➕ Licornes de la lune et des étoiles

Faute de trouver des licornes sur notre bonne vieille terre, certains sont allés les chercher dans le ciel, où une constellation de la licorne rejoignit, au XVIIe siècle, les figures plus connues que sont le Sagittaire ou le Capricorne. Au XIXe siècle, c’est sur la lune que l’on a voulu voir des licornes.

Le capricorne, et plus rarement le bélier, avaient déjà parfois, depuis le Moyen Âge, des allures de licorne. Quelques graveurs de la Renaissance ont représenté la vierge zodiacale accompagnée d’une licorne. Ces unicornes n’étaient cependant là que par accident, et ce n’est qu’au XVIIe siècle que la licorne, ou plus précisément le monoceros, prend formellement place sur les cartes du ciel.

Le cartographe et astronome Petrus Plancius (1552-1622), suite aux observations des navigateurs hollandais, entreprit en effet de compléter la cartographie céleste. Il définit et donna des noms bien européens aux constellations australes, et ajouta en outre aux cartes célestes quelques figures difficilement visibles, faites d’étoiles lointaines et un peu floues. Certaines ont été oubliées, d’autres sont restées, comme le Monoceros. Située juste en dessous de Canis Minor, cette licorne se retrouve, sur bien des atlas, à porter sur son dos un petit chien ; c’est assez mignon.

En 1908, William Butler Yeats avait le grade de Monoceros de Astris dans la société secrète de la Golden Dawn, mettait des licornes et des étoiles sur ses ex libris, et publia une pièce intitulée La Licorne des étoiles. Les seules licornes que l’on y croise, nombreuses et violentes, sont dans les rêves de pureté et de destruction de l’un des personnages, Martin.

Il n’était de toute façon pas besoin de monter jusqu’aux étoiles pour trouver des licornes. Les deux voyageurs qui, au XVIIe siècle, avaient foulé le sol lunaire,  Domingo Gonsales[1] et Savinien de Cyrano de Bergerac[2], y avaient observé bien des curiosités, mais nul quadrupède unicorne. Deux siècles plus tard, les progrès de l’imagerie scientifique allaient permettre de les découvrir.

Le New York Sun, un quotidien à sensation américain, publia au mois d’août 1835 une série de lettres d’Andrew Grant, secrétaire de Sir John Herschel, l’un des astronomes les plus connus de l’époque. Depuis l’Afrique du Sud, où les savants venaient d’installer le plus puissant télescope jamais construit, il y décrivait les merveilles que les dernières inventions techniques avaient permis d’observer sur la surface de notre satellite. On y voyait des montagnes de cristal, des fleuves, des lacs, des forêts, et bien évidemment plusieurs espèces d’oiseaux et de mammifères. Des castors marchaient sur leurs pattes arrières en portant leurs petits dans les bras, des cerfs blancs à corne noire et des licornes galopaient sous les palmiers. La licorne de lune « est de couleur bleu métallique, de la taille d’une chèvre, avec une petite barbichette et une corne légèrement inclinée vers l’avant. Seul le mâle est armé d’une corne ; la femelle n’en a pas mais sa queue est plus longue. Ces animaux vivent en troupeau sur les coteaux escarpés en bordure de la forêt. Ces licornes ont l’élégance et la rapidité de l’antilope, galopant à grande vitesse et sautent comme de jeunes agneaux[3]». Ces licornes de lune tenaient, par leur barbichette, de la créature légendaire, mais aussi, par leur allure d’antilope, de l’animal unicorne que certains cherchaient alors en Afrique ou en Asie. La couleur bleue métallique était une innovation intéressante, le détail qui ne s’invente pas. Les créatures sélénites les plus fantastiques et les plus discutées dans la presse étaient néanmoins des hommes de petite taille, dotés d’une fine fourrure, d’ailes de chauve-souris et d’une libido débordante et volontiers aérienne. Civilisés, ils vivaient en communauté hiérarchisées et bâtissaient des temples coniques.

Ces articles connurent un immense succès populaire, faisant doubler durablement le tirage du New York Sun, et ce même après que, en septembre, la rédaction eut reconnu que tout cela n’était qu’un canular.

Andrew Grant n’existait pas. Découvrant ces articles avec plusieurs mois de retard, à son retour d’Afrique du Sud, le tout à fait réel astronome Sir John Herschel prit l’affaire avec un flegme très britannique mais dut, jusqu’à la fin de ses jours, répéter régulièrement lors de ses conférences que, non, il n’avait pas vu de licornes et d’hommes chauve-souris s’ébattre sur la lune.

Les articles du New York Sun signalaient également la présence sur la lune de petits bisons, sans préciser qu’ils étaient unicornes, mais c’est ainsi que les imagina l’artiste italien qui réalisa en 1836, après que le canular avait été éventé, une série d’illustrations de toutes ces découvertes. Il dessina des licornes non pas bleu acier mais rousses, ainsi que l’on imaginait alors les antilopes unicornes d’Afrique du Sud.

Les astronautes qui, un siècle et demi plus tard, ont posé le pied sur notre satellite n’ont rien vu – ou alors on nous cache quelque chose, ou ils n’y sont pas vraiment allé, ou les deux. D’ailleurs, vous avez sûrement remarqué qu’il y a trois lunes sur le blason de la Dame à la licorne, et que les licornes d’Éthiopie vivaient dans les montagnes de la lune – qui n’existent pas vraiment non plus, mais c’est une autre histoire.


[1] Francis Godwin, The Man in the Moone, 1638.
[2] Savinien de Cyrano de Bergerac, Histoire comique des états et empires de la lune, 1657.
[3] The New York Sun, 26 août 1835.

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