Des jeux pour ne pas jouer
Games not made for playing

Tout comme nombre de livres ne sont pas vraiment destinés à être lus, mais juste à feuilleter, à trôner en majesté sur une étagère, ou à rappeler un souvenir quand on en entrevoit la tranche, de plus en plus de jeux ne sont pas vraiment destinés à être joués.

Certaines éditions limitées ne sont tirées à quelques centaines d’exemplaires, souvent numérotés. Ils sont vendus lors des salons, en particulier à Essen, à un petit public de joueurs passionnés et de collectionneurs. Souvent même tous les exemplaires ont été réservés avant même le salon, et le petit éditeur, parfois lui aussi collectionneur, se garde d’en imprimer plus afin de se réserver une ou deux journées pour faire, lui aussi, le tour du salon. Substituant le plaisir de la possession à celui de l’usage, la collection est le type même du comportement pervers, une perversion néanmoins innocente et sympathique qui apporte à quelques petits éditeurs la certitude de rentrer dans leurs frais en vendant, parfois cher, leurs quelques boites. Lorsque le jeu le mérite, il ne passe pas inaperçu des plus grands et il n’est pas rare de le voir un ou deux ans plus tard, comme Une Ombre sur Whitechapel (devenu Mr Jack), Oltremare ou Jenseits von Theben, dans une édition plus aboutie, plus jolie, moins chère mais aussi moins rare.

À la manière des recueils d’aphorismes et autres dictionnaires d’idées géniales ou reçues, dont on lit parfois quelques rubriques au hasard, certains jeux sont plus destinés à être feuilletés que véritablement joués. L’archétype en est sans doute Munchkin, dont l’intérêt réel ne réside ni dans ses mécanismes primaires et répétitifs, ni dans son thème sans la moindre originalité. Ce qui rend Munchkin jubilatoire, du moins tant que l’on n’y joue pas, ou pas trop, ce sont les cartes, et toutes les références humoristiques aux donjons dans lesquels les joueurs quadragénaires d’aujourd’hui ont vaillamment perdu le plus clair de leur adolescence. Les auteurs du jeu ont visiblement mis plus de temps et de soin à trouver les astuces, les titres, les clins d’œil appuyés qui figurent sur ces cartes qu’a réellement tester le jeu. L’un des auteurs de la série de B-Movie card games (le premier de la série est sorti en français sous le nom des Pygmées Cannibales de la Jungle Maudite) me confiait même récemment que les extensions partaient chez l’imprimeur sans même avoir été testées – après tout, les règles fonctionnent plus ou moins, et l’intérêt réel du jeu est ailleurs. Si Munchkin et ses déclinaisons vampiriques, spatiales ou Ninjaesques, ainsi que la loufoque série des B-Movie Card Games, sont les plus connus de ces jeux surtout destinés à ce que l’on en feuillette les cartes, il en existe bien d’autres, à base de private jokes sur tel ou tel univers, comme le rock (Battle of the Bands) ou les jeux vidéos (Pink Godzilla Dev Kit).

J’aurais pu aussi parler des jeux que l’on achète pour essayer de se persuader que l’on trouvera un jour le temps d’y jouer, mais souvent sans vraiment y croire. Combien des acheteurs de Twilight Imperium III, ou des nombreuses déclinaisons d’Axes et Alliés,  n’ont jamais ouvert leur boite que pour lire les règles un soir d’insomnie. Et pourtant, ce sont de bons jeux.

Et puis, tout comme certains livres ne sont parfois dans une bibliothèque que pour présenter leur tranche plein cuir dorée à l’or fin, certains jeux ne sont parfois dans un salon que pour faire joli sur une petite table. Beaucoup d’entre eux pourtant, comme Quarto ou Mana, sont aussi de très bons jeux.


Like some books have not been written to be read, but rather to be leafed through, to stand enthroned on a shelf, or to remind of something when one sees its edge, there are more and more games which are not really designed to be played.

Some limited and sometimes numbered editions have only a few hundred copies printed, often sold at the Essen fair to a very small world of game geeks and collectors. Sometimes, they are even all presold before the fair and the small publisher, who is himself a collector too, doesn’t print more because he wants to save a few days to look for other games on the fair. Collecting replaces the pleasure of using with the pleasure of owning, and is therefore the epitome of perversion, but it’s a cute and harmless perversion, and thanks to it a few publishers know they will get their money back, and publish games which wouldn’t have been published otherwise. When the game is really good, bigger publishers notice it and one or two years later a nicer, better developed, cheaper and easier to find edition is published, as happened with A Shadow over Whitechapel (which became Mr Jack), Oltremare or Jenseits von Theben.

There are also games which, like the dictionaries and compendiums of quotes or stupid ideas, in which one only reads a few random entries at a time, are designed to be leafed through and not really played. The archetypal such game is probably Munchkin. The interest of this game is not in its basic and repetitive systems, nor in its totally unoriginal setting. What makes Munchkin fun, as long as you don’t play it, or you don’t play it too much, is all the puns and jokes about the dungeons in which much forty or fifty years old gamers spent most of their teenage years. The game authors obviously spent more time and took more care looking for stupid dungeon jokes and for fun card names than actually testing the game – and they were right. I remember a discussion with one of the authors of the B-Movie series card games, when he told me that some expansions were sent to the printer without having actually been playtested – after al, the basic systems work, and the fun of the game is not in its rules tuning. Munchkin and its vampire, space or ninja follow-ups (and may be space-ninja-vampires), as well as the zany B-movie card games series, are the best known of these games which are more fun to read than to play, but there are a few others, always on strong themed universes, such as Rock’n’Roll (Battle of the Bands) or Video games design (Pink Godzilla Dev Kit)

I could also have told about these games that you buy to try to convince yourself that, may be, someday, you’ll find the time and gamers to play them. How many boxes of Twilight Imperium III, or of the many recent declinations of Axis and Allies, were opened only one, just to read the rules. This doesn’t mean the games are not great, you bought them because they are.

In a different style, like some books are on your shelves only to show their golden edge, some games are mostly used as a decoration on the coffee table. Many of them, such as Quarto or Mana, are also great games

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