➕ Licornes d’Écosse

C’est un lion qui rampe et rugit sur le blason écossais, et c’est un peu par hasard que la blanche licorne héraldique est devenue l’animal emblématique de l’Écosse.

Mercat Cross, Inverkeithing, Écosse.
Wikimedia Commons, photo Arcaist

La licorne blanche est l’animal emblématique de l’Écosse. On la croise partout, dans les Lowlands et les Highlands, sur les vitres et les enseignes des pubs. Elle trône au sommet des Mercat Cross, ces colonnes de pierre qui indiquent la place du marché, tenant entre ses pattes un écu portant non pas le blason écossais, mais le drapeau national, une croix de Saint-André sur champ d’azur. Sur le blason écossais rampe en effet un lion de gueules sur champ d’or, mais tout comme la licorne figure aujourd’hui l’Écosse et le dragon le pays de Galles, le lion est aujourd’hui au Royaume Uni l’emblème de l’Angleterre – qui a pourtant sur son blason traditionnel trois léopards d’or sur champ de gueules. Comment expliquer cette bizarrerie, cette schizophrénie symbolique ?

À la fin du Moyen Âge, les armes des royaumes et des grandes familles se sont enrichies de figures nouvelles, en support et en cimier. C’est à cette occasion que la licorne, jusque-là peu présente sur les anciens blasons, a réellement commencé sa carrière héraldique. Au XVe siècle, sous le règne de James II (1460-1488), deux licornes sont venu encadrer les armes écossaises, sans autre raison sans doute que le fait que l’animal était alors à la mode.

En 1480, au mariage parisien de la reine d’Écosse Marie Stuart avec le dauphin de France, le futur et éphémère roi François II, défilèrent en son honneur « douze belles licornes sur lesquelles estoient montez jeunes princes, tant richement vestuz et acoustrez que sembloit que le drap d’or et d’argent ne coustassent riens[1] ». Les belles cavales ainsi déguisées symbolisant d’une part le royaume de la jeune princesse, et d’autre part sa pureté et sa beauté, c’était assez bien trouvé. De 1484 à 1525, les rois d’Écosse frappèrent des pièces d’or appelées licorne, ornées d’une licorne accroupie (eh oui, en héraldique accroupi se dit accroupi, ça m’a surpris) accolée (ayant autour du cou) d’une couronne et tenant le blason écossais. Il y eut même des demi-licornes, sur lesquelles la bête est aussi entière que sur les licornes.

Voilà, ma foi ! des pièces de monnaie écossaises, anglaises et étrangères des XVe et XVIe siècles, et quelques-uns de ces articles rari et rariores, etiam rarissimi. Voici le bonnet de Jacques V ; la licorne de Jacques II ; le vieux teston d’or de la reine Marie, avec son effigie et celle du dauphin…
— Walter Scott, L’Antiquaire.

Tout cela n’aurait cependant pas suffi à faire de la licorne l’emblème de l’Écosse si, lors de l’union de 1603, le roi James (I ou VI, c’est compliqué) n’avait astucieusement décidé de faire supporter les armes du nouveau Royaume-Uni à dextre par un lion, qui s’occupait jusque-là des armes anglaises, et à sénestre par une licorne venue d’Écosse. Ainsi est née la tradition de représenter le Royaume Uni par un lion anglais et une licorne écossaise, et ce alors même que lion et licorne ne sont que des supports, donc des figures héraldiques secondaires et, en principe, de bien moindre importance que ce qui se trouve à l’intérieur de l’écu. Cela illustre bien la place de la licorne en héraldique, importante mais marginale, renaissante plus que médiévale.

Je pensais avoir terminé ce livre, et me trouvais un peu court sur les licornes d’Écosse, lorsque la British Library a très opportunément mis en ligne un très bel armorial écossais, le Harley ms 115, de la toute fin du XVIe siècle, peu avant l’union des deux royaumes d’Angleterre et d’Écosse. Aucune licorne n’y apparaît sur les écus d’une centaine de clans, mais on en compte une dizaine en support ou en cimier, dont quelques-unes assez intéressantes.

Sur l’armorial de Gilles de Bouvier, dit Berry, héraut d’armes du roi de France Charles VII, les deux seuls écus à la licorne sont ceux de nobles écossais, Charleston et Samuelston, ses alliés dans la guerre contre les anglais.


[1]J.B.A.T. Teulet, Relations politiques de la France et de l’Espagne avec l’Ecosse au XVIe siècle, Paris, 1862, vol.1, p. 310 sq.

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