Il suffit que je m’absente une semaine pour que la bodléienne mette en ligne deux petits psautiers flamands, dont je connaissais l’existence mais dont je n’avais jusqu’ici vu que d’assez mauvaises images. C’est une occasion de revenir sur les licornes, et leurs amis les singes, dans les marges des manuscrits médiévaux.
Bodleian Library, ms Douce 5, fol 5v.
fol 30r.
fol 49r.
fol 65r.
fol 68v.
fol 72r.
fol 74r.
fol 84r.
fol 86r.
fol 92v.
fol 94r.
fol 105v.
fol 114r.
fol 117v.
fol 118r.
fol 125r.
fol 127v.
fol 140r.
fol 150v.
fol 167v.
fol 177r.
fol 208v.
fol 209r.
fol 218r.
Dans les premières années du XIVe siècle, en Flandre, sans doute à Gand, un atelier d’enlumineurs cultivés et pleins d’humour a illustré plusieurs manuscrits, parmi lesquels deux petits psautiers jumeaux d’une dizaine de centimètres de haut, aujourd’hui à la bibliothèque bodléienne d’Oxford (ms Douce 5 et ms Douce 6), un livre d’heures d’un format plus classique qui se trouve lui à Cambridge, au Trinity College (ms Wren B 11 22), et sans doute un psautier et livre d’heures aujourd’hui au musée Walters, à Baltimore (ms W 82). Sur les pages de ces volumes, et sans doute sur celles des autres manuscrits non encore numérisés mis en image par la même équipe – je sais qu’il y en a au moins un à la bibliothèque royale de Copenhague – les très nombreux singes, lapins et surtout licornes semblent avoir été comme la marque de l’atelier.
Bodleian Library, ms Douce 6, fol 3r.
fol 4v.
fol 16r.
fol 18r.
fol 31r.
fol 39r.
fol 56r.
fol 59v.
fol 84r.
fol 94v.
fol 100v.
fol 101v.
fol 103v.
fol 104r.
fol 118r.
fol 120r.
fol 124v.
fol 136v.
fol 156r.
fol 191v.
Les licornes y ont une silhouette caprine, mais le plus souvent sans barbichette. Leurs robes prennent toutes les nuances de gris. Coloriées à la peinture d’or, leurs cornes longues et brillantes aident à les repérer. Quelques unes cependant ont, au lieu d’une corne longue et pointue, un unique bois de cerf.
L’épisode classique de la capture de la licorne, emprunté au bestiaire médiéval, apparait à trois reprises sur ces manuscrits. L’une des scènes est assez classique, même si le chasseur armé d’un arc renvoie plus à l’amour courtois qu’aux allégories religieuses. Sur une autre, le chasseur est bien armé d’une lance mais il est à cheval, ce qui est inhabituel. La troisième est parodique : la jeune vierge se fait belle devant son miroir, mais derrière elle c’est un lièvre qui se déguise en licorne, tandis que madame lièvre va se cacher derrière un arbre pour regarder la scène. Dans l’une des rares autres scènes du bestiaire représentée dans ces trois volumes, la licorne est l’un des animaux charmés et protégés par la bonne odeur de la panthère.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 10v.
fol 11r.
fol 1
fol 14v.
fol 18r.
fol 19r.
fol 19v.
fol 21r.
fol 22v.
fol 23r.
fol 23v.
fol 25v.
fol 28v.
fol 38v.
fol 41r.
fol 69v.
fol 69v.
fol 83v.
fol 95r.
fol 104v.
fol 122v.
fol 144v.
fol 146r.
fol 151r.
fol 165r.
fol 172r.
fol 188r.
fol 202r.
fol 202v.
fol 204r.
Ces licornes grises sont des bêtes sauvages, rapides, parfois agressives, qui courent dans les marges tantôt poursuivant un cerf ou un lapin, tantôt traquées par des chiens. Leurs relations avec d’autres animaux, les lions et surtout les singes, sont plus amicales. Les singes, comme souvent dans les enluminures médiévales, sont comme des hommes auxquels manqueraient la grâce divine, joueurs toujours, parfois violents ou obscènes. Lorsqu’ils côtoient les licornes, leurs jeux peuvent prendre un tour assez ambigu.
Aux classiques licornes quadrupèdes qui courent dans les marges, il faut ajouter, plus nombreuses encore, des centaines de fins de lignes enluminées, longs corps reptiliens, plus rarement pisciformes, dont la tête humaine ou animale qui émerge du texte est souvent armée d’une très longue corne.
Baltimore, Walters Library, ms W 82, fol 31r.
fol 62v.
fol 175r.
fol 191v.
fol 205v.
fol 211v.
Le psautier et livre d’heures du musée Walters a probablement été décoré dans le même atelier. Toutes les pages ne sont pas illustrées, les images que j’en ai trouvées sont plus anciennes et moins jolies, mais singes, licornes et lapins sont sont toujours nombreux, dans un style qui rappelle celui des manuscrits précédents.
Assez rare dans l’héraldique médiévale, sauf dans le sud de l’Allemagne, la licorne devient à la mode au XVe siècle, d’abord en Italie puis dans le reste de l’Europe. Elle s’installe alors en cimier, sur le casque au-dessus de l’écu, et en support, sur ses côtés.
Si vous voulez de vieux armoriaux avec pas mal de licornes, il faut aller voir dans le sud de l’Allemagne, et donc en particulier dans le catalogue de la Bayerische Staatsbibliothek, à Munich. Je leur ai consacré un chapitre entier, qui n’a pas eu sa place dans mon livre et que vous trouverez ici.
Ailleurs, on en trouve, mais il faut chercher un peu. En voici quelques exemples. Ce sont, pour chacun de ces manuscrits, toutes les licornes que l’on y trouve parmi des centaines d’écus. Elles sont donc bien peu nombreuses.
Armorial de Gilles le Bouvier, Héraut d’armes de Charles VII, scirca 1450.
BNF, ms fr 4895, fol 159r.
fol 161r.
Sir Thomas Holmes’ Book of Arms, circa 1500.
British Library, Harley ms 4205, fol 17r.
J’en ai trouvé une douzaine, et sans doute raté quelques unes, sur un armorial italien du milieu du XVIe siècle, lui aussi à la bibliothèque de Munich. Elles ne représentent cependant pas grand chose dans les quinze volumes et les presque dix-mille blason de cet armorial. La majorité d’entre elles se trouvent en Italie du nord, donc pas loin de leur camp de base en Bavière et en Suisse alémanique.
BSB, cod icon 274, fol 252.
BSB, cod icon 276, fol 27.
BSB, cod icon 276, fol 43.
BSB, cod icon 276, fol 46.
BSB, cod icon 276, fol 49.
BSB, cod icon 277, fol 30.
BSB, cod icon 277, fol 70.
BSB, cod icon 278, fol 137.
BSB, cod icon 278, fol 159.
BSB, cod icon 279, fol 118.
DE LA LICORNE L’empereur de l’Éthiopie qu’on nomme Prêtre-Jean, désireux de contracter amitié et faire ligue avec le grand Seigneur, crut qu’il ne pouvait mieux arriver à ce but qu’en le gratifiant d’une couple de licornes excellentes, qu’on lui avait envoyé des Indes, pour un présent digne de ces grandeurs. le Turc se tint fort obligé à l’Éthiopien, voyant ces deux et beaux rares animaux à sa porte, et jugeant bien que tous ses sujets en agréeraient extrêmement la vue , commanda qu’on les menât au sultan de La Mecque, afin que ceux de la Turquie qui sont grandement portés à faire des pèlerinages à cet abominable sépulcre de Mahomet, eussent le contentement de les voir avec les autres raretés qui s’y montrent. Cette sorte de créature est si rare qu’outre ces deux ici, je trouve que peu de personnes afferment en avoir vu, combien que plusieurs en écrivent assez de merveilles et qu’en beaucoup d’endroits de l’Europe on y reconnaisse sa corne. Si bien que je ne me dois pas ébahir si fort peu de personnes de condition ont chargé leurs armes de la figure de licorne, puisque ses propriétés ont été jadis si peu connues, et que les Solin et les Pline ont enseigné même que cette bête se plait si fort dans les plus vastes et les plus éloignées solitudes, qu’elle se fera plutôt tuer que de se laisser prendre. Bien est vrai néanmoins que tous ceux qui en parlent demeurent d’accord qu’elle est douée d’un bon courage, qu’elle ose bien attaquer les lions, ses plus grands ennemis, et d’autre part qu’elle chérit si passionnément les bonnes odeurs et les personnes qui sont chastes que le meilleur moyen de les apprivoiser est de lui en présenter. À raison de quoi l’invention de ceux-là n’est pas mauvaise qui ont employé dans le blason de leurs écus d’armes des licornes entières, ou leurs têtes seulement, puisque ce sont des marques assurées d’une rare générosité, et de l’estime qu’on fait du beau lys d’une pureté virginale. D’ailleurs, quand j’apprendrai non seulement par le rapport d’une infinité d’auteurs assez dignes de créance, mais aussi par l’expérience journalière et fort aisée, que cet animal est si ennemi des venins que la moindre partie de sa corne pulvérisée suffit pour empêcher tous leurs effets, je louerai le plus qu’il me sera possible les pensées de nos prédécesseurs qui se sont imaginés avec bien sujet qu’à la vue de la licorne représentée dans leurs écus, on reconnaîtrait évidemment comme quoi ils auraient eu en abomination le poison très pernicieux de l’erreur et du vice, et combien arasement ils en auraient procuré l’anéantissement.De Vaté porte d’azur à six cotices d’or, au chef d’argent chargé de trois corneilles de sable membrées et becquetées de gueule. Fay Despaisses porte d’argent, à une bande d’azur chargée de trois têtes de licornes d’or. Ribier porte de gueules, à la fasce ondée d’or, & à la tête de licorne de même, en pointe. Le Cirier de Neuschelles, d’azur à trois licornes d’or. Clairaunay au Maine, d’argent, à trois licornes de sable. Charpentier port d’azur, à la bande échiquetée d’or et de gueules de trois traits, accompagnée de deux licornes d’argent. Chevrière de Paudy porte d’azur à trois têtes arrachées de licorne d’argent. Fauchedompré met aussi trois têtes de licorne dans ses armes. Du Valkmondreuille porte d’azur, à trois croix coupées d’or mises en face, écartelé d’hermines, sur le tout de gueules à une tête de licorne d’argent. Nusdorf, en Bavière, porte de sable à la licorne contournée et rampante d’argent. Postolsky en Silésie de gueules à la licorne contournée et rampante d’argent. Poppelau en Silésie porte de gueules à la licorne d’or, l’orangée à la moitié du corps de sable et d’argent.
— Marc Gilbert de Varennes, S.J., Le roy d’armes ou L’art de bien former, charger, briser, timbrer, et par consequent, blassonner toutes les sortes d’Armoiries, 1635
Et voici, un peu en vrac, quelques blasons avec des licornes.
Jean le Sauvage et Catherine de Boulogne, propriétaires de ce livre d’heures, priant sous leurs armes respectives devant la Vierge et l’enfant Jésus.
Le blason de l’épouse, à gauche, est mi-parti de celui de son époux, d’azur à trois têtes de licornes d’argent ancornées d’or. Collection privée.
Un blason faisant fonction d’ex-libris au bas d’un manuscrit médical.
Glasgow, ms Hunterian BW 3 24.
Pierre tombale dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Dronfield, dans le Derbyshire.
Clef de voute aux armes de l’architecte Blandin Bompart. Église de Saint-Martin-de-Valmeroux, dans le Cantal.
L’un des dix-sept quartiers de Sienne participant au palio annuel est le quartier de la licorne. Sa devise, Fiede et risana al par l’arma c’ho in fronte, signifie l’arme que je porte au front peut blesser et purifier.
Carte postale de 1934.
Carte postale, circa 1930.
À la Renaissance, la licorne devient, un peu comme elle l’est aujourd’hui, à la mode. Les vieilles familles, qui ne vont quand même pas refaire leur blason ancestral, ajoutent alors souvent l’animal en support de leurs armoiries, ou en cimier, les bonnes vieilles règles de l’héraldique ne s’appliquant pas aussi strictement à ces attributs un peu exubérants. Il n’est donc pas rare de voir des blasons à l’aigle ou au lion surmontés d’un chef de licorne.
Sur cette miniature flamande du XIVe siècle illustrant un Roman d’Alexandre en picard, le chevalier de gauche a un aigle sur son blason, mais porte un chef de licorne sur son cimier.
Oxford, Bodleian Library, ms Bodl 264, fol 117v
Heaumes et boucliers allemands du XIVe siècle. Des léopards sur l’écu, mais une licorne en cimier.
Jakob-Heinrich von Hefner-Alteneck, Waffen, 1903.
Blason au lion avec licorne en cimier. Gravure du maître HW, circa 1480.
Ducat d’argent hollandais, 1694.
Là encore, un lion sur l’écu, mais une licorne, toute petite, sur la couronne.
Les nouveaux nobles et nouveaux riches pouvaient plus facilement mettre une licorne dans leurs blasons, comme ici sur les armes du marchand Thomas Leigh, maire de Londres, 1554. Yale, Beinecke Library, ms 97.
Les familles suisses ou bavaroises qui avaient déjà un blason à la licorne mettent également l’animal en cimier.
Armorial de l’Europe et de la toison d’or, XVe siècle. Bibliothèque de l’Arsenal, ms 4790, fol 147v.
Un cimier transpercé par une épée, dans la cathédrale de Sibiu, en Roumanie. Cela n’arrive pas qu’aux licornes. Photo Rex Harris, Flickr.
Les cimiers surprenants, tragiques, singuliers, Cauchemars entrevus dans le sommeil sans bornes, Sirènes aux seins nus, mélusines, licornes, Farouches bois de cerfs, aspics, alérions, Sur la rigidité des pâles morions, Semblent une forêt de monstres qui végète.
Cette forêt, ici décrite par Victor Hugo dans La légende des siècles, nous la voyons bouger, comme secouée par le vent, sur une grande miniature un peu confuse, en double page, de plusieurs manuscrits du Traité de la forme et devis comment on peut faire les tournois de René d’Anjou, le roi René, copiés à la fin du XVe siècle.
René I d’Anjou, Traité de la forme et devis comment on peut faire les tournois, , circa 1480. BNF, ms fr 2692, fol 67-68.
On imagine les tournois de chevalerie du Moyen Âge à l’image de nos compétitions sportives, avec des éliminatoires, des poules et des manches, et des combats bien réglés, en duel, devant un arbitre qui compte les points. C’était parfois le cas, mais le point d’orgue en était la mêlée, un peu désordonnée. Pouvez-vous retrouver la licorne dans cette forêt ? Vous pouvez zoomer à loisir pour mieux chercher la bête sur le site de la bibliothèque nationale, ici pour le français 2692, là pour le 2696.
René I d’Anjou, Traité de la forme et devis comment on peut faire les tournois, , circa 1480. BNF, ms fr 2696, fol 53-54.
Les mêmes licornes viennent aussi soutenir des écus. La plus connue est celle qui, un peu par hasard, s’est retrouvée en 1603 face à son vieux compère le lion pour soutenir le blason du Royaume-Uni – vous en apprendrez plus sur cette histoire dans le chapitre sur les licornes d’Écosse. Les supports de l’écu des rois de France ont continué à beaucoup varier, chaque monarque optant pour ses créatures favorites, et certains ayant du mal à se décider. Sur les premières pages des manuscrits royaux, où les armes du souverain font fonction d’ex-libris, l’écu aux fleurs de lys peut être soutenu par des cerfs volants, sans doute les plus fréquents, mais aussi des cerfs pas volants du tout, des lions, des anges, des hommes sauvages, des griffons… Les seules licornes que j’ai trouvées sont sur quelques ouvrages ayant appartenu à Louis XII, dont l’emblème était pourtant le porc-épic, utilisé sur la plupart de ses manuscrits, du moins après son accession au trône. Faut-il voir dans ces licornes un clin d’œil à son épouse Anne de Bretagne ? On lit en effet ici ou là que la belle Anne, épouse de deux rois de France, était branchée licornes, théorie qui ne repose cependant pas sur grand chose, juste quelques objets en licorne dans ses inventaires et l’hypothèse, aujourd’hui très discutée, selon laquelle les tapisseries de La Chasse à la licorne auraient été réalisées à l’occasion de son mariage avec Louis XII.
Cosmographie de Ptolémée, 1485.
BNF, ms latin 4804, fol 2r.
Guiron le Courtois, fin du XVe siècle.
BNF, ms fr 362, fol 1r.
Guiron le Courtois, fin du XVe siècle.
BNF, ms fr 358, fol 1r.
Opera astrologica, circa 1490. BNF, ms lat 7312, fol 1r.
Sur la plupart des manuscrits de Louis XII, comme cette copie de l’Énéide, les armes de France sont supportées par des porc-épics. BNF, ms fr 861, fol 1v.
Bien sûr, nul n’était besoin d’être roi pour faire encadrer ses armes par des licornes, et voici quelques autres exemples.
Armes de Roland de Neuville, propriétaire de ce missel du XVIe siècle.
Bibliothèque de Lyon, ms 521, fol 1r.
Armes et devise de Henri Desraines, dans un livre d’heures copié vers 1500.
Bibliothèque d’Amiens, ms 2556, fol 16v.
Arma Christi. Si dresser l’horoscope du Christ était très mal vu – certains ont failli être brûlés pour ça – dessiner son blason ne posait pas de problèmes. Ici, on trouve tous les instruments et les acteurs de la Passion, et une licorne.
Livre de prières, circa 1500.
Séminaire de Tournai, ms 40, fol 15v
Armes de Wilmot Vaughan, Comte de Lisburne, 1730-1800.
Armes de la ville belge de Hoost, supportées par deux licornes, sur le fronton d’une maison du XVIe siècle.
Les armes du chevalier Bayard sont habituellement supportées par des lions, mais pourquoi pas des licornes – sans peur et sans reproche, ça leur convient aussi. Pierre Morrain de Vallemont, Les éléments de lhistoire, 1702.
À ce dîner, où les coudes n’avaient pas horreur de se toucher les uns les autres, il y avait justement entre la marquise de Limore, la plus foncée en aristocratie des femmes qui étaient là, et le marquis de Pont-l’Abbé, d’une noblesse aussi vieille que son pont, un convive, de gaillarde et superbe encolure, paysan d’origine très normande, mais qui s’était décrassé et qui était devenu un très authentique bourgeois de Paris. Il étalait alors son gilet de piqué blanc entre cette marquise et ce marquis, comme un écusson d’argent entre ses deux supports, dont l’un, à dextre, la marquise, faisait la licorne, et l’autre, à senestre, le marquis, faisait le lévrier.
— Jules Barbeay d’Aurevilly, Une histoire sans nom, 1882.
Des trois tableaux représentant la belle Giulia Farnese en dame à la licorne, seuls deux sont reproduits dans mon livre. Les voici donc accompagnés du troisième, ainsi que de quelques unes des représentations de vierges et de licornes dans les nombreux palais et jardins de la belle Giulia et de sa famille.
Pour comprendre toute la petite histoire de licorne et de fausse vierge qui se cache derrière les tableaux ci-dessous, il vous faudra lire mon livre….
Sainte Catherine d’Alexandrie.
Raphaël, Dame à la licorne, circa 1505.Galerie Borghese, Rome.
Luca Longhi, Dame à la licorne, circa 1525.
Castel Sant’Angelo, Rome.
Domenichino, Dame à la licorne, circa 1602.
Fresque du palais Farnèse, Rome.
Seretta Wilson dans le rôle de Giulia Farnese, posant pour le tableau de Raphaël dans la série Les Borgias.
Avant d’être l’épouse du Christ (quel surnom!), la belle Giulia était celle d’Orsino Orsini. Cela explique cette peinture du château de Vasanello, propriété des Orsini, représentant les animaux emblématiques des deux familles.
Toutes les photos de Vasanello et Carbognano proviennent du petit livre de Giuseppe Capriotti, Il tempo delle fenice e degli unicorni, 2020.
Dans les diverses propriétés de la famille Farnese, et tout particulièrement celles dont les décorations furent commandées par Giulia et son frère le pape Paul III, les licornes sont partout. La plupart sont accompagnées de belles dames légèrement vêtues et à la virginité pour le moins douteuse.
Dans la villa Farnese à Caprarola, au Nord de Rome.
Elle a perdu sa corne, mais c’est bien une licorne.
La vierge chevauche la licorne, ce qui est inhabituel.
Une très sage vierge à la licorne.
La licorne purifiant les eaux.
Tout près de là, dans le Castello Farnese de Carbognano, où résida longtemps Giulia Farnese.
On ignore le sens de cette phrase.
Les poses des vierges et des licornes dans les appartements romains du pape Paul III, frère de Giulia, au Castel Sant’ Angelo, sont particulièrement suggestives, et cela est bien trop systématique pour ne pas être intentionnel. Des licornes assez ambigües décorent d’ailleurs également le livre d’heures d’Alessandro Farnese, aujourd’hui à la Morgan Library de New York, mais je n’ai pu en trouver d’images de bonne qualité.
Phofo Sarah Olmstead, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Les fresques du Palais Farnese de Rome, aujourd’hui ambassade de France, sont plus sages et plus originales. Je n’ai pas trouvé de photographie de l’impressionnante licorne attaquée par des chiens.
La licorne exterminant les guerriers.
Dans le manga Berserk, la princesse vagabonde Farnese de Vandimion est aussi branchée licornes.
Les Farnese, dont je parle dans mon livre, ne furent pas la seule grande famille italienne de la Renaissance à faire de l’unicorne son emblème. La licorne des Farnese était sensuelle, celle des Este était politique et religieuse, et celle des Borromée plutôt guerrière.
À la vierge à la licorne des Farnese, la famille rivale des Este, à Ferrare, préféra l’autre scène emblématique, l’autre légende, celle de la licorne purifiant les eaux pour que les autres animaux puissent la boire en toute sécurité.
Médaille à l’effigie de Borso d’Este, 1460. British Museum.
Médaille à l’effigie de Borso d’Este, circa 1460. Washington, National Gallery of Art.
Façade du palais Schifanoia, à Ferrare. Photo Nicola Quirico, Wikimedia Commons.
Missel de Borso d’Este, circa 1450. Modène, Biblioteca Estense.
Bible ayant appartenu à Borso d’Este. Bibliothèque de Ferrara, ms cl II 132, fol 1r.
Borso d’Este (1413-1471) avait deux animaux emblématiques, la licorne et le worbas. Ce dernier, corps de lynx, queue de sirène et ailes de griffon, est absent du bestiaire médiéval et semble bien être une invention de la Renaissance allemande ou italienne. Selon l’image qu’il voulait donner, dangereuse ou pacifique, guerrière ou diplomate, le rusé Borso préférait l’une ou l’autre créature.
Bible de Borso d’Este, vol 1, fol 110v.
Vol 1, fol 5r.
Vol 2, fol 172r.
Toutes deux figurent sur bien des pages de ce qui est sans doute le plus beau manuscrit enluminé du XVIe siècle, la bible de Borso d’Este, aujourd’hui à la bibliothèque de Modène. La licorne y est le plus souvent représentée seule, dans une position accroupie, assise sur ses pattes arrière, trempant la pointe de sa corne dans une fontaine, devant un palmier symbole de la résurrection. On la voit aussi parfois aux côtés d’un cerf, autre animal christique, ou s’attaquant à un dragon, donc un serpent, figure du démon. Le message est politique autant que religieux, mais on est très loin, chez le brutal Borso, des double sens et de l’érotisme de l’iconographie farnésienne.
Paul écrivant l’épitre aux Romains. Bible de Borso d’Este, vol 2, fol 184v.
vol 2, fol 245v.
vol 2, fol 192r.
vol 2, fol 185r.
vol 1, fol 127r.
vol 2, fol 233v.
En 1542, accompagné de l’empereur Frédéric III de retour de Rome où il venait d’épouser Eléonore de Portugal, Borso d’Este fit dans Ferrare une entrée remarquée, «dans un char tiré par quatre licornes artificielles, sur lequel se trouvait un palmier dans lequel était assise la Charité brandissant une torche enflammée[1] » – sobre et de bon goût.
La muse Urania, circa 1450.
Pinacothèque nationale, Florence.
Cosimo Tura, Saint Maurelius et Saint Paul avec Niccolo Roverella, circa 1470.
La licorne des Este veille très discrètement sur la famille amie des Roverella. La voyez-vous ?
Rome, Palazzo Colonna.
Les quelques mariages entre les deux grandes familles rivales des Este et des Farnese auraient pu donner à quelque peintre de cour l’idée de représenter les deux scènes de la vierge à la licorne et de la licorne purifiant les eaux sur le même tableau. J’ai cherché un peu, mais je n’ai rien trouvé.
Plus au Nord, la famille lombarde des Borromée adopta au XVe siècle des armoiries complexes, sur les lesquelles une licorne rampante pointe sa corne vers un serpent. Ce serpent, de la bouche duquel s’échappe un enfant, était l’emblème des Visconti, famille alliée des Borromée, mais la licorne était l’ennemie des serpents. On peut donc, selon l’humeur, voir dans la scène une signe de l’alliance indéfectible entre les familles, également illustrée par le fameux nœud borroméen, ou une sorte de mise en garde…
Blason des Borromée.
Casque d’apparat de Renato I Borromeo (1572-1608).
Quoi qu’il en fut, la licorne des Borromée était un animal puissant, rapide et sauvage, que l’on n’imagine ni se reposant dans le giron d’une jeune vierge, ni même prenant le temps de tremper tranquillement sa corne dans les eaux d’un fleuve. Elle est rampante, debout sur ses pattes antérieures, sur le blason familial. Elle est mise en scène sans finesse dans les palais et jardins baroques que la famille Borromée fit construire au XVIIe siècle sur Isola Bella, l’une des îles du Lac Majeur.
Surplombant les jardins, une statue de licorne montée par un amour ailé y semble prête à s’envoler – mais elle n’a pas d’ailes, cela viendra bien plus tard.
Photo en noir et blanc coloriée à la main, 1883.
Photo en noir et blanc coloriée à la main, 1883.
Photo Torsade de Pointes, Wikimedia Commons.
La licorne est aussi à l’honneur sur deux des tapisseries flamandes du XVIe siècle qui décorent la galerie du palais. Sur l’une, une variante de la scène traditionnelle du combat entre le lion et la licorne se termine d’une manière plus favorable à cette dernière, qui embroche sur sa corne le fauve coincé contre un arbre. Sur l’autre, une licorne grise à l’épaisse crinière tient tête aux attaques de deux lions, une panthère et un dragon. Plus ancienne que le palais, cette suite de tentures montrant des combats d’animaux, peut-être issue du même atelier que la série à la girafe unicorne qui se trouve à Cracovie au musée du Wavel, n’a vraisemblablement pas été réalisée pour les Borromée, la présence de la licorne au centre de ces deux scènes a certainement motivé son acquisition.
Virginale et érotique chez les Farnese, christique et pacifique chez les Este, fière et sauvage chez les Borromée, la licorne de l’Italie de la Renaissance pouvait donc, selon les besoins et les circonstances, hériter de l’une ou l’autre des qualités, des natures disait-on alors, de l’unicorne médiéval.
[1] Edmund G. Gardner, Dukes and Poets of Ferrara, 1904, p.75.
II y a eu des licornes sur les jeux de cartes, sur les tarots, sur les échiquiers, sur les jeux de l’oie, et il y en a aujourd’hui sur les jeux de société pour les plus jeunes, mais aussi pour les adultes.
2 de daims et de cerfs dans un jeu de cartes allemand du XVe siècle.
BNF, Estampes Res boite fol KH 25 (1-2)
Maitre ES, carte à jouer, XVe siècle.
New York, Metropolitan Museum.
Maitre ES, carte à jouer, XVe siècle.
Maitre ES, Carte à jouer, circa 1470.
Maitre de la Passion de Berlin, carte à jouer, circa 1450.
Maitre PW, Reine de lièvres, circa 1500.
Trois cartes d’un jeu de cartes de Georg Kapfler, 1611.
Sur les premiers jeux de cartes fabriqués en Europe au début du XVe siècle, les imprimeurs avaient encore le choix des séries, des couleurs, le plus souvent des végétaux ou animaux. Si la licorne n’eut jamais droit à une série entière, elle côtoie parfois ses cousines les biches. Dans les jeux de cartes allemands des XVIe et XVIIe siècles, dont les couleurs étaient carreaux, cœurs, glands et grelots, les glands sont fréquemment illustrés par des cerfs, et la carte où la licorne se rencontre le plus souvent est le deux de glands, ce qui fait un peu d’elle un cervidé.
Diane Chasseresse et licorne, circa 1700.
Jeu au portrait français de Johann Jobst Forster, début du XVIIIe siècle. La licorne est ici la marque de l’imprimeur.
Sur un jeu parisien du XVIIe siècle dont les as sont des animaux tenant des drapeaux, l’as de coupes est un cheval, celui de deniers un lion, celui de bâton un aigle ou un griffon, et celui d’épée une licorne ; sans doute le graveur a-t-il assimilé à une lame la longue corne de l’animal. Sur un autre, l’as de pique est encadré par deux licornes, et le deux de cœur illustré d’un cheval et d’une licorne. Les cartiers, comme tous les imprimeurs-libraires-éditeurs, avaient aussi parfois pour logo une licorne, que l’on retrouve alors sur le bouclier de l’un des valets.
As d’épée, jeu de tarot parisien, XVIIe siècle.
BNF, Estampes, Res Kh-34 (1,6)
As de pique, jeu de cartes français, XVIIe siècle.
BNF, Estampes, Res Kh-34 (B, 20)
Carte allemande, XVIIe siècle. Toutes les autres cartes de ce jeu sont illustrées d’animaux réels.
Jeu de cartes espagnol, circa 1900. La licorne de mer, ou le capricorne, est ici la marque de l’imprimeur.
BNF, Estampes, Boite fol-KH-383 (7,183)
Aux XVIIIe et XIXe siècles, c’est par les jeux de tarot que les animaux, disparus de jeux classiques de plus en plus standardisés, reviennent sur les cartes à jouer. Les atouts sont illustrés par des scènes animalières réalistes – un chien chassant, un chat rapportant un poisson. Comme ceux, apparus au XIXe siècle et encore utilisés aujourd’hui, qui illustrent les inégalités sociales, ces tarots étaient destinés au jeu et non à la cartomancie ; même si les cartiers s’efforçaient de rester à peu près logiques, il ne faut pas donner trop de sens au fait que telle bête figure sur tel ou tel arcane. À l’exception de l’ours, qui illustre toujours le 21ème et dernier atout, les animaux représentés peuvent figurer sur plusieurs cartes. On voit souvent la licorne sur les arcanes VII (le chariot) et VIII (la justice), ce qui peut faire sens, mais aussi sur le XIIe atout (le pendu), allez savoir pourquoi. Plus significatif est le fait qu’elle côtoie le chien, le chat, le lapin, l’ours, le lion ou la grenouille, des animaux qui n’ont rien de fantastique.
eu de tarot belge, circa 1780.
BNF, Estampes, Pet Fol KH-207 (6)
Tarot animalier à enseignes françaises de François Isnard, circa 1760.
BNF, Estampes RES BOITE ECU-KH-167 (4bis, 136-138)
Tarot animalier allemand, circa 1780.
New York, Beinecke Library.
Tarot animalier allemand, circa 1800.
BNF, Estampes, Res KH-167 (7, 202-204)
Aujourd’hui, bien sûr, les licornes sont partout, et donc sur les jeux de cartes. Vous pouvez acheter des jeux de poker des plus classiques, des Bicycle, avec au dos une licorne qui combine posture héraldique et reflets arc-en-ciel. Côté tarot, des jeux de divination très kitsch, vaguement new-age et plus hideux les uns que les autres, ont une licorne, parfois deux ou trois, sur chaque carte. J’ai pris les photos sur Amazon, et je vous jure que je n’ai pas choisi les plus moches.
Le seul qui ait du charme est sans doute le tarot d’ambre, inspiré des romans lourds et datés de Roger Zelazny mais illustré par la talentueuse Florence Magnin, dont la technique n’est pas sans rappeler celles des enlumineurs du Moyen Âge. Ses originaux, à peine plus grands que les dessins imprimés, ressemblent à des miniatures.
XI, La Force, Dessin de Florence Magnin pour le tarot d’Ambre.
Dans les nombreuses variantes du jeu d’échecs proposées au Moyen Âge et à la Renaissance, il arrive que l’une des nouvelles pièces soit baptisée licorne – ou rhinocéros, ce qui est la même chose. L’un des jeux présentés dans le fameux Livre des jeux d’Alfonse le Sage, qui se trouve à la biliothèque de l’Escurial à Madrid, se joue sur un échiquier de 12 x 12 cases. Chaque joueur y dispose de deux licornes, des pièces d’attaque qui font d’abord un saut de cavalier puis se déplacent comme des fous
Livre des jeux d’Alfonse le Sage, XIIIe siècle.
Madrid, Bibliothèque de l’Escurial.
Boite pour jetons de tric-trac, circa 1300.
New York, Metropolitan Museum.
Boite pour jetons de jeux, circa 1600.
Washington, Smithsonian Institute Museum.
En Catalogne, les auques étaient des tableaux quadrillés servant de support à des jeux de dés et à la divination. Beaucoup ont pour thème les animaux, et la licorne y est bien sûr présente. Les jeux de l’oie ont été particulièrement populaires en Espagne aux XVIIe et XVIIIe siècle, et la licorne y occupe aussi souvent l’une des cases, sans y avoir d’effet particulier.
Auque du soleil et de la lune, XVIe siècle.
Auque du soleil et de la lune, XVIIIe siècle.
Sur les 48 cases de cet auque du XVIIIe siècle, la licorne est la seule à ne pas avoir d’existence réelle, le dragon n’étant ici qu’un gros lézard. Ceci dit, le castor n’est pas très ressemblant.
J’ai acheté chez un antiquaire parisien cette petite licorne en ivoire, ivoire d’éléphant et non de narval, qui a bien la silhouette et la taille d’une pièce d’échecs des années 1900. Si c’est le cas, ce n’est sans doute qu’un cavalier auquel le sculpteur s’est amusé à donner une silhouette.
Plus récemment sont apparus les jeux de société modernes, avec leurs thèmes et leurs règles. Curieusement, alors même que créer des jeux de société est mon métier et que j’ai fait une thèse d’histoire sur les licornes, je n’ai pas combiné les deux pour traiter en jeu de société course de licornes ou chasse à la licorne. Quelques amis illustrateurs se sont quand même amusé à dessiner des licornes sur quelques cartes des plus médiévalisants de mes créations Castel, Citadelles ou Ménestrels.
Castel, illustré par Emmanuel Roudier. Je vous ai :mis la carte de l’édition russe, parce que la maquette est plus jolie.
Dessin de Tomasz Jedruszek pour Citadelles.
Une carte de Trollfest, illustré par David Hartman.
Une carte de Ménestrels.
M’étant fait doubler, Je vais donc vous parler des jeux des autres. Pour les tout-petits, Licornes dans les Nuages est bien plus intéressant que ne le laisse supposer sa boite rose bonbon. Pour les plus grands, on reste dans les tons roses, mais on passe clairement au second degré. Unstable Unicorns est un succès commercial, en grande partie du fait de ses illustrations pleines d’humour, mais le jeu est quand même d’un intérêt très limité. Préférez-lui Kill the Unicorns ; on n’y tue pas vraiment les licornes, on les vend aux gnomes, et ce qu’ils en font ensuite ne nous regarde pas. C’est un jeu d’enchères très dynamique, un peu dans le style de mes propres créations – je n’en parle donc pas parce qu’il est distribué par le probable futur éditeur de ce livre. Dans Unicorn Fever, dont l’un des auteurs est mon ami (et éditeur de mon jeu de vampires) Lorenzo Silva, des licornes de toutes les couleurs font la course sur un arc en ciel. Les teintes dominantes de tous ces jeux ne sont plus le blanc des unicornes de la Renaissance, mais bien le rose bonbon et le bleu ciel des licornes enfantines d’aujourd’hui.
La première licorne de Magic, the Gathering. Il y en a eu une centaine d’autres depuis.
Unicorn Fever de Lorenzo Silva, Lorenzo Tucci Sorrentino, illustré par Giulia Ghigini.
Oriflamme de Adrien et Axel Hesling, illustré par Tomasz Jedruszek.
Licornes dans les nuages, illustré par Stephanie Roehe.
Gloomy Graves, de mon ami Jeffrey Allers, illustré par David Szilagyi.
Kill the Unicorns, de Cyril Besnard, Loïc Chorvot et Alain Fondrille, illustré par Levi Prewitt.
Unstable Unicorns, par Ramy Badie.
C’est à la littérature médiévale fantastique anglo-saxonne que les univers riches mais simples du jeu de rôles et du jeu video ont emprunté leurs nombreuses licornes. Les licornes de ces Moyen Âges fantasmés y sont donc le plus souvent blanches et pures, ou à l’inverse noires et cruelles. Ces derniers temps, signe que ces médias sont devenus suffisamment adultes pour se permettre le second degré, elles tournent parfois au rose.
Dungeons & Dragons Monster Manual, 1977.
The Warlock Menagerie, jeu de rôles, 1980.
Dungeons and Dragons, 1990.
Curse of the Sea Rats
A plague tale, Innocence, 1979.
Un jeu video pour les filles…
Et un dernier conseil – on ne joue pas à saute-mouton avec une licorne.
Grylles, grotesques et chimères, les étranges créatures hybrides ou monstrueuses qui décorent certains manuscrits médiévaux, sont aussi souvent un peu licornes. Et là encore, j’ai des dizaines d’images qui n’ont pas trouvé place dans mon livre.
On appelle grylles les créatures étranges, humains déformés ou hybrides d’hommes, d’animaux et de plantes, qui se battent ou parfois se cachent dans le décor des manuscrits médiévaux. On les croise aussi, plus rarement, sur les frises sculptées ou les chapiteaux des églises, et dans des tableaux comme ceux de Jérôme Bosch.
Dans les marges de ces deux livres d’heures, tous deux copiés et enluminés à Bruxelles, par la même équipe, au début du XVe siècle, se promènent toutes sortes de créatures unicornes, bipèdes et quadrupèdes, qui n’ont en commun qu’une corne droite et spiralée.
Livre d’heures de Charles le Noble, XVe siècle.
Cleveland Museum of Art, ms Marlatt 1964.40, fol 184-185.
Fol 184v.
Fol 75r.
Fol 298r.
Fol 262r.
Cet autre livre d’heures a été enluminé par la même équipe, sans doute à Bruxelles.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 62, fol 74r.
Fol 13r.
Fol 41r.
Livre d’heures du XVe siècle.
Bibliothèque nationale d’Espagne, ms Vitr 25.3, fol 61r.
Missel de la fin du XVe siècle.
BNF, ms lat 879, fol 113r.
Livre d’heures, XVe siècle.
Bibliothèque de Genève, ms lat 33, fol 15r.
Recueil de vies de saints, 1285.
BNF, ms fr 412, fol 8r.
Psautier de Luttrell, XIVe siècle.
British Library, Add ms 42130, fol 179r.
Fol 151r.
Ce livre d’heures du début du XIVe siècle est illustré de scènes bizarres, souvent à double sens. Certains gags sont limpides, mais on ignore totalement ce que signifie cet unicorne qui se mord la queue.
British Library, Stowe ms 17, fol 103v.
Une licorne ver face à un dragon qui fait sa mue. Psautier de Rutland, XIIIe siècle.
British Library, Add ms 62925, fol 101v.
Combat de grylles. Psautier de la Reine Mary, circa 1320.
British Library, ms 2 B VII, fol 168v.
Livre d’heures, circa 1500.
British Library, Yates Thompson ms 29, fol 74v.
Romans arthuriens, circa 1280.
BNF, ms fr 95, fol 190v.
Chroniques de Jean Froissart, XVe siècle.
BNF, ms fr 2646, fol 176r.
Livre d’heures du margrave de Bade, 1488.
Badisches Landesbibliothek, cod Durlach 1, fol 57r.
Xenophon, La retraite des dix mille, XVIe siècle.
BNF, ms fr 701, fol 24v.
Vincent de Beauvais, Speculum Historiale, XVe siècle.
Chantilly, Musée Condé, ms 722, fol 147r.
Plafond au bestiaire, XIIIe siècle.
Metz, Musée de la cour d’or, Photo Jean-Michel Perruche.
Si quelques unes de ces étranges créatures participent à des scènes moquant la réalité du temps, la plupart n’ont guère de signification particulière. Ils nous montrent cependant que les hommes du Moyen Âge, au delà des discours religieux, étaient bien conscients tout à la fois de l’absurdité du monde et d’une certaine continuité entre l’humain, le végétal et l’animal.
Yale University, Beinecke Library, Rotschild Canticles, ms 404, fol 128v.
Celui-ci a un petit côté rhinocéros, quand même. Livre d’heures, circa 1325. New York, Morgan Library, ms m 754, fol 7r.
Là, on est sur une autre planète. La somme le Roi,, 1311.
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6329, fol 26v.
Psautier de Metz, XIVe siècle. Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 15v.
Saint Augustin, La cité de Dieu, circa 1420.
Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 9005.
Encore une licorne qui sort de sa coquille. Tite-Live, Décades>/i>, XIVe siècle.
Bibliothèque de Bordeaux, ms 730, fol 192r.
L’Ystoire du tres sainct Charlesmayne, XVe siècle.
BNF, ms fr 4970, fol 21v.
Faits des romains, circa 1325.
BNF, ms fr 295, p.176.
Une histoire bizarre dans un manuscrit où elles sont assez nombreuses.
British Library, Stowe ms 17, fol 62v.
Livre d’heures flamand, circa 1470.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, ms cod 1857, fol 36v.
Les licornes ne sont pas les seuls quadrupèdes à être fréquemment représentés sortant d’une coquille.
Livre d’heures, circa 1490.
bibliothèque d’Angers, ms 134f, fol 55v.
L’enlumineur a horreur du vide, et dans les plus beaux manuscrits, chaque fin de ligne était l’occasion de peindre parfois une longue bande de motifs géométriques ou végétaux, parfois une drôle de bestiole, un reptile dont le long corps se termine, dans la mage à droite de la page, par une tête d’évêque, de roi, de chevalier, de cerf ou de licorne.
Revoici d’ailleurs le livre d’heures de Cambridge dont je vous parlais la semaine dernière dans mon post sur les licornes gambadant dans les marges – d’autres licornes semblent vouloir s’y échapper du texte.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22
Un oiseau qui fait le malin…. Fol 23v.
La vache, le prêtre, la licorne et le chevalier. Livre d’heures, circa 1300.
Cambridge, Trinity College, ms B 11.22, fol 95r.
Une curieuse discussion. Fol 172r.
Si c’est un bisou de licornes, on peut en déduire que seul le mâle est cornu. Fol 202 r.
Le cerf et la licorne. Fol 69v.
Variante de la fin de ligne, les têtes et pieds de colonne. Bréviaire dominicain, XIVe siècle. BNF, ms NAL 3255, fol 250v.
La même licorne, ou presque, chez les franciscains – même si ça fait un peu luxueux pour des franciscains. BNF, ms lat 10843, fol 31v.
Fol 20r..
Livre d’heures de Jeanne d’Evreux.
New York, Metropolitan Museum, ms 54.1.2, fol 98v.
Psautier de Humphrey de Bohun, XIVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, Exeter ms 47, fol 121r.
Fol 68v.
Fol 38v.
Un autre psautier de la famille de Bohun, décoré par les mêmes enlumineurs anglais.
British Library, Egerton ms 3277, fol 98v.
Fol 78r.
Et certaines licornes sont plus classiques, même si celle-ci semble être bipède. Fol 148v.
Beaucoup de ces grylles, grotesques et chimères sont cornus, et plus souvent qu’à leur tour unicornes. À la fin du Moyen Âge, comme les licornes, ils ne disparaissent pas des manuscrits et se contentent de se faire plus discrets se cachant, comme les singes, licornes et hommes sauvages, dans les entrelacs végétaux un peu trop bien rangés qui envahissent les marges.
Livre d’heures, circa 1485.
Harvard, Houghton Library, ms lat 249, fol 5v.
Fol 100v.
Fol 105r.
Fol 111r.
La bestiole a bien la barbiche de la licorne. pour le reste…
Fol 119r.
Missel de Jean de Foix, Évêque de Comminges, 1492.
BNF, ms lat 16827, fol 281r.
Fol 191v.
Fol 288r.
Le lion cornu et la double licorne. Fol 73v.
Fol 279r.
Fol 373v.
Fol 67v.
Fol 368v.
Ménestrels est un petit jeu de cartes, que j’ai conçu avec mon amie Sandra Pietrini, qui a fait sa thèse sur les troupes de théâtre ambulantes à la fin du Moyen Âge. Chaque joueur y gère une troupe d’acteurs, de musiciens et d’acrobates et s’efforce de donner le plus beau spectacle aux nobles du coin, et surtout à la cour royale. Il a été illustré par mon ami David Cochard, qui a bien compris l’esprit des grylles médiévaux et en a mis sur toutes les cartes. Plusieurs, bien sûr, sont unicornes.
Si quelques unes en ont peut-être un, il serait certainement vain de chercher un sens à toutes les licornes qui galopent dans les marges des bréviaires ou des livres d’heures des XIIe et XIIIe siècles, puis qui se cachent dans les entrelacs de feuillages de ceux des XVe et XVIe. Ce n’est pas une raison pour ne pas vous en montrer quelques unes qui n’ont pu trouver leur place dans un livre qui manque sans doute un peu de marges.
L’enlumineur de ces deux bréviaires copiés vers 1300, aujourd’hui à la bibliothèque de Cambrai, a dessiné dans les marges de nombreuses scènes de chasse, dont certaines mettent en scène des créatures fantastiques, voire monstrueuses. Les chasses à la licorne, parfois à courre, y sont représentées sur le modèle de la casse au cerf.
Bibliothèque de Cambrai, ms 103C, fol 49r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103B, fol 81r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103B, fol 20r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103A, fol 112r
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 207v.
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 273r.
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 337v.
Parfois, des singes, figures récurrentes des décors enluminés de l’époque, se mêlent à la chasse, sans que l’on sache bien s’ils sont complices des chasseurs ou amis des licornes, ou s’ils profitent juste de l’occasion pour s’amuser un peu. C’est en particulier le cas sur les productions d’un atelier d’enluminure flamand dont je parle dans un autre post.
Une grande partie de l’humour médiéval nous échappe sans doute, faute de références, mais quelques gags que l’on pourrait trouver aujourd’hui dans des bandes dessinées sont encore très actuels. Des enlumineurs malins exploitaient ainsi le recto et le verso des feuillets, et le lecteur surpris devait sans doute prendre garde à ne pas rire trop bruyamment pendant l’office. Si le gags graphiques mettent plus souvent en scène singes, lapins, renards ou escargots, la licorne s’y glisse parfois.
British Library, Harley ms 6563, fol 91r.
La licorne s’est fait voler sa corne… qui est le voleur ?
La licorne dort tranquille dans un coin de la page.
BNF, ms fr 567, fol 15r.
Mais elle devrait se méfier….
La scène de la licorne piégée par une jeune et jolie vierge, empruntée aux bestiaires, se retrouve bien sûr également dans les décors marginaux de bien d’autres manuscrits, comme par exemple ce psautier du début du XIVe siècle, aujourd’hui à la bibliothèque de Metz.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 119r.
Psautier de Metz, BM 1588, fol 62r.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 62r.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 184v.
Cette image devrait être dans le chapitre suivant…
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 15v.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 75.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 208r.
Si leur nombre reste inférieur à celui des singes, des lapins ou même des biches, les licornes sont une figure assez fréquente des décors, qu’ils soient réalistes, fantastiques ou burlesques. Elles sont assises sur le bord des lettrines ou gambadant au dessus du texte, parfois chevauchées par des singes, sur les pages des bréviaires, psautiers et livres d’heures des XIIIe et XIVe siècle. En voici donc une dizaine d’autres, un peu au hasard.
Romans arthuriens, circa 1300. Yale University, Beinecke Library, ms 229, fol 320v.
Livre d’heures d’Isabelle de Luxembourg, début du XIVe siècle.
Chantilly, musée Condé, ms 62 (1463), fol 1v.
Psautier, circa 1260. Bibliothèque de Besançon, ms 54, fol 44.
Bible du XIIIe siècle. Pennsylvania University, Kislak Center, ms codex 724, fol 309v.
Pontifical de Guillaume Durand, évêque de Mende, circa 1357. Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 143, fol 232r.
Livre d’heures, circa 1280. Bibliothèque de Marseille, ms 111, fol 61v.
Psautier, circa 1320.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 6, fol 136v.
Bréviaire Dominicain à destination royale, début du XIVe siècle.
BNF, NAL 3255, fol 250v.
Somme le Roi, 1311.
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6329, fol 135r.
Livre d’heures, circa 1320.
Bibliothèque du Vatican, ms bav pal lat 538, fol 138r.
Un singe sur une licorne affronte un écureuil sur une chèvre. Brunetto Latini, Livre du trésor, XIVe siècle.
British Library, Yates Thompson ms 19, fol 3r.
Psautier, fin du XIIIe siècle.
BNF, ms Smith Lesouef 20, fol 18r.
Psautier, fin du XIIIe siècle.
BNF, ms Smith Lesouef 20, fol 73r.
Les licornes juives ne sont pas différentes des chrétiennes.
Pentateuqye, circa 1390.
British Library, Add ms 19776, fol 170r.
Les marges des manuscrits des XVe et XVIe siècle sont plus chargées, parfois même un peu confuses. Les animaux s’y perdent de plus en plus dans une végétation envahissante. Les licornes y ressemblent plus à celles que nous connaissons aujourd’hui, blanches, mi-caprines mi-équines, sabots fendus. Sur le premier feuillet d’un manuscrit, ou revenant régulièrement toutes les dix ou douze pages, elles peuvent être une sorte d’ex-libris indiquant le propriétaire originel de l’ouvrage, en particulier lorsqu’elles sont accolées, ou colletées, c’est à dire arborent un collier ou une couronne autour du cou.
Le Livre des hystoires du Mirouer du monde , XVe siècle.
BNF, ms fr 328, fol 10r.
Livre d’heures de Jan van Amerongen er Mary van Vronenstey, circa 1460.
Bruxelles, Bibliothèque Royale de belgique, ms II 7619, fol 243r.
Brunetto Latin, Livre du Trésor, XVe siècle.
Bibliothèque de Genève, ms fr 160, fol 82r.
Licorne héraldique issante sur un livre d’heures du XVe siècle.
Moscou, Bibliothèque d’État de Russie, ms Ф 183.1 N446, fol 149r.
La licorne et le blason indiquent que ce volume appartenait à Antoine de Chourses, chambellan de Louis XI. Ils ont été ajoutés sur un manuscrit dont il n’était sans doute pas le premier propriétaire.
Les Faits des Romains, circa 1480.
Chantilly, Musée Condé, ms 770, fol 1r.
Antoine de Chourses avait beaucoup de livres, qui sont tous à Chantilly.
Un dernier, la Guerre des juifs de Flavius Josèphe, circa 1480.
Livre d’heures du XVe siècle.
Bibliothèque nationale d’Espagne, ms Vitr 25.3, fol 83v.
Fol 174r.
Le plus souvent cependant, elles restent purement décoratives, comme celles des manuscrits plus anciens. Dissimulées dans les feuillages, certaines sont juste un peu plus difficiles à débusquer.
Vie de Sainte Catherine, XVe siècle. Bibliothèque Nationale, ms Néerlandais 129.