Le Génie de la langue
French and English in Games

Ces dernières années, j’ai peu à peu pris l’habitude d’écrire les règles de mes jeux directement en anglais. Cela devait me permettre de présenter plus rapidement et plus facilement mes jeux à des éditeurs allemands ou américains. Je me suis depuis rendu compte que même les éditeurs français préfèrent généralement des prototypes en anglais, qu’ils peuvent plus facilement présenter à des éditeurs étrangers susceptibles de partager avec eux les coûts d’édition. Cela devait surtout éliminer les nombreuses confusions entraînées par l’existence d’une règle originale française et d’une traduction anglaise, et par les modifications souvent intégrées à l’une et oubliées dans l’autre, et cela a effectivement été le cas. Je ne m’attendais pas, bien au contraire, à une découverte étonnante : même pour quelqu’un qui, comme moi, écrit dans un anglais approximatif et souvent fautif, il est plus facile de rédiger des règles en anglais qu’en français. La langue anglaise semble avoir un « génie », un caractère, une structure, plus adapté à l’écriture de règles de jeux de société. Je me suis même surpris récemment, l’un de mes jeux  devant être bientôt publié simultanément en anglais et en français, à éprouver de la peine à traduire en français un texte dont j’étais l’auteur, ne parvenant pas à expliquer clairement dans ma langue, autrement que par d’inélégantes périphrases, des points de règles pourtant extrêmement simples en anglais.

À l’inverse, lorsque j’écris une critique de jeu, ou un éditorial pour ce site, je me rends bien compte que je ne parviens pas à m’exprimer en anglais avec autant de précision qu’en français. Il n’y a bien sûr là rien de surprenant, puisque le français reste la langue dans laquelle je baigne quotidiennement, même si elle continue parfois à me surprendre et m’intriguer, et la seule dans laquelle je sois à peu près capable d’exprimer mes idées, mes sentiments, mes opinions. Ce qui est surprenant, presque choquant, c’est qu’il en aille inversement des règles de jeu.

Il y a quelques mois, je me plaignais de la fréquente imprécision des traductions françaises de règles de jeu, et comparais la clarté des traductions anglaises de jeux allemands à la médiocrité des traductions françaises. Le constat que je viens de faire ne justifie en rien les traductions farcies d’anglicismes et de fautes d’accord que certains éditeurs nous servent encore régulièrement, mais il explique sans doute en partie la difficulté à trouver des jeux, même français, et même les miens, dont les règles françaises soient élégamment écrites.

Il existe en France un lobby (devrais-je dire groupe de pression ?) autoproclamé, paranoïaque et influent de « défenseurs de la langue française » qui voient dans tout usage de la langue anglaise par un français un acte de trahison. Leur conception de la culture comme un jeu à somme nulle où ce qui est gagné par les uns serait perdu par les autres est, au regard de l’histoire, d’une grande naïveté. L’anglais est aujourd’hui devenu un vecteur culturel, un outil qui, en facilitant les contacts entre les hommes, les textes, les cultures, ne peut que les enrichir tous et toutes. Il remplit en ce sens la même fonction que le latin à la Renaissance, et la remplit sans doute mieux encore puisque son usage ne se limite plus aujourd’hui aux milieux lettrés. On peut trouver ironique que l’anglais soit aujourd’hui la seule lingua franca, mais il vaut mieux se réjouir qu’il y en ait une, et en faire le meilleur usage, que perdre son temps en vains regrets et son énergie en combats d’arrière-garde.


These last years, I’ve become used to writing the rules for my games directly in English. I thought it would make easier to show my prototypes to German or American publishers. I’ve even found out that even French publishers prefer English language prototypes, since they make easier to playtest the game with foreign publishers that could be interested in sharing the publishing costs. I thought I will get rid of the many inconsistencies caused by having both an original French rule and an English version, with many changes made in only one of them, and it did. I was really surprised to find out that it had another great advantage: even though I write a rough and often faulty English, it’s easier for me to write rules in English than in French, as if the structure and nature of English was better fitted for game rules. Last week, I had to translate in French the rules for one of my own designs, which will be published both in English and French, and I had real problems with it. Rule points that were simple and clear in English could only be explained in French through convoluted and inelegant paraphrases.

On the other hand, when I write a game review, or an editorial column for this website, I can’t express my feelings and opinions as precisely and accurately in English as in French. This, obviously, isn’t a surprise, since French is my home language, the one I speak and read everyday, the one I’ve learned to make descriptions and express feelings with. What’s really surprising and that it isn’t so with game rules.

A few months ago, I was complaining about the mediocrity of French rules translations, especially when comparing French and English translations of German games rules. What I’ve stated above is not an excuse for the rules full of anglicisms and grammar mistakes that some publishers still regularly publish, but it may explain why it’s so hard to find games, even French ones, and even mine, whose French rules are clearly and elegantly written.

We have in France a self-proclaimed, paranoid and influential lobby of “champions of the French language” who regard every use of the English language by a French as an act of treason. They naively consider culture to be always a zero-sum game, where what is won by some is necessarily lost by others. English is now a cultural tool that helps contacts between people, between texts, between cultures, and it’s an all-win game. English works a bit like Latin during the Renaissance, and works even better because its use is not limited to well-read scholars. Of course, there’s something ironic in English being the only lingua franca, but we ought to rejoice that there’s one, and make the best use of it, rather than waste time in vain regrets and energy in rearguard actions.

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