📖 La licorne entre en ville

Les entrĂ©es royales et autres dĂ©filĂ©s des XVIe et XVIIe siĂšcle sont assez bien documentĂ©s, et la licorne, qui n’est alors bien sĂ»r qu’un cheval dĂ©guisĂ©, y tient souvent un rĂŽle. Je cite quelques uns des livres d’entrĂ©e imprimĂ©s Ă  l’occasion dans mon livre, en voici d’autres. Il serait assez aisĂ© de continuer la liste.

Quelques jours aprĂšs, le 2 octobre, le Roi & la Reine firent leur entrĂ©e triomphante dans Rouen ? Il ne se peut rien ajouter Ă  la magnificence de cette entrĂ©e. Tout ce qu’on peut imaginer de plus extraordinaire dans ces sortes de rĂ©jouissances fut mis en exĂ©cution. On y voioit un arc de triomphe, des Licornes qui tiroient un char, des Elephans , ou des Chevaux travestis en Elephans, qui portoient ur leur dos des tours, & beaucoup de choses semblables [
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Pour donner quelque idĂ©e du goĂ»t de ces tems-lĂ , j’ai crĂ» devoir mettre ici en cinq planches : premiĂšrement , les figures des Licornes , ou des Chevaux cornus comme la Licorne , qui tirent le char de la Religion, reprĂ©fentĂ©e par une femme tenant fur la main une Eglise. Elle est accompagnĂ©e de plusieurs autres femmes couronnĂ©es. DerriĂšre le char est un homme qui porte une petite statue de la Sainte Vierge , tenant le petit enfant JĂ©sus. Ceux qui conduisent les Licornes sont vĂȘtus comme des Orientaux.

— Bernard de Montfaucon, Les Monumens de la monarchie françoise, Paris, 1733

Ledict comte estoit montĂ© et armĂ© comme en tel cas il apartient : et estoit son destrier couvert d’un demy satin verd, selon mon souvenir : et sçay bien que par-dessus la couverte avoit cinq licornes richement brodĂ©es.
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Apres luy venoyent quatre chevaux couverts, de velours noir chargĂ© d’orfaverie dorĂ©e et blanche, moult-richement, et avoyent lesdicts chevaux chanfrains d’argent, dont issoit une longue corne tenant au front, Ă  maniĂšre de licorne ; et furent icelles tortivees d’or et d’argent.

— MĂ©moires de Messire Olivier de la Marche, MaĂźtre d’hĂŽtel de Charles le TĂ©mĂ©rairre, circa 1500.

Auprez d’icelluy monastĂšre, jouxte l’Ă©glise Saincte Croix, estoit eslevee une petite establye bien proprement accoustree, et en icelle estoit une motte de terre, sur laquelle estoyt ung escu my party de France et de Bretaigne soubz une couronne ; de costĂ© d’icelluy escu ung cerf, d’aultre costĂ© une lycorne, bien faicts a merveilles, et lesquelles bestes soustenoyent ledict escu en mouvant leurs testes et les inclynant vers le Roy. En icelle establye estoyt escript ce que s’ensuyt :
Quand la Lycorne et le grand Cerf
L’armarye tiennent ensemble,
Il n’est ennemy qui ne tremble
Et qu’ilz ne rendent a eux serf.

L’entrĂ©e du roi Louis XII et de la reine Ă  Rouen, 1508

Et un peu aprĂšs marchoyent quatre bacines ou trompettes devant un chariot triomphant sur lequel estoit le dieu Mars, armĂ© de toutes piĂšces, assis en une chaire triomphale battue en or et en azur : ledit chariot enrichi d’or et d’argent, autour duquel estoyent pourtraites choses servantes aux armes, comme instrumens de guerre, conduit par six hommes sylvestres. Devant lequel estoyent les neuf preux magnifiquement en ordre, vestus de draps de soye de diverses couleurs, enrichis de broderies ; trois vestus Ă  la judaĂŻque : c’est Ă  savoir, JosuĂ©, David et Judas Machabeus, montez sur un Ă©lĂ©phant, un chameau et un cerf; Hector, Alexandre et Jules CĂ©sar Ă  la turque, montez sur une licorne, un griffon et un dromadaire, lesquelles bestes estoyent encaparençonnĂ©es de draps de soye Ă  broderie, si bien pourtraites sur le vif, et ayant tels mouvemens qu’il sembloyt estre naturelles ; et Artur, Charlemagne et Godefroi de Bouillon, vestus Ă  la françoise, montez sur coursiers faisant pennades et sauts si Ă  propos qu’il n’est possible de mieux faire.

— Charles de Bourgueville de Bras, EntrĂ©e triomphante du roi François Ier faite en la ville et universitĂ© de Caen, en l’an mil cinq cent trente deux, avec l’ordre trĂšs exquis en icelui tenu.

Les anciens avaient leurs chariots de guerre Ă  faux tranchantes, les Chars de leurs Princes , ceux de leurs Triomphateurs, & ceux de leurs DivinitĂ©s. Les uns Ă©taient tirez par deux chevaux seulement, les autres par quatre, six, huit, ou dix attelĂ©s de front. Ils y attelaient aussi quelquefois des lions, des ours, des licornes, des bƓufs, des cerfs , des Ă©lĂ©phants, des rhinocĂ©ros, des dragons, des aigles, des loups, des daims, et d’autres animaux selon les diverses choses qu’ils voulaient reprĂ©senter. Pour reprĂ©senter les licornes, les Ă©lĂ©phants, et quelques autres animaux, on se sert des chevaux que l’on dĂ©guise en diverses formes. On travestit aussi des hommes en ours, en lions, en tigres, et en autres animaux de basse taille.

— Claude François MĂ©nestrier, TraitĂ© des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics, Lyon, 1669

L’an 1615 on fit un autre Ballet de Chevaux en cette mĂȘme Cour , pour l’arrivĂ©e du Prince d’Urbin. Il y eut grand nombre de machines tirĂ©es par des lions, des cerfs , des Ă©lephants et des rhinocerots. Comme on reprĂ©sentait le Triomphe d’Amour sur la Guerre, les quatre parties du Monde suivirent le Char du victorieux surur autant de Chariots. Celui de l’Europe Ă©tait tirĂ© par des chevaux, celui de l’Afrique par des Ă©lĂ©phants, celuy de l’Asie par des chameaux , et celui de l’AmĂ©rique par des licornes.

— Claude François MĂ©nestrier, TraitĂ© des tournois, joustes, carrousels et autres spectacles publics, Lyon, 1669

Au Moyen Âge, les rois mages Ă©taient le plus souvent reprĂ©sentĂ©s Ă  pied ou Ă  cheval, plus rarement en bateau. Ce n’est qu’Ă  la Renaissance qu’ils deviennent des figures exotiques, arrivant dĂšs lors aussi parfois Ă  dos de chameau. Puisqu’il y avait en Orient, de l’avis gĂ©nĂ©ral, des chameaux, des Ă©lĂ©phants et des licornes, il n’est pas Ă©tonnant que, lors des fĂȘtes de Louvain en 1594, Melchior, Gaspard et Balthasar arrivent respectivement montĂ©s sur un chameau, un Ă©lĂ©phant et une licorne.

Les triomphes antiques Ă©taient aussi imaginĂ©s ainsi, sans que l’on sache bien si les licornes reprĂ©sentĂ©es tirant le char d’ArtĂ©mise, ou portant le jeune CĂ©sarion, fils de CĂ©sar et ClĂ©opatre, Ă©taient dans lesprit du peintre ou graveur de simples chevaux grimĂ©s ou de vĂ©ritables unicornes.

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