đź“– Ecus, supports et cimiers

Assez rare dans l’hĂ©raldique mĂ©diĂ©vale, sauf dans le sud de l’Allemagne, la licorne devient Ă  la mode au XVe siècle, d’abord en Italie puis dans le reste de l’Europe. Elle s’installe alors en cimier, sur le casque au-dessus de l’écu, et en support, sur ses cĂ´tĂ©s.

Si vous voulez de vieux armoriaux avec pas mal de licornes, il faut aller voir dans le sud de l’Allemagne, et donc en particulier dans le catalogue de la Bayerische Staatsbibliothek, Ă  Munich. Je leur ai consacrĂ© un chapitre entier, qui n’a pas eu sa place dans mon livre et que vous trouverez ici.

Ailleurs, on en trouve, mais il faut chercher un peu. En voici quelques exemples. Ce sont, pour chacun de ces manuscrits, toutes les licornes que l’on y trouve parmi des centaines d’Ă©cus. Elles sont donc bien peu nombreuses.

J’en ai trouvĂ© une douzaine, et sans doute ratĂ© quelques unes, sur un armorial italien du milieu du XVIe siècle, lui aussi Ă  la bibliothèque de Munich. Elles ne reprĂ©sentent cependant pas grand chose dans les quinze volumes et les presque dix-mille blason de cet armorial. La majoritĂ© d’entre elles se trouvent en Italie du nord, donc pas loin de leur camp de base en Bavière et en Suisse alĂ©manique.

DE LA LICORNE
L’empereur de l’Éthiopie qu’on nomme Prêtre-Jean, désireux de contracter amitié et faire ligue avec le grand Seigneur, crut qu’il ne pouvait mieux arriver à ce but qu’en le gratifiant d’une couple de licornes excellentes, qu’on lui avait envoyé des Indes, pour un présent digne de ces grandeurs. le Turc se tint fort obligé à l’Éthiopien, voyant ces deux et beaux rares animaux à sa porte, et jugeant bien que tous ses sujets en agréeraient extrêmement la vue , commanda qu’on les menât au sultan de La Mecque, afin que ceux de la Turquie qui sont grandement portés à faire des pèlerinages à cet abominable sépulcre de Mahomet, eussent le contentement de les voir avec les autres raretés qui s’y montrent.
Cette sorte de créature est si rare qu’outre ces deux ici, je trouve que peu de personnes afferment en avoir vu, combien que plusieurs en écrivent assez de merveilles et qu’en beaucoup d’endroits de l’Europe on y reconnaisse sa corne. Si bien que je ne me dois pas ébahir si fort peu de personnes de condition ont chargé leurs armes de la figure de licorne, puisque ses propriétés ont été jadis si peu connues, et que les Solin et les Pline ont enseigné même que cette bête se plait si fort dans les plus vastes et les plus éloignées solitudes, qu’elle se fera plutôt tuer que de se laisser prendre. Bien est vrai néanmoins que tous ceux qui en parlent demeurent d’accord qu’elle est douée d’un bon courage, qu’elle ose bien attaquer les lions, ses plus grands ennemis, et d’autre part qu’elle chérit si passionnément les bonnes odeurs et les personnes qui sont chastes que le meilleur moyen de les apprivoiser est de lui en présenter.
À raison de quoi l’invention de ceux-là n’est pas mauvaise qui ont employé dans le blason de leurs écus d’armes des licornes entières, ou leurs têtes seulement, puisque ce sont des marques assurées d’une rare générosité, et de l’estime qu’on fait du beau lys d’une pureté virginale. D’ailleurs, quand j’apprendrai non seulement par le rapport d’une infinité d’auteurs assez dignes de créance, mais aussi par l’expérience journalière et fort aisée, que cet animal est si ennemi des venins que la moindre partie de sa corne pulvérisée suffit pour empêcher tous leurs effets, je louerai le plus qu’il me sera possible les pensées de nos prédécesseurs qui se sont imaginés avec bien sujet qu’à la vue de la licorne représentée dans leurs écus, on reconnaîtrait évidemment comme quoi ils auraient eu en abomination le poison très pernicieux de l’erreur et du vice, et combien arasement ils en auraient procuré l’anéantissement.De Vaté porte d’azur à six cotices d’or, au chef d’argent chargé de trois corneilles de sable membrées et becquetées de gueule. Fay Despaisses porte d’argent, à une bande d’azur chargée de trois têtes de licornes d’or. Ribier porte de gueules, à la fasce ondée d’or, & à la tête de licorne de même, en pointe. Le Cirier de Neuschelles, d’azur à trois licornes d’or. Clairaunay au Maine, d’argent, à trois licornes de sable. Charpentier port d’azur, à la bande échiquetée d’or et de gueules de trois traits, accompagnée de deux licornes d’argent. Chevrière de Paudy porte d’azur à trois têtes arrachées de licorne d’argent. Fauchedompré met aussi trois têtes de licorne dans ses armes. Du Valkmondreuille porte d’azur, à trois croix coupées d’or mises en face, écartelé d’hermines, sur le tout de gueules à une tête de licorne d’argent. Nusdorf, en Bavière, porte de sable à la licorne contournée et rampante d’argent. Postolsky en Silésie de gueules à la licorne contournée et rampante d’argent. Poppelau en Silésie porte de gueules à la licorne d’or, l’orangée à la moitié du corps de sable et d’argent.

— Marc Gilbert de Varennes, S.J., Le roy d’armes ou L’art de bien former, charger, briser, timbrer, et par consequent, blassonner toutes les sortes d’Armoiries, 1635

Et voici, un peu en vrac, quelques blasons avec des licornes.

Ă€ la Renaissance, la licorne devient, un peu comme elle l’est aujourd’hui, Ă  la mode. Les vieilles familles, qui ne vont quand mĂŞme pas refaire leur blason ancestral, ajoutent alors souvent l’animal en support de leurs armoiries, ou en cimier, les bonnes vieilles règles de l’hĂ©raldique ne s’appliquant pas aussi strictement Ă  ces attributs un peu exubĂ©rants. Il n’est donc pas rare de voir des blasons Ă  l’aigle ou au lion surmontĂ©s d’un chef de licorne.

On trouve ainsi quelques licornes sur les dessins des blasons accordĂ©s au XVIe siècle par les empereurs germaniques, dessins conservĂ©s aux archives du musĂ©e national de Prague. On remarquera que l’un des Ă©cus ci dessus est dessinĂ© pour un apothicaire, profession souvent associĂ©e Ă  la licorne.

Les cimiers surprenants, tragiques, singuliers,
Cauchemars entrevus dans le sommeil sans bornes,
Sirènes aux seins nus, mélusines, licornes,
Farouches bois de cerfs, aspics, alérions,
Sur la rigidité des pâles morions,
Semblent une forêt de monstres qui végète.

Cette forĂŞt, ici dĂ©crite par Victor Hugo dans La lĂ©gende des siècles, nous la voyons bouger, comme secouĂ©e par le vent, sur une grande miniature un peu confuse, en double page, de plusieurs manuscrits du TraitĂ© de la forme et devis comment on peut faire les tournois de RenĂ© d’Anjou, le roi RenĂ©, copiĂ©s Ă  la fin du XVe siècle.

RenĂ© I d’Anjou, TraitĂ© de la forme et devis comment on peut faire les tournois, , circa 1480. BNF, ms fr 2692, fol 67-68.

On imagine les tournois de chevalerie du Moyen Âge à l’image de nos compétitions sportives, avec des éliminatoires, des poules et des manches, et des combats bien réglés, en duel, devant un arbitre qui compte les points. C’était parfois le cas, mais le point d’orgue en était la mêlée, un peu désordonnée. Pouvez-vous retrouver la licorne dans cette forêt ?
Vous pouvez zoomer à loisir pour mieux chercher la bête sur le site de la bibliothèque nationale, ici pour le français 2692, là pour le 2696.

RenĂ© I d’Anjou, TraitĂ© de la forme et devis comment on peut faire les tournois, , circa 1480. BNF, ms fr 2696, fol 53-54.

Les mĂŞmes licornes viennent aussi soutenir des Ă©cus. La plus connue est celle qui, un peu par hasard, s’est retrouvĂ©e en 1603 face Ă  son vieux compère le lion pour soutenir le blason du Royaume-Uni – vous en apprendrez plus sur cette histoire dans le chapitre sur les licornes d’Écosse.
Les supports de l’Ă©cu des rois de France ont continuĂ© Ă  beaucoup varier, chaque monarque optant pour ses crĂ©atures favorites, et certains ayant du mal Ă  se dĂ©cider. Sur les premières pages des manuscrits royaux, oĂą les armes du souverain font fonction d’ex-libris, l’Ă©cu aux fleurs de lys peut ĂŞtre soutenu par des cerfs volants, sans doute les plus frĂ©quents, mais aussi des cerfs pas volants du tout, des lions, des anges, des hommes sauvages, des griffons… Les seules licornes que j’ai trouvĂ©es sont sur quelques ouvrages ayant appartenu Ă  Louis XII, dont l’emblème Ă©tait pourtant le porc-Ă©pic, utilisĂ© sur la plupart de ses manuscrits, du moins après son accession au trĂ´ne. Faut-il voir dans ces licornes un clin d’Ĺ“il Ă  son Ă©pouse Anne de Bretagne ? On lit en effet ici ou lĂ  que la belle Anne, Ă©pouse de deux rois de France, Ă©tait branchĂ©e licornes, thĂ©orie qui ne repose cependant pas sur grand chose, juste quelques objets en licorne dans ses inventaires et l’hypothèse, aujourd’hui très discutĂ©e, selon laquelle les tapisseries de La Chasse Ă  la licorne auraient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©es Ă  l’occasion de son mariage avec Louis XII.


Bien sĂ»r, nul n’Ă©tait besoin d’ĂŞtre roi pour faire encadrer ses armes par des licornes, et voici quelques autres exemples.

Ă€ ce dĂ®ner, oĂą les coudes n’avaient pas horreur de se toucher les uns les autres, il y avait
justement entre la marquise de Limore, la plus foncée en aristocratie des femmes qui
Ă©taient lĂ , et le marquis de Pont-l’AbbĂ©, d’une noblesse aussi vieille que son pont, un convive, de gaillarde et superbe encolure, paysan d’origine très normande, mais qui s’Ă©tait dĂ©crassĂ© et qui Ă©tait devenu un très authentique bourgeois de Paris. Il Ă©talait alors son gilet de piquĂ© blanc entre cette marquise et ce marquis, comme un Ă©cusson d’argent entre ses deux supports, dont l’un, Ă  dextre, la marquise, faisait la licorne, et l’autre, Ă  senestre, le marquis, faisait le lĂ©vrier.

— Jules Barbeay d’Aurevilly, Une histoire sans nom, 1882.

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