📖 Emblùmes et devises

Je dĂ©cris dans ce chapitre de mon livre pas mal d’emblĂšmes des XVIe et XVIIe siĂšcles, mais c’est quand mĂȘme plus drĂŽle quand on peut voir les images.

(Bartolomeo D’Alviano) fit faire pour devise en son estandard l’animal qu’on appelle la Licorne; la propriĂ©tĂ© est contraire a tout venin: figurant une fontaine environnĂ©e d’aspicz, bottes, et autres serpens, qui Ia fussent venus pour boire: et la Licorne avant qu’y boire plongeast sa corne dedans pour la purger du venin, en la meslant comme porte sa nature. Y avoit un mot au col VENENA PELLO. Ledit estandard se perdit en la journĂ©e de Vincennes aprĂšs I’avoir une espace defendu contre la furie des ennemies.

— Paolo Giovio, Discours des devises d’armes et d’amour, 1561

Venena Pello (je repousse les poisons) n’Ă©tait pas une divise trĂšs originale. Pour la mĂȘme scĂšne, on trouve aussi le plus Ă©lĂ©gant Non vi sed virtute (non par la force mais par la vertu) qui convenait sans doute moins Ă  un guerrier comme Bartolomeo d’Alviano. EmblĂšme et devise se devaient pourtant d’ĂȘtre un peu obscurs, et quand la scĂšne, comme celle de la licorne purifiant les eaux, Ă©tait connue, il Ă©tait de bon ton d’en faire une lecture plus originale.

La devise de l’Alviano a ce grand deffaut, oĂč l’ on voie une Licorne qui de sa corne touche l’eau d’une fontaine, autour de laquelle il y a plusieurs bestes vĂ©nĂ©neuses, avec ce mot, Venena Pello, Je chasse les venins. Et c’est ce mot qui n’ a point la principale condition qui est requise Ă  la devise, c’est Ă sçauoir, qu’elle aye quelques choses de plus mistĂ©rieux.

— Henri Estienne, L’Art de faire des devises, 1645.

British Library, Arundel ms 317, fol 13v. 1507

Les poĂšmes allĂ©goriques de la Renaissance peuvent, surtout en Italie, devenir assez complexes, comme si une demi-douzaine d’emblĂšmes se retrouvaient entremĂȘlĂ©s. Une licorne apparaĂźt sur l’une des six miniatures illustrant Les Tables de CĂ©bĂšs, un texte tarabiscotĂ© et hellĂ©nisant de Filippo Alberici. MĂȘme avec l’aide des lĂ©gendes ajoutĂ©es Ă  l’encre rouge par l’un des premiers lecteurs, je n’aurais sans doute pas compris la scĂšne si elle n’était pas soigneusement explicitĂ©e sur la fiche du manuscrit dans le catalogue de la British Library. Il faut donc voir lĂ  une allĂ©gorie de la fausse Ă©ducation, reprĂ©sentĂ©e par CircĂ© attrapant un singe, l’obscuritĂ© et la pauvretĂ© frappant un homme, un astrologue et un fou bavard et illuminĂ©. La licorne, au pied de l’arbre, s’apprĂȘte Ă  faire fuir les serpents et montre le chemin de la vertu. C’était bien sĂ»r Ă©vident !

Les recueils de l’Ă©rudit Joachim Camerarius, proche de Luther et Melancthon, furent parmi les plus rĂ©pandus des livres d’emblĂšmes. Les quatre tomes sont consacrĂ©s aux plantes, aux oiseaux, aux quadrupĂšdes et aux crĂ©atures aquatiques.

Dans le Mercure galant, datĂ© du 1er janvier 1679, sont prĂ©sentĂ©es une sĂ©rie de devises en l’honneur de Colbert. L’une d’entre elles, Fideliter, Prudenter, Pure, montre, cĂŽte Ă  cĂŽte, un chien, un serpent et une licorne. Le commentaire explique que « ces paroles marquent Ă  sa gloire ce qui est connu de tout le monde, que Mr Colbert conserve les finances du roi fidĂšlement, qu’il les distribue avec prudence, et qu’il les augmente par une conduite trĂšs pure ». Le chien fidĂšle, donc, le prudent serpent et la pure licorne.

Ceux-ci, ils sont expliqués dans mon livre !

Les choses se compliquent un peu au XVIIe siĂšcle, par exemple dans ce Votum unanime Parnassi oĂč l’on retrouve des scĂšnes connues, le combat du lion et de la licorne, la licorne purifiant les eaux, la vierge et la licorne, OrphĂ©e charmant les animaux, mais aussi des compositions originales un peu alambiquĂ©es.
La leçon de l’expĂ©rience dit ce premier emblĂšme, et il est sĂ»r que les serpents, on ne les y reprendra plus. Remarquez le cadre infĂ©rieur, dans lequel l’artiste a montrĂ© qu’il connaissait l’existence de la licorne de mer, le narval.

Quelques emblĂšmes tirĂ©s des recueils de Paris Gille, Horizon Juvaviensis
 1654, Suffragium Deorum
, 1665, Gratulatio panegeryca
, 1668 et Corona Gratulatoria, 1681. Il semble bien que cela ne soit ni alchimique ni franc-maçon, ni illuminĂ© de BaviĂšre mĂȘme si on n’était Ă  Salzbourg, donc pas trĂšs loin. C’est juste bizarre. Les nombreux livrets de Paris Gille, que je suis loin d’avoir tous feuilletĂ©s, sont des ouvrages courtisans en l’honneur de dignitaires ecclĂ©siastiques, dont les dĂ©dicataires se sont peut-ĂȘtre demandĂ© si c’était de l’art, du lard ou du cochon.
Les compositions sont assez allumĂ©es, mais curieusement aucune de ces gravures n’a Ă©tĂ© reprise dans mon livre. La maquettiste, et j’aurais sans doute fait le mĂȘme choix, a en effet prĂ©fĂ©rĂ© les plus jolis emblĂšmes aux plus dingues.

Et pour terminer, quelques autres emblĂšmes Ă  la licorne, un peu en vrac.

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