peut-être ?

Si vous avez suivi, vous avez compris le code couleur de cet article. En bleu, les jeux froids, qui se jouent pour l’essentiel chacun dans son coin, avec son petit deck. L’interaction y reste limitée. En orangé, ceux avec un peu plus de blocage et de rivalité, mais sans interaction directe. En rouge, ceux que je veux mettre en avant dans cet article, les crèmes brulées, les jeux chauds et froids, ou le deckbuilding sert de support à un véritable affrontement entre les joueurs.


Vendetta – Vampire – The Masquerade

Fifteen years ago or so, Donald Vaccarino didn’t really invent deckbuilding, but he designed the first game entirely built around it, Dominion. Each player starts the game with the same small deck of cards and can develop it with buying new and more powerful cards, and sometimes also refine it with getting rid of the weakest ones. Thus, every player independently builds an « engine » for their strategy, and adapts it to the ongoing game.

Donald Vaccarino
Dominion, 2008
Mike Elliott,
Thunderstone, 2009
Hisashi Hayashi,
Trains, 2012

I immediately saw the point but, despite a few tries, I never found Dominion really exciting. The game was too asbstract and too brain burning for me. I had more fun with some of its more thematic successors, like Thunderstone or Trains, but I never become an enthusiast of the genre. I never tried to design a deckbuilding game.

Reiner Knizia,
El Dorado, 2017
Paul Dennen,
Clank, 2016
Alexander Pfister,
Great Western Trail, 2016

That’s why I have been surprised when noticing that several of the games I was seriously and regularly playing these last two or three years were deckbuilding game – or bagbuilding games, in which players add tokens to a bag instead of adding cards to a deck, but it’s more or less the same thing (from now on, I won’t repeat « or bagbuilding » every time I write deckbuilding). It started with El Dorado, then came Clank, Great Western Trails, Dwar7s Winter and Quacks of Quedlinburg. Recent additions to the list are Taverns of Tiefenthal, Dwar7s Spring, Lost Ruins of Arnak, War Chest and Dune Imperium. The latter was my favorite but I suspect it might soon be replaced with the brand new Wonderland’s War.

Luis Brueh,
Dwar7s Winter, 2018
Wolfgang Warsch,
Quacks of Quedlinburg, 2018
Luis Brueh,
Dwar7’s Spring, 2020

Dominion and most of its derivatives were pure card games, and therefore pure deckbuilding games. None of these games is. They all have a board where something else happens involving all the players, be it a race or a fight, and that’s what makes them interesting.

There are two kinds of sports. Those, like boxing or football, where teams or players fight against one another, and those, like races and throwing, where they compete side by side without any interaction. It is the same with boardgames, with wargames on the one end and roll & write games on the other, but there are also many intermediate or ambiguous cases.
What makes many of these new deckbuilding stand out is that they are not « in between », they are both fully « face to face » and « side by side ». They feel like a creme brulee, hot and cold at the same time. Players go both the quiet pleasure of building their deck and evolving it during the game, and the rough fun of fighting opponents on the board. This interaction was still relatively limited in Quacks of Quedlinburg, Taverns of Tiefenthal, Great Western Trails but it’s more important through race in Clank or Lost Ruins of Arnak, and even more in El Dorado which is very much abourt blocking. It becomes the heart of the game in War Chest, a chess-like deckbuilding game and the only two player game in this blogpost, in Dune Imperium, probably the best seller, and Wonderland’s War, my last discovery.

Wolfgang Warsch,
Taverns of Tiefenthal, 2020
Elven & Min,
Lost Ruins of Arnak, 2020
Trevor Benjamin & David Thompson
War Chest, 2018

There can be some interaction in building decks, but its always very limited. In many games, a card bought by a player is not available for the next ones, but it’s rarely the reason why one buys it; it feels a bit like in these roll and write games where a die used by a player is not available fpor the next ones, if there’s no will to hurt one’s opponent, it doesn’t feel as interaction.
It can sometimes be more serious. I don’t remember in which game an effect allows to steal a card from an opponent’s discard pile; in Wonderland’s War, it is sometimes possible to add a bad curse token in an opponent bag. All this is, however, purposefully marginal, and the charm of these new dackbuilding games comes from the dichotomy between their two parts, the solitary deckbuilding and the multiplayer board play.

Paul Dennen,
Dune : Imperium, 2020
Charlie Cleveland
& Bruno Faidutti
Vampire – The Masquerade Vendeta, 2020
Tim & Ben Eisner, Ian Moss
Wonderland’s War, 2022

As for designing one…I gave it a try, together with Charlie Cleveland, in Vendetta, our card game in the Vampire – The Masquerade universe. I think we made a strong, terribly interactive and very thematic game, but it was so much work !!!!! I’m not sure I’m ready to try it again, and I’m becoming lazier every day. More importantly, games like El Dorado, Lost Ruins of Arnak Dune Imperium or Wonderland’s War my favorites ones. are so well crafted that I don’t think I can do better in this style. Or may be I should mix the deckbuilding part with somethig new – auctions, may be.

If you followed well, you should have understood the color code for the games. Blue is for the old style deckbuildings, mostly played ise by side, with little interaction. Orange, is for games with some more rivalry, through race or blocking, but no direct interaction between players. Red is for those I really wanted to highlight in this blogpost, the cold and hot ones, in which deckbuilding is the prequel to a true fight between the players.

Quacks of Quedlinburg

5 thoughts on “Deckbuilding et crème brulée
Deckbuilding and creme brulee

      • Cela n’empêche pas le reste de l’article d’être très intéressant. J’aurais dû commencer par cela, c’aurait été plus poli, mes excuses…

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