Je dĂ©cris dans ce chapitre de mon livre pas mal d’emblĂšmes des XVIe et XVIIe siĂšcles, mais c’est quand mĂȘme plus drĂŽle quand on peut voir les images.
(Bartolomeo DâAlviano) fit faire pour devise en son estandard lâanimal quâon appelle la Licorne; la propriĂ©tĂ© est contraire a tout venin: figurant une fontaine environnĂ©e dâaspicz, bottes, et autres serpens, qui Ia fussent venus pour boire: et la Licorne avant quây boire plongeast sa corne dedans pour la purger du venin, en la meslant comme porte sa nature. Y avoit un mot au col VENENA PELLO. Ledit estandard se perdit en la journĂ©e de Vincennes aprĂšs Iâavoir une espace defendu contre la furie des ennemies.
â Paolo Giovio, Discours des devises d’armes et d’amour, 1561
Venena Pello (je repousse les poisons) n’Ă©tait pas une divise trĂšs originale. Pour la mĂȘme scĂšne, on trouve aussi le plus Ă©lĂ©gant Non vi sed virtute (non par la force mais par la vertu) qui convenait sans doute moins Ă un guerrier comme Bartolomeo dâAlviano. EmblĂšme et devise se devaient pourtant dâĂȘtre un peu obscurs, et quand la scĂšne, comme celle de la licorne purifiant les eaux, Ă©tait connue, il Ă©tait de bon ton d’en faire une lecture plus originale.
La devise de lâAlviano a ce grand deffaut, oĂč l’ on voie une Licorne qui de sa corne touche l’eau d’une fontaine, autour de laquelle il y a plusieurs bestes vĂ©nĂ©neuses, avec ce mot, Venena Pello, Je chasse les venins. Et câest ce mot qui n’ a point la principale condition qui est requise Ă la devise, c’est Ă sçauoir, quâelle aye quelques choses de plus mistĂ©rieux.
â Henri Estienne, L’Art de faire des devises, 1645.
Les poĂšmes allĂ©goriques de la Renaissance peuvent, surtout en Italie, devenir assez complexes, comme si une demi-douzaine dâemblĂšmes se retrouvaient entremĂȘlĂ©s. Une licorne apparaĂźt sur lâune des six miniatures illustrant Les Tables de CĂ©bĂšs, un texte tarabiscotĂ© et hellĂ©nisant de Filippo Alberici. MĂȘme avec lâaide des lĂ©gendes ajoutĂ©es Ă lâencre rouge par lâun des premiers lecteurs, je nâaurais sans doute pas compris la scĂšne si elle nâĂ©tait pas soigneusement explicitĂ©e sur la fiche du manuscrit dans le catalogue de la British Library. Il faut donc voir lĂ une allĂ©gorie de la fausse Ă©ducation, reprĂ©sentĂ©e par CircĂ© attrapant un singe, lâobscuritĂ© et la pauvretĂ© frappant un homme, un astrologue et un fou bavard et illuminĂ©. La licorne, au pied de lâarbre, sâapprĂȘte Ă faire fuir les serpents et montre le chemin de la vertu. CâĂ©tait bien sĂ»r Ă©vident !
Les recueils de l’Ă©rudit Joachim Camerarius, proche de Luther et Melancthon, furent parmi les plus rĂ©pandus des livres d’emblĂšmes. Les quatre tomes sont consacrĂ©s aux plantes, aux oiseaux, aux quadrupĂšdes et aux crĂ©atures aquatiques.
Dans le Mercure galant, datĂ© du 1er janvier 1679, sont prĂ©sentĂ©es une sĂ©rie de devises en lâhonneur de Colbert. Lâune dâentre elles, Fideliter, Prudenter, Pure, montre, cĂŽte Ă cĂŽte, un chien, un serpent et une licorne. Le commentaire explique que « ces paroles marquent Ă sa gloire ce qui est connu de tout le monde, que Mr Colbert conserve les finances du roi fidĂšlement, quâil les distribue avec prudence, et quâil les augmente par une conduite trĂšs pure ». Le chien fidĂšle, donc, le prudent serpent et la pure licorne.
Ceux-ci, ils sont expliqués dans mon livre !
Les choses se compliquent un peu au XVIIe siĂšcle, par exemple dans ce Votum unanime Parnassi oĂč l’on retrouve des scĂšnes connues, le combat du lion et de la licorne, la licorne purifiant les eaux, la vierge et la licorne, OrphĂ©e charmant les animaux, mais aussi des compositions originales un peu alambiquĂ©es.
La leçon de lâexpĂ©rience dit ce premier emblĂšme, et il est sĂ»r que les serpents, on ne les y reprendra plus. Remarquez le cadre infĂ©rieur, dans lequel lâartiste a montrĂ© quâil connaissait lâexistence de la licorne de mer, le narval.
Quelques emblĂšmes tirĂ©s des recueils de Paris Gille, Horizon Juvaviensis⊠1654, Suffragium DeorumâŠ, 1665, Gratulatio panegerycaâŠ, 1668 et Corona Gratulatoria, 1681. Il semble bien que cela ne soit ni alchimique ni franc-maçon, ni illuminĂ© de BaviĂšre mĂȘme si on nâĂ©tait Ă Salzbourg, donc pas trĂšs loin. C’est juste bizarre. Les nombreux livrets de Paris Gille, que je suis loin dâavoir tous feuilletĂ©s, sont des ouvrages courtisans en lâhonneur de dignitaires ecclĂ©siastiques, dont les dĂ©dicataires se sont peut-ĂȘtre demandĂ© si câĂ©tait de lâart, du lard ou du cochon.
Les compositions sont assez allumĂ©es, mais curieusement aucune de ces gravures n’a Ă©tĂ© reprise dans mon livre. La maquettiste, et j’aurais sans doute fait le mĂȘme choix, a en effet prĂ©fĂ©rĂ© les plus jolis emblĂšmes aux plus dingues.
Et pour terminer, quelques autres emblĂšmes Ă la licorne, un peu en vrac.