Aux XVe et XVIe siècles, en particulier dans le monde germanique, la chasse à la licorne, jusque là allégorie de l’Incarnation puis de la Passion, devient une représentation de l’Annonciation, à la symbolique parfois assez chargée.
Sur les triptyques peints et sculptés, sur les tentures de devant d’autel, sur les murs des églises peintes, l’Ange Gabriel, en chasseur sonnant du cor, pousse devant lui ses chiens, précipitant la licorne, image de l’Esprit Saint, dans le giron de la Vierge. Il en reste pas mal d’images, il en resterait plus encore si, au XVIe siècle, les réformés n’avaient effacé ou recouvert nombre des fresques décorant les églises.
Bréviaire dominicain, XVe siècle.
Bibliothèque des dominicains de Colmar, ms 494, fol 120v.
Litanies de la Vierge. Graduel, 1546. Douai, ms 109, fol 12v.
Prières de la nativité sur un missel allemand du XVe siècle. En haut, la chasse mystique à la licorne, à droite, l’arbre de Jessé, arbre généalogique du Christ.
St Gallen, Stiftsbibliothek, Cod.Sang.357, fol 315
Miniature collée à l’intérieur de la reliure d’un volume de Thomas d’Aquin. La moitié gauche est au début du livre.
La moitié droite est à la fin. Wroclaw, ms Akc 1948724.
Cette miniature illustre un poème marial, À l’unicorne agréable pucelle, qui reprend tout à la fois le thème de la chasse à la licorne et celui de sa corne purifiant les eaux. La composition est un peu confuse, mais on y reconnaît la chasse mystique. Chants royaux en l’honneur de la Vierge au Puy d’Amiens, XVIe siècle. BNF, ms fr 145, fol 28v
Annonciation à la licorne sur parchemin, Allemagne, circa 1500.
New York, Morgan Libray, ms M 1201
Annonciation alchimique (j’explique cela dans le chapitre jusqu’où peut-on aller trop loin?
Yale, Beinecke Library, Mellon ms 110, fol 407v.
Celle-ci est un faux des années 1900 – j’en parle dans mon livre.
Coffret en bois allemand du XVe siècle.
Musée de Cluny.
Plaque de céramique allemande, circa 1500.
New York, Metropolitan Museum.
Plat en bronze, circa 1500.
Vitrail héraldique aux armes des Lichtenfels, 1515.
Clevemand Museum of Art.
Annonciation, circa 1460. Église de Jenikov, Tchéquie, circa 1460.
Annonciation à la licorne, fin du XVe siècle.
Collection privée.
Triptyque de devant d’autel, circa 1490.
Stadtschloss Weimar.
Chasse mystique, 1515.
Cathédrale de Merseburg, Allemagne..
Chapelle du château d’Aufenstein, en Autriche. XVIe siècle.
Diptyque de la fin du XVe siècle, attribué à l’entourage de Martin Schöngauer (1450-1491). Le tableau a été découpé, et on ne voit plus le visage de Dieu observant la scène depuis le buisson ardent.
Maître autel de l’église des dominicains de Colmar, aujourd’hui au musée Unterlinden de Colmar.
Nicola Froment, Triptyque du buisson ardent, 1475.
Église Saint-Sauveur, Aix en Provence.
Fresque de l’Église de la Sainte Croix, Hattula, Finlande.
Triptyque de devant d’autel, circa 1430. Stadtschloss Weimar.
Triptyque de devant d’autel, circa 1500. Couvent des ursulines à Erfurt.
Triptyque de devant d’autel, circa 1500, cathédrale d’Erfurt.
Giovanni Maria Falconetto, Annonciation à la licorne, circa 1510.
Église Saint-Pierre Martyr, Vérone.
Une annonciation avec licorne ET colombe, attribuée à l’entourage de Martin Schöngauer, fin XVe siècle.
Musée Pouchkine, Moscou.
Tablier d’autel, circa 1512. Église de Friesach, Autriche.
Triptyque de devant d’autel, circa 1515.
Église de Maria-Gail, Villach, Autriche.
Polyptyque de l’annonciation de l’église Sainte-Élisabeth de Wroclaw, aujourd’hui au musée national de Varsovie, circa 1480.
Triptyque de l’Annonciation, 1506. Cathédrale de Lubeck, Allemagne.
Polyptyque de l’Annonciation, 1474.
Église Sainte-Catherine de Salzwedel, Allemagne.
Bas relief, circa 1440. Église Saint-Martin de Stadthagen, Allemagne.
Devant d’autel en bois sculpté, circa 1520.
Musée de Mechelen, Belgique.
Cet antependium, tenture de devant d’autel, de la fin du XIIIe siècle est peut-être la première Annonciation à la licorne – mais la colombe est aussi là. Vienne, MAK.
Tapis de pupitre du XVe siècle provenant de l’abbaye bénédictine d’Ebstorf, en Allemagne.
Tenture de devant d’autel allemande de la fin du XVe siècle. Je ne sais pas ,où elle se trouve….
Chasse mystique, circa 1480. La symbolique de l’ensemble est un peu confuse. Zurich, Landesmuseum.
Tapisserie rhénane, circa 1500.
Munich, Bayerische Landesmuseum.
Gravure anonyme, circa 1460.
Historia Wilhelm von Österreich, 1491.
Der Beschlossen Gart der Rosenkrantz Marie, 1505.
La position de la corne montre bien que la scène représente l’incarnation.
Pas de licorne ici, mais cette allégorie profane de la logique s’inspire des chasses mystiques. Margarita Philosophica, 1503.
Margarita Philosophica, 1508.
Il en va de même sur cette gravure d’Erhard Schön, vers 1525, montrant des démons poursuivant moines et prêtres catholiques jusqu’à la gueule de l’enfer.
Une chasse mystique figure encore sur ce vitrail de la fin du XIXe siècle.
Friburg, Augustinermuseum.
Le jeune David tuant à mains nues un lion et un ours, auxquels l’enlumineur a ajouté une licorne pour faire bon poids.
British Library, Add ms 42131, fol 95r.
‘autres images de licornes illustrant les quelques passages de la Vulgate où l’animal est cité, notamment Job et les Psaumes, et d’autres où elle ne l’est même pas, comme le songe de Nabuchodonosor dans le livre de Daniel.
Bien qu’aucun quadrupède n’y soit nommément cité, c’est bien sûr dans les miniatures et gravures illustrant la Genèse que les licornes, seules ou en couple, sont les plus nombreuses. Plusieurs chapitres de mon livre, et plusieurs articles de ce blog sont donc consacrés à la Création des animaux, à la vie calme puis tumultueuse du jardin d’Eden, et à l’Arche de Noé. J’ai également parlé dans un article à part du bouc unicorne du livre de Daniel, qui est un bouc et donc pas vraiment une licorne.
La bible hébraïque connaissait le reem, sans doute un bœuf sauvage ou un buffle. La version grecque des Septante en avait fait un monoceros/ Dans la Vulgate latine il était devenu tantôt rhinoceros, tantôt unicornis, mais tous deux étaient plus ou moins notre licorne.
King James Bible, éd. 1611. Deuteronome XXXIII.
Psaume XXII.
Psaume XXIX.
Job XXXIX.
Isaie XXXIV
Sur le psautier carolingien dit de Stuttgart, daté des années 820, apparaissent déjà deux licornes à la silhouette massive, l’une illustrant le psaume XXIII, Salva me ab ore leonis, et a cornibus unicornium (libère moi de la gueule du lion et des cornes des licornes), l’autre le psaume XCI, Et exaltabitur sicut unicornis cornu meum (ma corne sera exaltée comme celle de la licorne).
Salva me ab ore leonis, et a cornibus unicornium
Psautier de Stuttgart, circa 820.
Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Bibl. fol. 23, fol 27r.
Et exaltabitur sicut unicornis cornu meum. fol 108v.
Les illustrations du psautier d’Utrecht et de sa copie le psautier Harley, tous deux du XIe siècle, reprennent dans le moindre détail les textes de certains psaumes. Deux licornes y apparaissent aux psaume XXI, Libère-moi de la gueule du lion et des cornes de la licorne, et XXVIII, L’Éternel brise les cèdres du Liban, Il les fait sauter comme les jeunes taureaux et les faons des licornes. Sur la première image, en bas à droite, des lions et une licorne attaquent deux hommes armés de faux qui ont visiblement bien besoin d’un coup de main de l’Éternel. Sur la deuxième, une licorne brise un cèdre du Liban, mais la scène est truquée, puisqu’on voit les anges qui soufflent en arrière-plan.
Bibliothèque d’Utrecht, ms 32, fol 12r.
Fol 16r.
On retrouve les mêmes compositions, avec quelques couleurs en plus, sur des psautiers du XIIe siècle.
Psautier de Canterbury, XIIe siècle. BNF, ms latin 8846, fol 36v.
fol 47v.
Psautier d’Eadwine, XIIe siècle. Cambridge, Trinity College ms R.17.1, fol 36v.
Psautier d’Eadwine. Cambridge, Trinity College, ms R 17.1, fol 36v.
Dans le livre de Job, au chapitre XXIXX, on trouve qu’un rhinoceros : « Numquid volet rhinoceros servire tibi, aut morabitur ad praesepe tuum? Numquid alligabis rhinocerota ad arandum loro tuo, aut confringet glebas vallium post te? Numquid fiduciam habebis in magna fortitudine ejus, et derelinques ei labores tuos? »
Tout au long du Moyen Âge, les érudits, suivant en cela Saint Grégoire dans ses commentaires sur Job écrits à la fin du VIe siècle, voient dans ce puissant rhinoceros le même animal que la licorne qui se laisse attendrir par une jeune vierge. Les artistes donnant à la bête une silhouette plus proche de notre licorne que du rhinoceros, cela nous vaut dans les bibles enluminées les rares occurences iconographiques de licornes de labour.
Bible moralisée, fin du XIIIe siècle. Oxford, Bodleian Library, ms Bodl 270 b, fol 223v.
Bible moralisée, circa 1230. Vienne, ÖNB, cod 1179, fol 159v.
Dans les premières bibles en langue vulgaire, ce rhinocéros fut d’ailleurs le plus souvent traduit par licorne, comme dans la Bible catholique de Louvain, en 1560 : « La licorne voudra elle te servir, ou demeurera-t-elle à ta crèche ? Pourras-tu lier la licorne de ta courroye pour labourer ? ou rompra-t-elle les mottes de terre des vallées après toi ? Auras-tu fiance en sa grand’force, lui commettras-tu tes labeurs ?».
Bible moralisée, circa 1350. BNF, ms fr 166, fol 112r.
Livre de Job, manuscrit grec du XIVe siècle.
BNF, ms Grec 135, fol 225r .
Dans une bible d’aujourd’hui, Job XXXIX 9-10 est devenu, ce qui est sans doute plus proche du sens originel : « Le buffle se mettra-t-il à ton service ? Passera-t-il la nuit dans ton étable ? Labourera-t-il tes sillons ? Rompra-t-il les mottes de terre après toi ? Auras-tu confiance en lui malgré sa force prodigieuse ? Lui abandonneras-tu le fruit de tes travaux ? ».
Voici, dans une traduction du XVIIe siècle, ce que Saint Grégoire écrit du rhinocéros, devenu licorne, dans ses Moralia in Job, un texte souvent recopié et commenté :
Comme cette mystérieuse licorne, après avoir reçu la pâture de la prédication, doit en faire voir les fruits par ses actions, l’Écriture dit fort bien ensuite « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer. Ces courroies de l’Église sont ses commandements et sa discipline, et labourer n’est autre chose que fendre la terre des cœurs comme par le fer de la prédication. Ainsi cette licorne, autrefois si fière et si indomptable, est maintenant liée des courroies de la foi, et se laisse mener de l’étable à la charrue pour labourer, parce que plusieurs étant convertis, s’efforcent eux-mêmes de faire connaître aux autres cette même foi dont ils ont été repus. L’on sait avec quelle cruauté les princes de la terre ont autrefois persécuté l’Église de Dieu, et l’on voit avec quelle humilité ils lui sont maintenant soumis par la vertu de sa grâce. Or cette licorne n’a pas simplement été liée, mais elle l’a été pour labourer: parce que celui qui est attaché dans l’Église par les courroies de la discipline , non seulement s’abstient du péché, mais s’exerce même dans la prédication pour y attirer les autres. Quand donc nous voyons que les prince et les conducteurs des peuples viennent eux-mêmes à craindre Dieu dans leurs actions, ne peut-on pas dire qu’ils sont comme liés des saintes courroies de l’Église? Quand aussi ils ne cessent point de prêcher par leurs lois sacrées cette même foi qu’ils avaient autrefois si fortement combattue, n’est-ce pas comme tirer avec un continuel effort la charrue de la foi ? Je Prends plaisir à considérer cette licorne, c’est à dire le Prince de la terre, lié des courroies de la foi, qui porte comme une corne redoutable sur le front, par la puissance du siècle qui réside en sa personne, et qui soutient le joug de l’Évangile par l’amour de Dieu. Cette fière licorne serait à craindre, si elle n’était point liée. Car elle a une corne, mais elle est liée. Les humbles trouvent dans ces saintes courroies ce qu’ils doivent aimer et les superbes dans cette corne redoutable ce qu’ils doivent craindre. Ce grand prince étant lié de ces courroies spirituelles conserve soigneusement la douceur et la piété mais étant armé de cette corne de gloire et de grandeur terrestre, il exerce son autorité et sa puissance. Souvent quand on le provoque à la colère et à la vengeance, il est retenu par le sentiment de la crainte de Dieu. Quelquefois en offensant sa puissance souveraine, on l’anime de fureur, mais faisant aussitôt réflexion sur le juge qui est éternel, sa corne se trouve liée par cette pensée, de sorte qu’il s’adoucit et qu’il s’humilie. Il me souvient d’avoir vu moi-même assez souvent que lorsque cette puissante licorne était toute prête à donner de furieux coups, et qu’ayant déjà élevé cette corne terrible, elle menaçait d’une manière redoutable les moindres bêtes, c’est à dire ses sujets, d’exil, de mort, et d’autres semblables punitions, ce pieux prince faisant aussitôt le signe de la croix sur son front, éteignait en un moment dans son âme cet embrasement de fureur, que se tournant vers Dieu, il se dépouillait de toute colère, et que comme il se sentait impuissant d’accomplir tout ce qu’il avait résolu, il reconnaissait bien qu’il était lié. Mais il ne se contente pas de dompter soi-même sa propre colère, il s’efforce encore d’insinuer dans les cœurs de ses sujets tout ce qu’il y a de bien et de juste, et veut faire voir lui-même par l’exemple de son humilité propre, que tout le monde doit avoir imprimée dans le fond de l’âme une sincère vénération pour l’Église sainte. Dieu dit donc à Job: « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer? » comme s’il lui disait en termes plus clairs : Croyez-vous pouvoir réduire les grands du monde qui se glorifient dans leur folle vanité, au travail de la prédication et les attacherez-vous des liens de la discipline? Il faut ajouter, comme moi qui l’ai fait quand je l’ai voulu, et qui de ceux que j’ai autrefois souffert si longtemps pour persécuteurs et pour ennemis, en ai fait depuis fait des défenseurs de ma foi.
— Les morales de Saint Grégoire Pape sur le livre de Job, 1669
Bible de Roda, XIe siècle.
BNF, ms lat 6-3, fol 65v.
Speculum humanæ salvationis, circa 1360.
Darmstadt, HS 2505, fol 44v.
Fleur des chroniques depuis la création du monde, XIVe siècle.
Besançon, ms 677, fol 13r.
On ne croise nulle licorne dans le livre de Daniel, qui décrit la captivité du peuple juif à Babylone. Pourtant, la licorne est devenu classiquement l’un des animaux représentés dans la scène du songe prophétique de Nabuchodonosor, qui rêve d’un arbre reliant la terre au ciel, sous l’ombre duquel se reposent les bêtes et sur les branches duquel les oiseaux font leur nid. Plus rarement, elle apparait aussi lorsque les choses tournent mal pour le roi de Babylone, qui perd la raison et vit parmi les animaux, parmi lesquels le texte biblique ne cite que les bœufs.
Les licornes sont très nombreuses dans les marges et les décors animaux des manuscrits religieux juifs du Moyen Âge. Elle y côtoie de très nombreux lions, mais aussi des dragons, des chèvres, des éléphants et pas mal de créatures assez bizarres.
Torah du XIVe siècle. British Library, Add ms 15282, fol 238r.
Fol 75v.
Fol 296v.
Fol 314 r.
David jouant de la harpe. Fol 302r.
Fol 307v.
Si ce volume est l’un de ceux où les licornes sont les plus présentes, on les croise à l’occasion sur bien des manuscrits enluminés, qu’ils aient été copiés en Espagne ou en Allemagne. Comme les dragons et autres griffons, ces quadrupèdes, et parfois bipèdes, unicornes sont purement décoratifs. Seul le couple du lion et de la licorne affrontés, relativement fréquent, avait peut-être un sens vaguement symbolique.
Asher ben Yehiel, Abrégé du Talmud, circa 1480. BNF, ms Hebr 418, fol 308,
Torah, 1309. Bibliothèque de Hamburg, cod Levy 19, gol 97r.
Mahzor, circa 1415. Les Mahzors sont des livres de prières pour les différentes fêtes, un peu l’équivalent des livres d’heures chrétiens.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod hebr 242, fol 96.
Une licorne et une bestiole bizarre, un peu sirène et un peu dragon. Mahzor, circa 1614. British Library, ms Harley 5794, fol 17r.
Plus classique, le lion et la licorne. British Library, ms Harley 5794, fol 17r.
Mahzor allemand du XIIe siècle.
Pentateuque, circa 1390.
British Library, Add ms 19976, fol 70r.
Bible de Cervera, fin du XIIe siècle.
Bibliothèque Nationale du Portugal.
Mahzor, circa 1300. Dresde, Bibliothèque Universitaire, ms Dred A 46 a, fol 132r.
La scène de la chasse à la licorne du Physiologus a connu plusieurs lectures tout au long du Moyen Âge, mais toutes étaient chrétiennes. Ce récit n’a donc rien à faire dans les décors des manuscrits juifs. Qu’on l’y trouve parfois, comme sur ce Pentateuque du XIIIe siècle au style graphique typique de l’enluminure juive rhénane, montre à quel point cette histoire était devenue un classique, relevant autant de l’histoire naturelle que de l’allégorie chrétienne.
Pentateuque Rothschild,Allemagne, 1296. Los Angeles, Getty Museum, ms 116, fol 169r
Sur la toute première page d’une bible juive du XVe siècle, on découvre même jeune vierge à la licorne d’allure très mariale. Dans la ville d’Italie où ce manuscrit a été réalisé, sans doute Ferrare, il y avait assez de travail pour un ou deux copistes juifs, mais pas pour un enlumineur. C’est donc un artiste chrétien qui fut chargé des décors. On ignore s’il a simplement, sans se poser de questions, illustré une bible juive avec les images qu’il mettait habituellement sur les livres chrétiens, ou s’il a voulu faire une bonne blague à un commanditaire que, visiblement, cela ne gênait guère puisque la scène n’a pas été effacée ou recouverte.
Bodleian Library, ms Canonici Or 61, fol 2r.
Une licorne brune apparaît dans un médaillon d’un très riche Mahzor, recueil de prières pour les fêtes juives, copié vers 1490. Les enluminures sont l’œuvre, là encore, d’un atelier chrétien, celui de Boccardin il Vecchio (1460-1529), qui n’employait sans doute qu’un ou deux artistes juifs pour bien dessiner les lettres et ne pas faire de grosses bêtises dans les scènes religieuses. SI les miniatures illustrent les fêtes juives, les frises qui les entourent ne sont en rien différentes de celles que le même atelier réalisait pour les Medicis ou d’autres grandes familles florentines. Ni la licorne brune du médaillon, ni les deux petites licornes dorées de la reliure, ne sont donc particulièrement juives.
Mahzor, circa 1490. Collection privée.
La micrographie figurative, peut-être à l’origine une astuce inventée dans le monde arabe pour faire des dessins en prétendant que c’est du texte, a été surtout utilisée par les copistes juifs. Ce sont souvent des animaux qui sont ainsi représentés à l’aide de commentaires des textes religieux.
Torah, Allemagne, XIIIe siècle. BNF, ms Hebr 6, fol 72v.
Une sacrée licorne en micrographie dans une copie du Pentateuque, circa 1280.
British Library, Add MS 21160, fol 198r
On peut aussi mettre les animaux dans les lettres.
Asher ben Yehiel, Abrégé du Talmud, vers 1480. BNF, ms Hebr 418, fol 198r.
Torah, Allemagne, XIIIe siècle. British Library, Oriental ms 2091, fol 268r.
Recueil liturgique, XIVe siècle.
BNF, ms Hebr 643, fol 7v.
Pentateuque, XIIIe siècle.
BNF, ms Hebr 41, fol 135v.
La maquettiste a judicieusement choisi d’illustrer ce chapitre de mon livre par la plus belle miniature illustrant la discussion entre l’Oku et de l’Ofer dans le Mashal ha Kadmoni. Ce recueil de fables animalières fut le premier livre imprimé en hébreu, à Brescia en 1491, et fut régulièrement réédité. Voici donc quelques autres miniatures et gravures de la même scène.
Meshal Ha Kadmoni, circa 1450.
Oxford, Bodleian Library, ms 0pp 154, fol 48v
Meshal Ha Kadmoni, circa 1450.
Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod hebr 107, fol 90r.
Meshal ha Kadmoni, 1491.
Meshal ha Kadmoni, 1693.
Meshal ha Kadmoni, 1491.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le couple du lion et de la licorne debout face à face – en héraldique, on dit affrontés – est souvent figuré sur les murs et les plafonds des synagogues, sur les pierres tombales et sur quelques objets rituels. Autant la signification du lion de Juda est claire, autant celle de la licorne est assez vague, et ne semble jamais avoir été vraiment explicitée. Un autre chapitre de ce blog est consacré spécifiquement à ce couple, également présent à la même époque dans le monde slave. Le couple de deux lions est bien sûr plus fréquent ; celui de deux licornes est plus rare, mais se rencontre à l’occasion.
Une autre licorne, affrontée cette fois à un lion, dans la synagogue de Gwozdziec.
Plafond de bois peint de la synagogue de Gwozdziec, en Pologne, détruite par les nazis en 1941.
Keter Torah, Pologne, XVIIIe siècle. Metropolitan Museum, New York
Bouclier de la Torah, XIXe siècle. Collection privée
Boitiers a tephilin, Pologne, XIXe siècle. Coll privee
Cimetière juif de Valcinet, Moldavie.
Toutes ces tombes datent de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Photo CHristian Herrmann.
Cimetière juif de Iassinia, Ukraine.
Photo Ennkko, Wikimedia Commons.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann.
Cimetière juif de Polonoye, Russie.
Photo Azarya Rozet.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Yablunov, en Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Horodok, Ukraine. Photo Dmitry Polykhovich.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Boris Khaimovich.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Boris Khaimovich.
Cimetiere juif de Pechenizhyn, Ukraine.
Cimetière de Bolekhiv, Ukraine.
Cimetière juif de Medzhybyzh, en Ukraine.
Photo Mikhailo Potupchik, Wikimedia Commons.
Voici enfin quelques exemples de tentatives de reconstitution des blason des douze tribus d’Israël, au XVIIe et XVIIIe siècle, généralement par des auteurs chrétiens. Il y en a de plus anciennes, mais je ne crois pas que l’on y trouve de licornes.
Les bannières des douze tribus d’Israël. Johann Jakob Scheuchzer, Physica Sacra, vol III, tab CCLXXXVIII, 1732.
Michel-François d’André Bardon, Costumes des anciens peuples, 1774.
Willem Goeree, La République des Hébreux, 1705.
Nicholas Mcleod, Illustrations for the epitome of the ancient history of Japan, 1879. L’auteur pense avoir retrouvé au moins deux des dix tribus perdues d’Israel, une en Angleterre et une au Japon.
oins connu aujourd’hui que le récit de la chasse à la licorne, ou même celui la licorne purifiant les eaux, le dit de l’unicorne était au Moyen Âge l’un des contes mettant en scène la bête unicorne. Ce texte venu d’Inde en passant par les recueils de fables arabes, grecs et slaves, ce qui nous vaut de nombreuses images dans des styles très variés, donnait de l’unicorne une image violente et même diabolique. Il passa de mode à la Renaissance, quand la licorne devint plus blanche et pure.
Je cite dans mon livre l’une des versions les plus connues de ce texte, celle de Jacques de Voragine dans la Légende dorée. En voici une autre, celle du pseudo Jean Damascène, en français du XVIe siècle parce que je l’ai trouvée comme ça et que c’est rigolo.
Psautier, circa 1290.
New York, Morgan Library, ms M 279, fol 354v.
La parabole de l’unicorne contre ceulz qui aiment le siècle.
Vincent de Beauvais, Miroir Historial, circa 1335. Bibliothèque de l’Arsenal, ms Rés 5080, fol 378r.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, XVe siècle. BNF, ms fr 51, fol 175r.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, XIVe siècle. BNF, NAF 15942, fol 69v.
Parquoy ceux qui servent à un Seigneur si rude & maling & s’esloignent malheureusement de celuy qui est bon, gracieux & débonnaire,& béent aux choses présentes, & y sont attachez, & n’ont aucune cogitation de l’advenir, ains desirent incessamment les délectations corporelles, laissans mourir de faim leurs ames & estre affligéees de maux innumerables : Je les répute semblables à l’homme fuyant de devant une licorne furieuse, lequel ne pouvant soustenir le son de sa voix, & terrible mugissement, fuyoit vistement de crainte d’estre dévoré d’elle.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, circa 1380. BNF, ms fr 313, fol355r.
Les miracles de Notre Dame, circa 1330.
La Haye, KB, ms NL 71A24, fol 52r.
La légende de Barlaam et Josaphat en Italien, XIVe siècle. Bibliothèque Nationale d’Espagne, ms Res 239, fol 20v.
Livre d’heures, circa 1350.
Baltimore, Walters Art Museum, ms W 105.
Le ci nous dit, circa 1340.
Chantilly, Musée Condé, ms 26, fol 124v.
Saint Augustin, La cité de Dieu,circa 1375.
Cette miniature de la tentation s’inspire des représentations de la légende Barlaam et Josaphat.
De arbore altissima supra montem posita, XVe siècle.
Pas de licorne non plus ici, mais des lions, des loups et des ours. Le récit s’inspire de la légende Barlaam et Josaphat.
Or comme il couroit hastivement, il cheut en certain precipice, & en cheant, estendant ses bras, embrasse un petit arbre, lequel il tint fermement, & appuyant ses pieds sur ce qu’il trouva d’aventure, luy sembla qu’il seroit de là en avant en paix & asseurance. Or regardant de près, il veit deux Souris, l’une blanche, l’autre noire, rongeans incessamment la racine de ce petit arbre qu’il tenoit, & ne s’en falloit gueres qu’elles ne l’eussent trenché du tout.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1402.
UB Leiden, ms VVG F4, fol 146r.
Behalde here as þou may se
A man standyng in a tree.
British Library, Add ms 37049, fol 19v.
Hugo von Trimberg, Der Renner, circa 1450.
Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 7375, fol 111v.
Hugo von Trimberg, Der Renner, circa 1410.
UB Innsbruck, ms 900, fol 163r.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1402.
Staatsbibliothek Leipzig, ms Rep II 21, fol 176r.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1468.
Cologny, fondation Bodmer, ms Bodmer 91, fol 185r.
Contemplant aussi le fond de ce précipice, il veit vn Dragon de terrible regard, jettant feu par les narines, & regardant furieusement, ouvrant la gueule, le desiroit dévorer. Et derechef regardant le lieu où ses pieds estoient appuyez, il veit quatre testes d’aspics, qui sortoient tout auprès de ses pieds.
Gravure de Boetius Adamsz Bolswert, circa 1616.
Gunther Zainer, Cronica von eynem heyligen kunig mit namen Josaphat,1476.
Barlaam et Josaphat, Augsburg, 1480.
Bodleian Library, Douce 184.
Fresque de Cristoforo di Bindoccio et Meo di Pero, Palazzo Corboli, Sienne, circa 1370.
Fresque de l’église Saint-Laurent à Bischoffingen, Vogtsburg in Kaiserstuhl, en Allemagne.
Photo Jörgens mi, Wikimedia Commons.
Plafon de l’église de Vester Broby, au Danemark, 1380.
Photo Birgitte Svaerke Pedersen.
Musée de la cathédrale de Ferrara.
Wikimedia Commons, Photo Sailko
Baptistère de Parme, XIIe siècle. Le dragon est tout seul, la licorne est absent. Les chars du soleil et de la lune, des deux côtés, illustrent comme les deux rats le passage du temps.
Photo Sailko, Wikimedia Commons.
Et eslevant ses yeux en hault, vit un peu de Miel, qui distilloit des branches de ce petit arbre. Parquoy mettant en oubly les maux & dangers qui l’enuironnoient, sçavoir est que la furieuse Licorne estoit en hault, qui le guettoit, cerchant à le dévorer, & au fond le terrible Dragon qui le vouloit engloutir, & l’arbre qu’il tenoit estoit presque couppé, & que ses pieds estoient si mal assis: Oubliant donc tous ces dangers,il fut alléché de la doulceur du miel, & estendit le bras pour en prendre.
Psautier grec de Théodore, XIe siècle.
British Library, Add ms 19352, fol 182v.
Psautier grec, XIe siècle.
Bibliothèque du Vatican, ms Barb gr 372, fol 237v.
Histoire du moine Barlaam et de Josaphat, roi des Indes,, XIVe siècle.
BFF, ms Grec 1128, fol 68r.
Ceste similitude est de ceux, qui sont adhérans à la séduction du présent siècle, l’exposition de laquelle je te diray maintenant. La Licorne est la figure de la mort, laquelle poursuyt tousjours, & désire attrapper le genre humain. Le Precipice, c’est ce monde, remply de tous maux & Iassets mortels. Le petit Arbre que nous tenons, qui est incessamment rongé de deux Souris, est la mesure de la vie d’un chacun, laquelle se consomme & diminue par chasque heure, tant du jour que de la nuict, & peu à peu vient à la fin .
Psautier de Kiev, 1397.
Saint Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms ОЛДП.F.6, fol 197r.
L’histoire de Barlaam et Josaphat, XVIIe siècle.
Saint-Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms F I 880, fol 87v.
L’histoire de Barlaam et Josaphat, XVIIe siècle. Saint-Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms ОЛДП Q. 17, fol 92r.
Icone mariale, 1545. Monastère de Solovetsky.
Manuscrit de vieux croyants, XIXe siècle.
Saint Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms НСРК. Q. 320, fol 74r.
Et les quatre Aspics signifient les quatre fragiles & instables élémens desquels le corps humain est composé, lesquels estans desordonnez & troublez, le corps se diflfoult. Et ce grand Dragon cruel & flamboyant, figure le terrible ventre d’enfer, désirant engloutir ceux qui préposent les présentes délectations aux biens à venir. Et la petite goutte de miel, dénote la doulceur des voluptez du monde, par laquelle ce séducteur ne permet que ses amis voyent leur propre salut, ny le danger où ils sont.
Histoire de Barlaam et de Josaphat, roy des Indes, composée par sainct Jean Damascène, et traduicte par F. Jean de Billy, Paris, 1574.
Histoire de Barlaam et de Joasaph, XVIIIe siècle. BNF, ms arabe 274, fol 55r.
Histoire de Barlaam et de Joasaph, XVIIIe siècle.
BNF, ms arabe 273, fol 42r.
Pas de licorne sur la miniature, mais elle est citée dans le texte. Kalila wa Dimna, , XIVe siècle.
Certains enlumineurs ne manquaient pas d’humour. Au début du XIVe siècle, celui qui illustra un livre d’heures aujourd’hui à la British Library, le Stowe ms 17 que j’ai déjà cité une ou deux fois sur ce blog, appréciait particulièrement les double sens un peu absurdes. Il a donc regroupé dans le même dessin deux légendes, celle de Barlaam poursuivi par la licorne et le dragon, et celle de la licorne imprudente plantant sa corne dans le tronc d’un arbre. Le résultat n’a allégoriquement plus aucun sens.
British Library, ms Stowe 17, fol 84v.
On devine au verso, en transparence, Renard invitant des poules et une oie à passer la soirée chez lui; ça va sans doute mal finir.
Un poème du début du XVIe siècle, donc contemporain des tapisseries du musée des Cloisters, contant une chasse à la licorne.
L’unique manuscrit de ce poème. BNF, ms fr 2205, fol 39v.
Le grand veneur qui tout mal nous pourchasse, Portant epieux agus et affilés, Tant pourchassa par sa mortelle chasse, . Qu’il print un cerf en ses lacz et filets Lesquels avoit par grand despit fillés Pour le surprendre au beau parc d’innocence. Lors la licorne en forme et belle essence Saillant en l’air comme royne des bestes, Sans craindre envieux et canin, Monstrer se vint au veneur à sept testes Pure licorne expellant tout venin.
Chasse à la licorne dans la bordure de la tapisserie de Bayeux, circa 1080.
Le faulx veneur, cornant par fière audace, Ses chiens mordants sur les champs arrangés, L’espérant prendre en quelque infecte place, Par la fureur de tels chiens enragés ; Mais desconfits, las et decouragés, Ne luy ont faict morseure ou violence, Car le lyon de divine excellence La nourrissoit d’herbes et fleurs célestes, En la gardant par son plaisir benin, Sans endurer leurs abboys et molestes Pure licorne expellant tout venin.
Chasse à la licorne dans la marge d’un bréviaire du XIIIe siècle. Bibliothèque de Cambrai, ms 103n fol 49r.
Sus elle estoit prévention de grace, Portant les traits d’innocence empanés Pour repeller la venéneuse trace De ce chasseur et ses chiens obstinés, Qui furent tous par elle exterminés Sans lui avoir inféré quelque offense. Sa dure corne eslevoit pour deffense, Donnant support aux bestes trop subjectes A ce veneur cauteleux et malin, Qui ne print onc par ses dards ni sagettes Pure licorne expellant tout venin.
Licornes attaquées par des chiens. Chandelier de l’église Sainte Walburge de Zutphen, Pays Bas. XIVe siècle.
Ainsi saillit pardessus sa fallace Et dards pointus d’archer mortel ferrez Se recevant sur haultaine tarrasse Sans estre prinse en ses lacz et ses rhetz Lesquelz avoit fort tyssus et serrés Pour lui tenir par sa fière insolence Mais par doulceur et par benivolence Rendre le vint entre les bras honnestes De purité plaine d’amour divin Qui la gardoit sans taches deshonnestes Pure licorne expellant tout venin.
Dessin pour une tapisserie. La devise Venena Pello, je repousse le venin,est ici associée non à la scène de la licorne purifiant les eaux mais à une dame en hennin dans un enclos, allusion à la Vierge dans l’Hortus conclusus. BNF, Res Pc-18-Fol.
Pour estre ès champs des bestes l’oultrepasse Et conforter tous humains désolés, Triomphamment seule eschappe et surpasse Les lacz infects par icelle adnullés. Donc ici bas nous sommes consolés Par la licorne où gist toute affluence D’immortel bien par céleste influence ; Car par ses faicts et méritoires gestes A conservé tout l’orgueil serpentin En se monstrant par vertus manifestes Pure licorne expellant tout venin.
Emblème du Condottiere Bartolomeo d’Alviano, Paolo Giovio, Dialogue des devises d’armes et d’amour, 1561.
Veneur maudit, retourne à tes tempestes, Va te plonger au gouffre sulphurin, Puisque n’as prins, par tes cors et trompestes, Pure licorne expellant tout venin.
— Palinod (poème marial) de Dom Nicolle Lescarre, circa 1520 BNF, ms fr 2205, fol 39v
La licorne purifiant les eaux, XVIe siècle. Palazzo Giardino, Sabbioneta, Italie.
e chapitre est sans doute celui pour lequel je disposais du plus vaste choix d’images. Les licornes édéniques sont en effet nombreuses sur les miniatures des bibles médiévales, puis sur les gravures de celles de la Renaissance.
Toutes ces images du jardin d’Eden, la Création des animaux, la création d’Adam et Eve, leur mariage, la Tentation et la Chute, n’ont bien sûr pas pu trouver leur place dans le livre, et je vous en mets donc quelques autres ici.
Dieu extrait Ève du côté d’Adam endormi, la licorne assiste à la scène. Le trésor de Sapience, XVe siècle.
Notez qu’Adam et Ève sont ici anomphales, c’est-à-dire sans nombril. La question, qui n’a pas de réponse théologiquement satisfaisante, a fait couler beaucoup d’encre jusqu’au XVIIIe siècle.
Bibliothèque de l’Arsenal ms 5076 Res, fol 7r
Dieu crée les animaux, illustration d’un bréviaire dominicain du XVe siècle.
British Library, Add ms 18851, fol 63r.
La création du monde, avec Ève et Adam plus et mieux vêtus qu’à l’habitude. Bible historiale, XVe siècle.
Chantilly, Musée Condé, ms 1378, fol 1r.
Le mariage d’Adam et Eve.
Jean Corbechon, Livre des propriétés des choses, XVe siècle.
Cambridge, Fitzwilliam Museum, ms 251, fol 15r.
Dieu bénit Adam et Eve, Histoire ancienne jusqu’à César,XVe siècle.
Bruxelles, Bibliothèque royale, ms 1075, fol 20r.
Le repos du septième jour, Bible historiale, début du XVe siècle.
BNF, ms fr 9, fol 7v.
Dieu créant les animaux, Bible moralisée, circa 1450.
BNF, ms fr 897, fol 1r.
“J’ai fait la terre bien garnie, pour donner à l’homme la vie”, Chronique universelle, XIVe siècle.
BNF, ms fr 250, fol 13r.
La création du Monde, Brunetto Latin, Livre du Trésor, XVe siècle.
BNF, ms fr 191, fol.1r.
Le repos du septième jour, Bible historiale, circa 1400.
BNF, ms fr 159, fol 6v.
Le repos du septième jour, Bible historiale, début du XVe siècle. Plus que la présence de la licorne, c’est l’absence du lion qui est étonnante. BNF, ms fr 9, fol 7v.
Le mariage d’Adam et Eve,
Flavius Josèphe, Antiquités Judaïques, circa 1480.
La licorne est du côté d’Adam, avec les bêtes sauvages Les animaux domestiques, ou “de ménage” sont avec Eve. Le serpent a un air de dragon, et Lilith est en embuscade.
BNF, ms fr 11, fol 3v.
Adam prie Dieu, mais le serpent est déjà là. Psautier de Canterbury,, circa 1200.
BNF, ms lat 8846, fol 1r.
Dieu créant les animaux, ùanuscrit russe de la Topographie chrétienne de Cosmas Indicopleustes, XVIe siècle.
Moscou, Bibliothèque d’état de Russie, ms Погод. 1089, fol 103v.
Une erreur a pu se glisser ici ou là dans les intitulés des scènes, car il n’est pas toujours facile de distinguer les miniatures où Dieu crée les animaux de celles où Adam les nomme. L’autre étant à l’image de l’Un, à moins que ce ne soit l’inverse, il est inévitable qu’ils se ressemblent un peu. Tous les enlumineurs ne font pas le choix de représenter Dieu plus âgé, avec une longue barbe blanche.
Là, par exemple, je crois que c’est Dieu, mais je ne suis pas tout à fait certain, c’est peut-être Adam. Il faudrait aller vérifier sur le manuscrit. Bible commentée en français, 1431. British Library, Add ms 10043.
La licorne et quelques autres observent la création.
Saint Augustin, De Civitate Dei, 1376. BNF, ms fr 22913, fol 2v.
Repérez aussi le griffon et le petit dragon. L’ethiquette des temps, XVIe siècle.
BNF, ms NAF 19736, fol 2v.
La création du monde, Bible historiale, XVe siècle.
BNF, ms fr 6, fol 5r.
Dieu créant les animaux, Livre d’heures, circa 1495.
Utopia armarium codicum bibliophilorum, cod. 110.
Généalogie des rois de France qui, comme toute monde, descendent d’Adam et Eve. XVIe siècle.
Bibliothèque de Toulouse, ms 988, fol 1r.
Jean Mansel, La fleur des histoires, circa 1480.
Bibliothèque Mazarine, ms 1562, fol 19v.
Au commenchement crea Dieus toutes cozes pour chou qu’il voloit monstrer sa poissanche a chiaus qui li plaisoit a faire participants de sa bonté.
BNF, ms fr 436, fol 1r.
Ceci est une copie du XIXe siècle d’un manuscrit du XIIe, l’Hortus deliciarum, détruit dans un incendie en 1870.
C’est sans doute Dieu, il a l’air un peu vieux pour être Adam. Livre d’heures, XIVe siècle.
British Library, Yates Thompson ms 13, fol 18r.
Un Octateuque, c’est comme un Pentateuque mais avec trois livres en plus. Cet octateuque grec du XIIe siècle a été détruit dans un incendie en 1922.
Les animaux rendent louange à Dieu (psaume 148), psautier grec du XIIIe siècle.
Bibliothèque du Vatican cod vat gr 1927, fol 261v.
La création et le jardin d’Eden, avec ou sans licorne, figurent aussi sur la première page de toutes sortes de manuscrits, des compilations comme l’Histoire ancienne jusqu’à César, qui mêle récit biblique et antiquité classique, des encyclopédies comme le Livre du trésor de Brunetto Latini, ou des textes antiques plus ou moins christianisés comme les Métamorphoses d’Ovide,.
Brunetto Latini, Livre du trésor, XIVe siècle.
BNF, ms fr 571, fol 6r.
Les métamorphoses d’Ovide, XVIe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 177.
Dieu créant les animaux, parmi lesquels la licorne et le griffon. Psautier de la reine Mary, XIVe siècle.
British Library, Royal ms 2B, fol 2r.
L’histoire ancienne jusqu’à César, circa 1480.
Los Angeles, Paul Getty Museum, ms Ludwig XIII, fol 1r.
Sa corne est toute petite, mais c’est bien une licorne. Bible du XIVe siècle.
Milan, Biblioteca Trivulziana, ms Triv 2139, fol 4r.
Adam nommant les animaux. Bestiaire d’Anne Walsh, début du XVe siècle.
Copenhague, Kgl Bibliotek, ms GKS 1633, fol 21v.
Adam nommant les animaux, manuscrit russe de la Topographie chrétienne de Cosmas Indicopleustes, XVIe siècle.
Moscou, Bibliothèque d’état de Russie, ms Погод. 1089, fol 103v.
Livre d’heures, début du XVIe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 135, fol 17v.
Livre d’heures de Charles V.
Madrid, Bibliothèque nationale d’Espagne, ms Vitr 24/3.
Lactance, Divinæ institutiones, circa 1505.
BNF, ms lat 1671, fol 243r.
Lactance, Divinæ institutiones, circa 1505.
BNF, ms lat 1671, fol 32r.
Le livre des hystoires du Mirouer du monde, XVe siècle.
BNF, ms fr 328, fol 1r.
Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, XVe siècle.
BNF, ms fr 246, fol 3r.
La création des oiseaux. Bible anglaise, circa 1330.
British Library, Add ms 47682, fol 3r.
P5HPK8 N/A. English: Bible, Ilov, 1619, artist Ghazar Baberdts’i, Genesis: Creation, Adam and Eve, Noah’s Ark (Erevan, Matenadaran, MS 351) . 1619. Ara Guler 198 Bible, Ilov, 1619
Dieu créant les animaux. Vitrail de la cathédrale d’Erfurt, circa 1370.
Les mêmes scènes, les mêmes images, les mêmes licornes, se retrouvent bien sûr sur les gravures des premières bibles imprimées. Si les images ci-dessous sont moins nombreuses, c’est parce qu’elles proviennent des toutes premières bibles imprimées, avant 1520, dont les programmes iconographiques sont encore très proches de ceux des manuscrits.
Dieu crée les animaux, gravure coloriée d’une Bible de 1480.
Bibliothèque Mazarine, ms 1339, fol 4r.
Les choses changent un peu au XVIe siècle. Les techniques de gravure progressent, permettant de représenter des images plus complexes, et les troubles religieux ne sont pas favorables à la licorne qui ne disparait pas mais se se fait plus discrète, souvent à l’arrière plan. Tout cela est discuté dans un autre chapitre, qui lui n’est pas dans le livre mais sur ce blog, d’un jardin l’autre.
Au fait, voici un extrait de l’épisode des Simpsons dont je parle dans le livre, où la licorne Gary meurt d’épuisement après avoir creusé un tunnel pour permettre à Eve de retourner au jardin d’Eden.
Dans les premières bibles imprimées, dans les recueils de « figures » religieuses, dans les paysages animaliers des XVIe et XVIIe siècle, la licorne n’est plus, comme dans les enluminures médiévales, une figure allégorique défilant avec le lion au premier rang du monde animal. Elle est une créature parmi des dizaines d’autres dans des représentations un peu touffues du jardin d’Éden.
Pieter van der Borcht, La création de l’homme, Emblemata Sacra, 1613.
L’Arbre de la connaissance du bien et du mal.
Adam nommant les animaux.
La création d’Eve
Adam mange le fruit défendu
Le châtiment divin
Adam et Eve chassés du paradis terrestre.
Caïn tue Abel
L’embarquement à bord de l’Arche.
Le débarquement de l’Arche
Le sacrifice de Noé
La tentation du Christ
Sur une série de gravures bibliques réalisées par le graveur flamand Pieter van der Borcht, la licorne est présente dans pas moins de dix scènes de la Genèse, s’éclipsant comme souvent après avoir quitté l’Arche, pour ne reparaître que bien plus tard, et c’est original, en arrière-plan de la tentation du Christ. (Vous pouvez voir les planches entières en haute définition sur le site du Rijksmuseum)
Biblia Germanica de G. Raben & S. Feyerabend, 1565.
Le récit biblique de la création du Monde ne citant nommément aucun animal autre que le serpent tentateur, la colombe et le corbeau, les graveurs ont en effet peuplé leur Eden assez librement, dans des scènes qui seraient réalistes si elles n’étaient pas si pacifiques. Griffons, dragons et autres sirènes en sont presque toujours absents, mais la licorne, animal exotique autant que légendaire, comme l’éléphant ou la girafe, est fréquemment représentée.
Guillaume Paradin, Historium memorabilium ex Genesis descriptio, 1590.
Neue kunstliche Figuren biblischer Historien, 1576. Gravures de Tobias Stimmer.
La création d’Adam et Eve, Johan Sadeler, circa 1590.
Dieu bénit Adam, Eve et les animaux,
Adam doit travailler
Adam et Eve découvrent le corps mort d’Abel,
L’embarquement dans l’Arche.
C’est bien sûr sur les gravures illustrant la Genèse que la licorne, désormais souvent en couple comme les autres animaux, est la plus fréquente. Du sixième jour de la Création à l’embarquement dans l’Arche de Noé, elle est encore là mais se fait de plus en plus discrète au XVIIe siècle, passant à l’arrière-plan, parfois trempant la point de sa corne dans le cours de l’un des quatre fleuves du paradis terrestre. On ne la voit plus guère après qu’elle a quitté l’arche, se retirant sans doute dans quelque haute montagne ou désert reculé.
Biblia Germanica de Anton Koberger, 1483.
La même, dans l’édition de luxe avec de jolies couleurs.
La Bible en francoyz d’Antoine Vérard, 1505.
Le premier volume de la Bible en francoiz, 1517.
Bible de Luther, Leipzig, 1541.
Bible de Luther, Wittenberg, 1551.
Biblze de Luther, gravures de Jost Amman, 1583.
Wendel Dietter, 1590.
Jan Pietersz Saenredam, Adam nommant les animaux,, 1604.
Jan Baptist Berterham, La création d’Adam, 1720.
C’est dans le monde germanique qu’avaient été peintes, au XVe siècle, la plupart des Annonciations à la licorne. Les représentations du couple licorne-vierge y faisaient presque de la blanche bête dans le jardin clos un attribut marial. Si quelques chasses mystiques peintes sur les murs des églises ont été effacées, la licorne n’a cependant pas été éliminée de l’iconographie biblique protestante, elle s’est juste déplacée du jardin clos du Cantique des Cantiques au jardin d’Eden de la Genèse.
La création, Nicolas de Bruyn, d’après Martin de Voos, début XVIIe siècle.
Adam et Eve au paradis.
Dieu s’adresse à Adam et Eve.
L’expulsion du paradis terrestre.
Bible allemande de Anton Koberger, 1521.
Bible luthérienne de Johan Feyerabend, 1550.
Bible allemande de Jenaer Kampfbibel, 1564.
Gravure de Hans Brosamer pour une Bible allemande, 1566.
Gravure de Hans Brosamer pour une Bible allemande, 1566.
Bible allemande de H. Feyerabend, 1569.
Gravure de bernard Salomon pour une bible de 1557.
François de Belleforest, La Cosmographie universelle, 1581.
Bible d’Abel Langellier, 1587.
Figures de la Saincte Bible,, 1614.
Figures de la Saincte Bible,, 1614.
Adam et Eve virés du paradis terrestre, Claes Jansz Visscher, circa 1620.
Bible de Luther imprimée par Zetzner, à Strasbourg, en 1630.
Du Bartas his diuine weekes, 1633
Schelte a Bolswert, 1634.
Eve cueille la pomme, anonyme, circa 1650.
L’histoire du Vieux et du Nouveau testament (Bible de Royaumont), 1671.
Gravure du début du XVIIIe siècle.
Biblia Germanica de G. Raben & S. Feyerabend, 1565.
Luther lui-même traduit unicornis par Einhorn et cite l’animal à plusieurs reprises dans ses sermons, par exemple dans celui sur les brebis perdues où il compare la foi imperturbable de Moïse à « la licorne, animal dont on sait qu’il ne peut être capturé vivant [1]». Il aurait même, peu avant sa mort, été soigné en vain avec de la poudre de corne de licorne [2].
Lucas Cranach l’ancien, Le paradis terrestre,1530. Kunsthistorisches Museum, Vienne.
Lucas Cranach l’ancien, Le paradis terrestre,1530. Gemäldegalerie, Dresde.
Lucas Cranach l’ancien, qui embrassa la réforme avec enthousiasme et fit plusieurs portraits de Martin Luther et de ses proches, ne peint bien sûr aucune vierge à la licorne, mais on lui doit de nombreuses représentations du jardin d’Eden, où la licorne est souvent présente.
Nicolas Fontaine, The History of the Old and New Testament, 1688
L’archange Uriel informe Gabriel de l’arrivée de Satan. Gravure d’une édition de 1688 de Paradise Lost de John Milton.
Si les représentations de licorne endormie dans le giron d’une jeune vierge se font très rares dans le monde protestant, la licorne édénique gambade donc librement aux XVIe et XVIIe siècle dans les jardins luthériens autant que catholiques; il est vrai que les bois ou cuivres utilisés par les imprimeurs sont souvent les mêmes, où se recopient sans scrupules. Les bibles calvinistes ne sont guère illustrées, ça ne ferait pas bien sérieux, mais la bête reste présente, notamment, dans le texte des Psaumes.
Jan Sanders van Hemessen, La chute, circa 1560.
Maastricht, Bonnenfantenmuseum.
Raphael, La Création des animaux, 1519.
Fresque du plafond du palais apostolique, au Vatican.
Le Tintoret, La création des animaux, 1551.
Venise, Galleria dell’Academia.
La création d’Eve, circa 1576.
Palazzo Besta, Teglio, Italie.
Le monde animal est aussi l’un des thèmes de prédilection de nombreux artistes. Les épisodes de la Genèse, de plus en plus concurrencés il est vrai au XVIIe siècle par la scène d’Orphée charmant les animaux, permettent de mettre en scène dans un contexte apaisé tout le monde animal, et toute la technique du dessinateur. Des peintres comme Jan Brueghel l’ancien (1568-1625) et son fils Jan Bruegfhel le jeune (1601-1678), les deux frères Jacob (1567-1603) et Roelant Savery (1576-1639), puis leur neveu Jacob le jeune (1592-1651)se sont fait une spécialité de ces paysages animaliers, où plantes et créatures sont représentés avec le même soin que dans les scènes de chasse ou les natures mortes. Roelant Savery vécut dix ans à Prague, à la cour de l’empereur Rodolphe, et s’était entraîné à peindre d’après nature les nombreux animaux exotiques de sa ménagerie – on lui doit les plus célèbres représentations du dodo. Point de dragons ou de griffons dans ces tableaux où la licorne est peut-être la seule créature que l’artiste n’a jamais observé.
Francesco et Jacopo Bessano, Dieu réprimandant Adam, circa 1570
David Teniers l’ancien (1582-1649),L’ivresse de Noé. Collection privée.
Jacob Savery le jeune (1592-1651), Le paradis terrestre
Collection privée.
La licorne est accompagnée d’une girafe unicorne.
Roelant Savery, Le jardin d’Eden, 1618. Prague, Galerie nationale.
Roelant Savery, Le Paradis terrestre, 1626.
Gemälde Galerie, Berlin
Avec une discrète licorne
et deux impressionantes girafes unicornes.
Jan Brueghel le jeune (1601-1678), La création d’Adam.
Jan Brueghel l’Ancien, Le jardin d’Eden, 1612.
Palazzo Doria Pamphilj, Rome.
Jan Brueghel le jeune, Le paradis terrestre, circa 1620.
Musée des beaux-arts de Séville.
Jan Brueghel le jeune, Le péché originel, circa 1640.
Biblioteca Ambrosiana, Milan.
Isaak van Oosten, Le jardin d’Eden, d’après Jan Brueghel l’ancien, circa 1660. Toledo Museum of Art, Toledo, USA, detail
Preuve que le sujet religieux ou mythologique n’est guère plus qu’un prétexte à peindre le ponde animal, le Dieu créateur, Adam, Eve, l’Arche ou Orphée passent peu à peu au second plan, loin derrière les silhouettes de lion, de vache ou de chevaux qui semblent observer le spectateur. Les légendes ne sont pourtant pas tout à fait oubliées et, lorsque la licorne au loin se fait discrète, elle est parfois occupée à tremper la pointe de sa corne dans les eaux d’un fleuve.
Joachim Wtewael, Adam et Eve, 1614.
Dirck Pietersz Crabeth, Adam et Eve au Paradis, circa 1560,. Rijksmuseum, Amsterdam.
Joachim Wtewael, Adam au jardin d’Eden, circa 1610.
New York, Metropolitan Museum.
Dans le monde slave, la représentation allégorique des animaux perdure plus longtemps. Ici l’expulsion d’Adam et Eve du paradis terrestree sur une fresque de la cathédrale de la Résurrection, à Tutaiev.
Écritoire, XVIIIe siècle.
Le jardin d’Eden judéo-chrétien est une variation sur un thème présent dans bien des cultures, et dans la mythologie gréco-latine, celui du locus amoenus, du lieu idyllique, et de l’Âge d’or. A la Renaissance, les mêmes artistes qui se sont inspirés de la scène d’Adam nommant les animaux pour figurer Orphée les charmant ont aussi représenté l’âge d’Or classique d’après l’Eden chrétien. Si l’on n’y trouve guère de licornes, c’est surtout parce que les animaux y sont plus rares, tandis que les hommes, plus nombreux et parfois moins tenus par la chasteté et la sobriété, y occupent toute le scène. Les auteurs classiques, notamment Virgile dans les Bucoliques et les Géorgiques et Ovide dans les Métamorphoses, insistaient cependant sur la paix entre l’homme et le monde animal, semblable à celle qui régnait en Éden avant la chute.
Nous avons vu que les licornes édéniques des tableaux et gravures trempent souvent leur corne dans les eaux de la fontaine ou de l’un des quatre fleuves du paradis terrestre. Dans un long poème consacré à l’âge d’or, Laurent de Medicis, qui à défaut de licorne hébergeait dans sa ménagerie une girafe, remarque que cela ne devrait pas être nécessaire. Les serpents ne sifflaient ni ne piquaient, le regard du basilisc était doux et inoffensif, les autres animaux pouvaient donc en principe boire en toute tranquillité sans devoir attendre que la licorne les ait précédés.
E serpenti non han veneno, o fischio, Onde tal volta il cor si fugge il sangue. Securo è mirar fiso il basalischio, Ne per guardo mortal tristo alcun langue : Ne gli animali al fonte hun patienza , Che lo Alicorno facci la credenza.
Lorenzo de Medici, Poesie Vulgari, 1544 , p.97. (circa 1470)