Des trois tableaux représentant la belle Giulia Farnese en dame à la licorne, seuls deux sont reproduits dans mon livre. Les voici donc accompagnés du troisième, ainsi que de quelques unes des représentations de vierges et de licornes dans les nombreux palais et jardins de la belle Giulia et de sa famille.
Pour comprendre toute la petite histoire de licorne et de fausse vierge qui se cache derrière les tableaux ci-dessous, il vous faudra lire mon livre….
Sainte Catherine d’Alexandrie.
Raphaël, Dame à la licorne, circa 1505.Galerie Borghese, Rome.
Luca Longhi, Dame à la licorne, circa 1525.
Castel Sant’Angelo, Rome.
Domenichino, Dame à la licorne, circa 1602.
Fresque du palais Farnèse, Rome.
Copie italienne de Il Domenechino, XVIIe siècle.
Seretta Wilson dans le rôle de Giulia Farnese, posant pour le tableau de Raphaël dans la série Les Borgias.
Avant d’être l’épouse du Christ (quel surnom!), la belle Giulia était celle d’Orsino Orsini. Cela explique cette peinture du château de Vasanello, propriété des Orsini, représentant les animaux emblématiques des deux familles.
Toutes les photos de Vasanello et Carbognano proviennent du petit livre de Giuseppe Capriotti, Il tempo delle fenice e degli unicorni, 2020.
Dans les diverses propriétés de la famille Farnese, et tout particulièrement celles dont les décorations furent commandées par Giulia et son frère le pape Paul III, les licornes sont partout. La plupart sont accompagnées de belles dames légèrement vêtues et à la virginité pour le moins douteuse.
Dans la villa Farnese à Caprarola, au Nord de Rome.
Elle a perdu sa corne, mais c’est bien une licorne.
La vierge chevauche la licorne, ce qui est inhabituel.
Une très sage vierge à la licorne.
La licorne purifiant les eaux.
Tout près de là, dans le Castello Farnese de Carbognano, où résida longtemps Giulia Farnese.
On ignore le sens de cette phrase.
Les poses des vierges et des licornes dans les appartements romains du pape Paul III, frère de Giulia, au Castel Sant’ Angelo, sont particulièrement suggestives, et cela est bien trop systématique pour ne pas être intentionnel. Des licornes assez ambigües décorent d’ailleurs également le livre d’heures d’Alessandro Farnese, aujourd’hui à la Morgan Library de New York, mais je n’ai pu en trouver d’images de bonne qualité.
Phofo Sarah Olmstead, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Photo Rex Harris, Flickr.
Les fresques du Palais Farnese de Rome, aujourd’hui ambassade de France, sont plus violentes et moins érotiques.
La lixcorne exterminant les guerriers.
La licorne attaquée par des chiens.
Dans le manga Berserk, la princesse vagabonde Farnese de Vandimion est aussi branchée licornes.
Les Farnese, dont je parle dans mon livre, ne furent pas la seule grande famille italienne de la Renaissance à faire de l’unicorne son emblème. La licorne des Farnese était sensuelle, celle des Este était politique et religieuse, et celle des Borromée plutôt guerrière.
À la vierge à la licorne des Farnese, la famille rivale des Este, à Ferrare, préféra l’autre scène emblématique, l’autre légende, celle de la licorne purifiant les eaux pour que les autres animaux puissent la boire en toute sécurité.
Médaille à l’effigie de Borso d’Este, 1460. British Museum.
Médaille à l’effigie de Borso d’Este, circa 1460. Washington, National Gallery of Art.
Façade du palais Schifanoia, à Ferrare. Photo Nicola Quirico, Wikimedia Commons.
Missel de Borso d’Este, circa 1450. Modène, Biblioteca Estense.
Bible ayant appartenu à Borso d’Este. Bibliothèque de Ferrara, ms cl II 132, fol 1r.
Borso d’Este (1413-1471) avait deux animaux emblématiques, la licorne et le worbas. Ce dernier, corps de lynx, queue de sirène et ailes de griffon, est absent du bestiaire médiéval et semble bien être une invention de la Renaissance allemande ou italienne. Selon l’image qu’il voulait donner, dangereuse ou pacifique, guerrière ou diplomate, le rusé Borso préférait l’une ou l’autre créature.
Bible de Borso d’Este, vol 1, fol 110v.
Vol 1, fol 5r.
Vol 2, fol 172r.
Toutes deux figurent sur bien des pages de ce qui est sans doute le plus beau manuscrit enluminé du XVIe siècle, la bible de Borso d’Este, aujourd’hui à la bibliothèque de Modène. La licorne y est le plus souvent représentée seule, dans une position accroupie, assise sur ses pattes arrière, trempant la pointe de sa corne dans une fontaine, devant un palmier symbole de la résurrection. On la voit aussi parfois aux côtés d’un cerf, autre animal christique, ou s’attaquant à un dragon, donc un serpent, figure du démon. Le message est politique autant que religieux, mais on est très loin, chez le brutal Borso, des double sens et de l’érotisme de l’iconographie farnésienne.
Paul écrivant l’épitre aux Romains. Bible de Borso d’Este, vol 2, fol 184v.
vol 2, fol 245v.
vol 2, fol 192r.
vol 2, fol 185r.
vol 1, fol 127r.
vol 2, fol 233v.
En 1542, accompagné de l’empereur Frédéric III de retour de Rome où il venait d’épouser Eléonore de Portugal, Borso d’Este fit dans Ferrare une entrée remarquée, «dans un char tiré par quatre licornes artificielles, sur lequel se trouvait un palmier dans lequel était assise la Charité brandissant une torche enflammée[1] » – sobre et de bon goût.
La muse Urania, circa 1450.
Pinacothèque nationale, Florence.
Cosimo Tura, Saint Maurelius et Saint Paul avec Niccolo Roverella, circa 1470.
La licorne des Este veille très discrètement sur la famille amie des Roverella. La voyez-vous ?
Rome, Palazzo Colonna.
Les quelques mariages entre les deux grandes familles rivales des Este et des Farnese auraient pu donner à quelque peintre de cour l’idée de représenter les deux scènes de la vierge à la licorne et de la licorne purifiant les eaux sur le même tableau. J’ai cherché un peu, mais je n’ai rien trouvé.
Plus au Nord, la famille lombarde des Borromée adopta au XVe siècle des armoiries complexes, sur les lesquelles une licorne rampante pointe sa corne vers un serpent. Ce serpent, de la bouche duquel s’échappe un enfant, était l’emblème des Visconti, famille alliée des Borromée, mais la licorne était l’ennemie des serpents. On peut donc, selon l’humeur, voir dans la scène une signe de l’alliance indéfectible entre les familles, également illustrée par le fameux nœud borroméen, ou une sorte de mise en garde…
Blason des Borromée.
Casque d’apparat de Renato I Borromeo (1572-1608).
Quoi qu’il en fut, la licorne des Borromée était un animal puissant, rapide et sauvage, que l’on n’imagine ni se reposant dans le giron d’une jeune vierge, ni même prenant le temps de tremper tranquillement sa corne dans les eaux d’un fleuve. Elle est rampante, debout sur ses pattes antérieures, sur le blason familial. Elle est mise en scène sans finesse dans les palais et jardins baroques que la famille Borromée fit construire au XVIIe siècle sur Isola Bella, l’une des îles du Lac Majeur.
Surplombant les jardins, une statue de licorne montée par un amour ailé y semble prête à s’envoler – mais elle n’a pas d’ailes, cela viendra bien plus tard.
Photo en noir et blanc coloriée à la main, 1883.
Photo en noir et blanc coloriée à la main, 1883.
Photo Torsade de Pointes, Wikimedia Commons.
La licorne est aussi à l’honneur sur deux des tapisseries flamandes du XVIe siècle qui décorent la galerie du palais. Sur l’une, une variante de la scène traditionnelle du combat entre le lion et la licorne se termine d’une manière plus favorable à cette dernière, qui embroche sur sa corne le fauve coincé contre un arbre. Sur l’autre, une licorne grise à l’épaisse crinière tient tête aux attaques de deux lions, une panthère et un dragon. Plus ancienne que le palais, cette suite de tentures montrant des combats d’animaux, peut-être issue du même atelier que la série à la girafe unicorne qui se trouve à Cracovie au musée du Wavel, n’a pas été réalisée pour les Borromée, mais la présence de la licorne au centre de ces deux scènes a certainement motivé son acquisition.
Virginale et érotique chez les Farnese, christique et pacifique chez les Este, fière et sauvage chez les Borromée, la licorne de l’Italie de la Renaissance pouvait donc, selon les besoins et les circonstances, hériter de l’une ou l’autre des qualités, des natures disait-on alors, de l’unicorne médiéval.
[1] Edmund G. Gardner, Dukes and Poets of Ferrara, 1904, p.75.
II y a eu des licornes sur les jeux de cartes, sur les tarots, sur les échiquiers, sur les jeux de l’oie, et il y en a aujourd’hui sur les jeux de société pour les plus jeunes, mais aussi pour les adultes.
2 de daims et de cerfs dans un jeu de cartes allemand du XVe siècle.
BNF, Estampes Res boite fol KH 25 (1-2)
Maitre ES, carte à jouer, XVe siècle.
New York, Metropolitan Museum.
Maitre ES, carte à jouer, XVe siècle.
Maitre ES, Carte à jouer, circa 1470.
Maitre de la Passion de Berlin, carte à jouer, circa 1450.
Maitre PW, Reine de lièvres, circa 1500.
Trois cartes d’un jeu de cartes de Georg Kapfler, 1611.
Sur les premiers jeux de cartes fabriqués en Europe au début du XVe siècle, les imprimeurs avaient encore le choix des séries, des couleurs, le plus souvent des végétaux ou animaux. Si la licorne n’eut jamais droit à une série entière, elle côtoie parfois ses cousines les biches. Dans les jeux de cartes allemands des XVIe et XVIIe siècles, dont les couleurs étaient carreaux, cœurs, glands et grelots, les glands sont fréquemment illustrés par des cerfs, et la carte où la licorne se rencontre le plus souvent est le deux de glands, ce qui fait un peu d’elle un cervidé.
Diane Chasseresse et licorne, circa 1700.
Jeu au portrait français de Johann Jobst Forster, début du XVIIIe siècle. La licorne est ici la marque de l’imprimeur.
Sur un jeu parisien du XVIIe siècle dont les as sont des animaux tenant des drapeaux, l’as de coupes est un cheval, celui de deniers un lion, celui de bâton un aigle ou un griffon, et celui d’épée une licorne ; sans doute le graveur a-t-il assimilé à une lame la longue corne de l’animal. Sur un autre, l’as de pique est encadré par deux licornes, et le deux de cœur illustré d’un cheval et d’une licorne. Les cartiers, comme tous les imprimeurs-libraires-éditeurs, avaient aussi parfois pour logo une licorne, que l’on retrouve alors sur le bouclier de l’un des valets.
As d’épée, jeu de tarot parisien, XVIIe siècle.
BNF, Estampes, Res Kh-34 (1,6)
As de pique, jeu de cartes français, XVIIe siècle.
BNF, Estampes, Res Kh-34 (B, 20)
Carte allemande, XVIIe siècle. Toutes les autres cartes de ce jeu sont illustrées d’animaux réels.
Jeu de cartes espagnol, circa 1900. La licorne de mer, ou le capricorne, est ici la marque de l’imprimeur.
BNF, Estampes, Boite fol-KH-383 (7,183)
Aux XVIIIe et XIXe siècles, c’est par les jeux de tarot que les animaux, disparus de jeux classiques de plus en plus standardisés, reviennent sur les cartes à jouer. Les atouts sont illustrés par des scènes animalières réalistes – un chien chassant, un chat rapportant un poisson. Comme ceux, apparus au XIXe siècle et encore utilisés aujourd’hui, qui illustrent les inégalités sociales, ces tarots étaient destinés au jeu et non à la cartomancie ; même si les cartiers s’efforçaient de rester à peu près logiques, il ne faut pas donner trop de sens au fait que telle bête figure sur tel ou tel arcane. À l’exception de l’ours, qui illustre toujours le 21ème et dernier atout, les animaux représentés peuvent figurer sur plusieurs cartes. On voit souvent la licorne sur les arcanes VII (le chariot) et VIII (la justice), ce qui peut faire sens, mais aussi sur le XIIe atout (le pendu), allez savoir pourquoi. Plus significatif est le fait qu’elle côtoie le chien, le chat, le lapin, l’ours, le lion ou la grenouille, des animaux qui n’ont rien de fantastique.
eu de tarot belge, circa 1780.
BNF, Estampes, Pet Fol KH-207 (6)
Tarot animalier à enseignes françaises de François Isnard, circa 1760.
BNF, Estampes RES BOITE ECU-KH-167 (4bis, 136-138)
Tarot animalier allemand, circa 1780.
New York, Beinecke Library.
Tarot animalier allemand, circa 1800.
BNF, Estampes, Res KH-167 (7, 202-204)
Aujourd’hui, bien sûr, les licornes sont partout, et donc sur les jeux de cartes. Vous pouvez acheter des jeux de poker des plus classiques, des Bicycle, avec au dos une licorne qui combine posture héraldique et reflets arc-en-ciel. Côté tarot, des jeux de divination très kitsch, vaguement new-age et plus hideux les uns que les autres, ont une licorne, parfois deux ou trois, sur chaque carte. J’ai pris les photos sur Amazon, et je vous jure que je n’ai pas choisi les plus moches.
Le seul qui ait du charme est sans doute le tarot d’ambre, inspiré des romans lourds et datés de Roger Zelazny mais illustré par la talentueuse Florence Magnin, dont la technique n’est pas sans rappeler celles des enlumineurs du Moyen Âge. Ses originaux, à peine plus grands que les dessins imprimés, ressemblent à des miniatures.
XI, La Force, Dessin de Florence Magnin pour le tarot d’Ambre.
Dans les nombreuses variantes du jeu d’échecs proposées au Moyen Âge et à la Renaissance, il arrive que l’une des nouvelles pièces soit baptisée licorne – ou rhinocéros, ce qui est la même chose. L’un des jeux présentés dans le fameux Livre des jeux d’Alfonse le Sage, qui se trouve à la biliothèque de l’Escurial à Madrid, se joue sur un échiquier de 12 x 12 cases. Chaque joueur y dispose de deux licornes, des pièces d’attaque qui font d’abord un saut de cavalier puis se déplacent comme des fous
Livre des jeux d’Alfonse le Sage, XIIIe siècle.
Madrid, Bibliothèque de l’Escurial.
Boite pour jetons de tric-trac, circa 1300.
New York, Metropolitan Museum.
Boite pour jetons de jeux, circa 1600.
Washington, Smithsonian Institute Museum.
Jeu de tric trac de Ferdinand Ier de Habsbourg, 1537, Kunstkammer Wien. Photo Erika Gabanyi.
Jeu de tric trac de Ferdinand Ier de Habsbourg, 1537, Kunstkammer Wien. Photo Erika Gabanyi.
En Catalogne, les auques étaient des tableaux quadrillés servant de support à des jeux de dés et à la divination. Beaucoup ont pour thème les animaux, et la licorne y est bien sûr présente. Les jeux de l’oie ont été particulièrement populaires en Espagne aux XVIIe et XVIIIe siècle, et la licorne y occupe aussi souvent l’une des cases, sans y avoir d’effet particulier.
Auque du soleil et de la lune, XVIe siècle.
Auque du soleil et de la lune, XVIIIe siècle.
Sur les 48 cases de cet auque du XVIIIe siècle, la licorne est la seule à ne pas avoir d’existence réelle, le dragon n’étant ici qu’un gros lézard. Ceci dit, le castor n’est pas très ressemblant.
J’ai acheté chez un antiquaire parisien cette petite licorne en ivoire, ivoire d’éléphant et non de narval, qui a bien la silhouette et la taille d’une pièce d’échecs des années 1900. Si c’est le cas, ce n’est sans doute qu’un cavalier auquel le sculpteur s’est amusé à donner une silhouette.
Plus récemment sont apparus les jeux de société modernes, avec leurs thèmes et leurs règles. Curieusement, alors même que créer des jeux de société est mon métier et que j’ai fait une thèse d’histoire sur les licornes, je n’ai pas combiné les deux pour traiter en jeu de société course de licornes ou chasse à la licorne. Quelques amis illustrateurs se sont quand même amusé à dessiner des licornes sur quelques cartes des plus médiévalisants de mes créations Castel, Citadelles ou Ménestrels.
Castel, illustré par Emmanuel Roudier. Je vous ai :mis la carte de l’édition russe, parce que la maquette est plus jolie.
Dessin de Tomasz Jedruszek pour Citadelles.
Une carte de Trollfest, illustré par David Hartman.
Une carte de Ménestrels.
M’étant fait doubler, Je vais donc vous parler des jeux des autres. Pour les tout-petits, Licornes dans les Nuages est bien plus intéressant que ne le laisse supposer sa boite rose bonbon. Pour les plus grands, on reste dans les tons roses, mais on passe clairement au second degré. Unstable Unicorns est un succès commercial, en grande partie du fait de ses illustrations pleines d’humour, mais le jeu est quand même d’un intérêt très limité. Préférez-lui Kill the Unicorns ; on n’y tue pas vraiment les licornes, on les vend aux gnomes, et ce qu’ils en font ensuite ne nous regarde pas. C’est un jeu d’enchères très dynamique, un peu dans le style de mes propres créations – je n’en parle donc pas parce qu’il est distribué par le probable futur éditeur de ce livre. Dans Unicorn Fever, dont l’un des auteurs est mon ami (et éditeur de mon jeu de vampires) Lorenzo Silva, des licornes de toutes les couleurs font la course sur un arc en ciel. Les teintes dominantes de tous ces jeux ne sont plus le blanc des unicornes de la Renaissance, mais bien le rose bonbon et le bleu ciel des licornes enfantines d’aujourd’hui.
La première licorne de Magic, the Gathering. Il y en a eu une centaine d’autres depuis.
Unicorn Fever de Lorenzo Silva, Lorenzo Tucci Sorrentino, illustré par Giulia Ghigini.
Oriflamme de Adrien et Axel Hesling, illustré par Tomasz Jedruszek.
Licornes dans les nuages, illustré par Stephanie Roehe.
Gloomy Graves, de mon ami Jeffrey Allers, illustré par David Szilagyi.
Kill the Unicorns, de Cyril Besnard, Loïc Chorvot et Alain Fondrille, illustré par Levi Prewitt.
Unstable Unicorns, par Ramy Badie.
C’est à la littérature médiévale fantastique anglo-saxonne que les univers riches mais simples du jeu de rôles et du jeu video ont emprunté leurs nombreuses licornes. Les licornes de ces Moyen Âges fantasmés y sont donc le plus souvent blanches et pures, ou à l’inverse noires et cruelles. Ces derniers temps, signe que ces médias sont devenus suffisamment adultes pour se permettre le second degré, elles tournent parfois au rose.
Dungeons & Dragons Monster Manual, 1977.
The Warlock Menagerie, jeu de rôles, 1980.
Dungeons and Dragons, 1990.
Curse of the Sea Rats
A plague tale, Innocence, 1979.
Un jeu video pour les filles…
Et un dernier conseil – on ne joue pas à saute-mouton avec une licorne.
Grylles, grotesques et chimères, les étranges créatures hybrides ou monstrueuses qui décorent certains manuscrits médiévaux, sont aussi souvent un peu licornes. Et là encore, j’ai des dizaines d’images qui n’ont pas trouvé place dans mon livre.
On appelle grylles les créatures étranges, humains déformés ou hybrides d’hommes, d’animaux et de plantes, qui se battent ou parfois se cachent dans le décor des manuscrits médiévaux. On les croise aussi, plus rarement, sur les frises sculptées ou les chapiteaux des églises, et dans des tableaux comme ceux de Jérôme Bosch.
Dans les marges de ces deux livres d’heures, tous deux copiés et enluminés à Bruxelles, par la même équipe, au début du XVe siècle, se promènent toutes sortes de créatures unicornes, bipèdes et quadrupèdes, qui n’ont en commun qu’une corne droite et spiralée.
Livre d’heures de Charles le Noble, XVe siècle.
Cleveland Museum of Art, ms Marlatt 1964.40, fol 184-185.
Fol 184v.
Fol 75r.
Fol 298r.
Fol 262r.
Cet autre livre d’heures a été enluminé par la même équipe, sans doute à Bruxelles.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 62, fol 74r.
Fol 13r.
Fol 41r.
Livre d’heures du XVe siècle.
Bibliothèque nationale d’Espagne, ms Vitr 25.3, fol 61r.
Missel de la fin du XVe siècle.
BNF, ms lat 879, fol 113r.
Livre d’heures, XVe siècle.
Bibliothèque de Genève, ms lat 33, fol 15r.
Recueil de vies de saints, 1285.
BNF, ms fr 412, fol 8r.
Psautier de Luttrell, XIVe siècle.
British Library, Add ms 42130, fol 179r.
Fol 151r.
Ce livre d’heures du début du XIVe siècle est illustré de scènes bizarres, souvent à double sens. Certains gags sont limpides, mais on ignore totalement ce que signifie cet unicorne qui se mord la queue.
British Library, Stowe ms 17, fol 103v.
Une licorne ver face à un dragon qui fait sa mue. Psautier de Rutland, XIIIe siècle.
British Library, Add ms 62925, fol 101v.
Combat de grylles. Psautier de la Reine Mary, circa 1320.
British Library, ms 2 B VII, fol 168v.
Livre d’heures, circa 1500.
British Library, Yates Thompson ms 29, fol 74v.
Romans arthuriens, circa 1280.
BNF, ms fr 95, fol 190v.
Chroniques de Jean Froissart, XVe siècle.
BNF, ms fr 2646, fol 176r.
Livre d’heures du margrave de Bade, 1488.
Badisches Landesbibliothek, cod Durlach 1, fol 57r.
Xenophon, La retraite des dix mille, XVIe siècle.
BNF, ms fr 701, fol 24v.
Vincent de Beauvais, Speculum Historiale, XVe siècle.
Chantilly, Musée Condé, ms 722, fol 147r.
Plafond au bestiaire, XIIIe siècle.
Metz, Musée de la cour d’or, Photo Jean-Michel Perruche.
Si quelques unes de ces étranges créatures participent à des scènes moquant la réalité du temps, la plupart n’ont guère de signification particulière. Ils nous montrent cependant que les hommes du Moyen Âge, au delà des discours religieux, étaient bien conscients tout à la fois de l’absurdité du monde et d’une certaine continuité entre l’humain, le végétal et l’animal.
Yale University, Beinecke Library, Rotschild Canticles, ms 404, fol 128v.
Celui-ci a un petit côté rhinocéros, quand même. Livre d’heures, circa 1325. New York, Morgan Library, ms m 754, fol 7r.
Là, on est sur une autre planète. La somme le Roi,, 1311.
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6329, fol 26v.
Psautier de Metz, XIVe siècle. Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 15v.
Saint Augustin, La cité de Dieu, circa 1420.
Bruxelles, Bibliothèque Royale, ms 9005.
Encore une licorne qui sort de sa coquille. Tite-Live, Décades>/i>, XIVe siècle.
Bibliothèque de Bordeaux, ms 730, fol 192r.
L’Ystoire du tres sainct Charlesmayne, XVe siècle.
BNF, ms fr 4970, fol 21v.
Faits des romains, circa 1325.
BNF, ms fr 295, p.176.
Une histoire bizarre dans un manuscrit où elles sont assez nombreuses.
British Library, Stowe ms 17, fol 62v.
Livre d’heures flamand, circa 1470.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, ms cod 1857, fol 36v.
Les licornes ne sont pas les seuls quadrupèdes à être fréquemment représentés sortant d’une coquille.
Livre d’heures, circa 1490.
bibliothèque d’Angers, ms 134f, fol 55v.
L’enlumineur a horreur du vide, et dans les plus beaux manuscrits, chaque fin de ligne était l’occasion de peindre parfois une longue bande de motifs géométriques ou végétaux, parfois une drôle de bestiole, un reptile dont le long corps se termine, dans la mage à droite de la page, par une tête d’évêque, de roi, de chevalier, de cerf ou de licorne.
Revoici d’ailleurs le livre d’heures de Cambridge dont je vous parlais la semaine dernière dans mon post sur les licornes gambadant dans les marges – d’autres licornes semblent vouloir s’y échapper du texte.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22
Un oiseau qui fait le malin…. Fol 23v.
La vache, le prêtre, la licorne et le chevalier. Livre d’heures, circa 1300.
Cambridge, Trinity College, ms B 11.22, fol 95r.
Une curieuse discussion. Fol 172r.
Si c’est un bisou de licornes, on peut en déduire que seul le mâle est cornu. Fol 202 r.
Le cerf et la licorne. Fol 69v.
Variante de la fin de ligne, les têtes et pieds de colonne. Bréviaire dominicain, XIVe siècle. BNF, ms NAL 3255, fol 250v.
La même licorne, ou presque, chez les franciscains – même si ça fait un peu luxueux pour des franciscains. BNF, ms lat 10843, fol 31v.
Fol 20r..
Livre d’heures de Jeanne d’Evreux.
New York, Metropolitan Museum, ms 54.1.2, fol 98v.
Psautier de Humphrey de Bohun, XIVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, Exeter ms 47, fol 121r.
Fol 68v.
Fol 38v.
Un autre psautier de la famille de Bohun, décoré par les mêmes enlumineurs anglais.
British Library, Egerton ms 3277, fol 98v.
Fol 78r.
Et certaines licornes sont plus classiques, même si celle-ci semble être bipède. Fol 148v.
Beaucoup de ces grylles, grotesques et chimères sont cornus, et plus souvent qu’à leur tour unicornes. À la fin du Moyen Âge, comme les licornes, ils ne disparaissent pas des manuscrits et se contentent de se faire plus discrets se cachant, comme les singes, licornes et hommes sauvages, dans les entrelacs végétaux un peu trop bien rangés qui envahissent les marges.
Livre d’heures, circa 1485.
Harvard, Houghton Library, ms lat 249, fol 5v.
Fol 100v.
Fol 105r.
Fol 111r.
La bestiole a bien la barbiche de la licorne. pour le reste…
Fol 119r.
Missel de Jean de Foix, Évêque de Comminges, 1492.
BNF, ms lat 16827, fol 281r.
Fol 191v.
Fol 288r.
Le lion cornu et la double licorne. Fol 73v.
Fol 279r.
Fol 373v.
Fol 67v.
Fol 368v.
Ménestrels est un petit jeu de cartes, que j’ai conçu avec mon amie Sandra Pietrini, qui a fait sa thèse sur les troupes de théâtre ambulantes à la fin du Moyen Âge. Chaque joueur y gère une troupe d’acteurs, de musiciens et d’acrobates et s’efforce de donner le plus beau spectacle aux nobles du coin, et surtout à la cour royale. Il a été illustré par mon ami David Cochard, qui a bien compris l’esprit des grylles médiévaux et en a mis sur toutes les cartes. Plusieurs, bien sûr, sont unicornes.
Si quelques unes en ont peut-être un, il serait certainement vain de chercher un sens à toutes les licornes qui galopent dans les marges des bréviaires ou des livres d’heures des XIIe et XIIIe siècles, puis qui se cachent dans les entrelacs de feuillages de ceux des XVe et XVIe. Ce n’est pas une raison pour ne pas vous en montrer quelques unes qui n’ont pu trouver leur place dans un livre qui manque sans doute un peu de marges.
L’enlumineur de ces deux bréviaires copiés vers 1300, aujourd’hui à la bibliothèque de Cambrai, a dessiné dans les marges de nombreuses scènes de chasse, dont certaines mettent en scène des créatures fantastiques, voire monstrueuses. Les chasses à la licorne, parfois à courre, y sont représentées sur le modèle de la casse au cerf.
Bibliothèque de Cambrai, ms 103C, fol 49r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103B, fol 81r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103B, fol 20r
Bibliothèque de Cambrai, ms 103A, fol 112r
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 207v.
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 273r.
Bibliothèque de Cambrai, ms 102, fol 337v.
Parfois, des singes, figures récurrentes des décors enluminés de l’époque, se mêlent à la chasse, sans que l’on sache bien s’ils sont complices des chasseurs ou amis des licornes, ou s’ils profitent juste de l’occasion pour s’amuser un peu. C’est en particulier le cas sur les productions d’un atelier d’enluminure flamand dont je parle dans un autre post.
Une grande partie de l’humour médiéval nous échappe sans doute, faute de références, mais quelques gags que l’on pourrait trouver aujourd’hui dans des bandes dessinées sont encore très actuels. Des enlumineurs malins exploitaient ainsi le recto et le verso des feuillets, et le lecteur surpris devait sans doute prendre garde à ne pas rire trop bruyamment pendant l’office. Si le gags graphiques mettent plus souvent en scène singes, lapins, renards ou escargots, la licorne s’y glisse parfois.
British Library, Harley ms 6563, fol 91r.
La licorne s’est fait voler sa corne… qui est le voleur ?
La licorne dort tranquille dans un coin de la page.
BNF, ms fr 567, fol 15r.
Mais elle devrait se méfier….
La scène de la licorne piégée par une jeune et jolie vierge, empruntée aux bestiaires, se retrouve bien sûr également dans les décors marginaux de bien d’autres manuscrits, comme par exemple ce psautier du début du XIVe siècle, aujourd’hui à la bibliothèque de Metz.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 119r.
Psautier de Metz, BM 1588, fol 62r.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 62r.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 184v.
Cette image devrait être dans le chapitre suivant…
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 15v.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 75.
Bibliothèque de Metz, ms 1588, fol 208r.
Si leur nombre reste inférieur à celui des singes, des lapins ou même des biches, les licornes sont une figure assez fréquente des décors, qu’ils soient réalistes, fantastiques ou burlesques. Elles sont assises sur le bord des lettrines ou gambadant au dessus du texte, parfois chevauchées par des singes, sur les pages des bréviaires, psautiers et livres d’heures des XIIIe et XIVe siècle. En voici donc une dizaine d’autres, un peu au hasard.
Romans arthuriens, circa 1300. Yale University, Beinecke Library, ms 229, fol 250r.
Romans arthuriens, circa 1300. Yale University, Beinecke Library, ms 229, fol 320v.
Livre d’heures d’Isabelle de Luxembourg, début du XIVe siècle.
Chantilly, musée Condé, ms 62 (1463), fol 1v.
Psautier, circa 1260. Bibliothèque de Besançon, ms 54, fol 44.
Bible du XIIIe siècle. Pennsylvania University, Kislak Center, ms codex 724, fol 309v.
Pontifical de Guillaume Durand, évêque de Mende, circa 1357. Bibliothèque Sainte-Geneviève, ms 143, fol 232r.
Livre d’heures, circa 1280. Bibliothèque de Marseille, ms 111, fol 61v.
Psautier, circa 1320.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 6, fol 136v.
Bréviaire Dominicain à destination royale, début du XIVe siècle.
BNF, NAL 3255, fol 250v.
Somme le Roi, 1311.
Bibliothèque de l’Arsenal, ms 6329, fol 135r.
Livre d’heures, circa 1320.
Bibliothèque du Vatican, ms bav pal lat 538, fol 138r.
Un singe sur une licorne affronte un écureuil sur une chèvre. Brunetto Latini, Livre du trésor, XIVe siècle.
British Library, Yates Thompson ms 19, fol 3r.
Psautier, fin du XIIIe siècle.
BNF, ms Smith Lesouef 20, fol 18r.
Psautier, fin du XIIIe siècle.
BNF, ms Smith Lesouef 20, fol 73r.
Les licornes juives ne sont pas différentes des chrétiennes.
Pentateuqye, circa 1390.
British Library, Add ms 19776, fol 170r.
Bréviaire, circa 1400. Dijon, Bibliothèque municipale, ms 113, fol 120v.
Psautier flamand, circa 1300. Oxford, Bodleian Library, ms Laud Lat 84, fol 152v.
Les marges des manuscrits des XVe et XVIe siècle sont plus chargées, parfois même un peu confuses. Les animaux s’y perdent de plus en plus dans une végétation envahissante. Les licornes y ressemblent plus à celles que nous connaissons aujourd’hui, blanches, mi-caprines mi-équines, sabots fendus. Sur le premier feuillet d’un manuscrit, ou revenant régulièrement toutes les dix ou douze pages, elles peuvent être une sorte d’ex-libris indiquant le propriétaire originel de l’ouvrage, en particulier lorsqu’elles sont accolées, ou colletées, c’est à dire arborent un collier ou une couronne autour du cou.
Le Livre des hystoires du Mirouer du monde , XVe siècle.
BNF, ms fr 328, fol 10r.
Livre d’heures de Jan van Amerongen er Mary van Vronenstey, circa 1460.
Bruxelles, Bibliothèque Royale de belgique, ms II 7619, fol 243r.
Brunetto Latin, Livre du Trésor, XVe siècle.
Bibliothèque de Genève, ms fr 160, fol 82r.
Licorne héraldique issante sur un livre d’heures du XVe siècle.
Moscou, Bibliothèque d’État de Russie, ms Ф 183.1 N446, fol 149r.
La licorne et le blason indiquent que ce volume appartenait à Antoine de Chourses, chambellan de Louis XI. Ils ont été ajoutés sur un manuscrit dont il n’était sans doute pas le premier propriétaire.
Les Faits des Romains, circa 1480.
Chantilly, Musée Condé, ms 770, fol 1r.
Antoine de Chourses avait beaucoup de livres, qui sont tous à Chantilly.
Un dernier, la Guerre des juifs de Flavius Josèphe, circa 1480.
Livre d’heures du XVe siècle.
Bibliothèque nationale d’Espagne, ms Vitr 25.3, fol 83v.
Fol 174r.
Missel, XVe siècle. Bibliothèque de Toulouse, ms 96, fol 243r.
Le plus souvent cependant, elles restent purement décoratives, comme celles des manuscrits plus anciens. Dissimulées dans les feuillages, certaines sont juste un peu plus difficiles à débusquer.
Vie de Sainte Catherine, XVe siècle. Bibliothèque Nationale, ms Néerlandais 129.
Livre d’heures, XVE siècle.
Bibliothèque de Clermont-Ferrand, ms M 2752.
Ramon Lull, libre de meravelles, XVe siècle. BNF, ms fr 189, fol 289v.
Chantilly, Musée Condé, ms 388, fol 9v
Livre d’heures, circa 1500. Bibliothèque d’Abbeville, ms 15, fol 18v.
Une licorne sombre dans un bréviaire du XVe siècle.
Bibliothèque de Besançon, ms 69, fol 5r.
Et elles continuent à entretenir avec les singes des relations bizarres.
Vous avez peut-être déjà vu cette scène bizarre dans le chapitre sur les hommes sauvages. On ignore ce qu’elle signifie.
BNF, ms latin 1159, fol 41r.
Livre d’heures dominicain, circa 1500.
British Library, Add ms 35313, fol 212v.
Fol 96v.
Fol 128r.
Livre d’heures, circa 1500.
British Library, Add ms 35313, fol 212v.
Ces licornes marginales qui n’ont le plus souvent pas de sens particulier, se croisent dans les manuscrits mais aussi sur les chapiteaux ou les frises sculptées des églises, qui sont aussi des marges, des lieux où tout n’a pas nécessairement de sens. Voici une licorne suivie par deux animaux plus difficilement identifiables sur une frise murale de l’église Sainte Marie de Bloxham, en Angleterre.
Quand les licornes se laissent encore par une jeune vierge, ou à la fin du Moyen Âge s’approchent des fontaines, les images prennent plus de sens – mais ces histoires là, je les raconte dans mon livre.
Une série de six gravures de Jean Duvet, vers 1560, font un curieux récit de chasse à la licorne où s’entremêlent l’antiquité grecque, les légendes médiévales et les guerres de religion.
Je pensais d’abord ne citer ici que très incidemment la série de gravures sur cuivre en taille-douce du Langrois Jean Duvet, parfois appelé le Maître à la licorne, réalisées vers 1560. N’appréciant guère son style très particulier, à la fois naïf et surchargé, qui a la complexité de celui d’Albrecht Dürer sans jamais en avoir l’évidence, je n’avais jamais vraiment regardé de très près ces six images. Elles présentent un récit quelque peu alambiqué et inhabituel de la chasse à la licorne, mêlant références antiques, légendes médiévales et clins d’œil à l’actualité du temps. Bref, je n’aimais guère et n’y comprenais goutte.
La licorne purifie les eaux. Les animaux d’Europe, à gauche, et exotiques, à droite, représentent peut-être catholiques et protestants.Les chasseurs présentent au roi er à Diane des fumées (crottes) de licorne. Je ne connais pas d’autre image de fumées de licorne.
Mais bon, plus ce projet de livre et de site a pris un tour encyclopédique, plus il était difficile de continuer à ignorer une série de gravures qui est l’un des deux seuls exemples iconographiques de chasse à la licorne soigneusement scénarisée, l’autre, plus ancien d’un demi-siècle, étant les sept tapisseries vertes du musée des Cloisters. Les deux récits ont quelques points communs : la licorne trempe sa corne dans les eaux où vont s’abreuver les autres animaux, se défend lorsqu’elle est attaquée, puis tombe dans le piège d’une jeune vierge. Rien ne suggère cependant que Jean Duvet ait pu connaître les tapisseries et s’en inspirer, et on ne retrouve pas dans les gravures, où la licorne n’est pas tuée, les allégories religieuses des tentures.
La licorne se défend, plus violemment encore que sur les tapisseries de La chasse à al licorne.La capture de la licorne. Notez le gibet à l’arrière plan, c’est l’époque qui veut cela.
La licorne des gravures, dont on ne peut savoir si l’artiste l’imaginait blanche, n’est donc guère christique. Au corpus légendaire médiéval sur la bête s’ajoutent des références iconographiques à l’antiquité gréco-romaine. Les chasseurs, dont aucun ne peut être l’ange Gabriel, sont vêtus de toges ; Diane chasseresse est au côté du roi auquel ils présentent des fumées de licorne – les fumées du Christ, ce ne serait pas du meilleur goût. La licorne n’est d’ailleurs pas mise à mort, elle est capturée vivante à l’issue d’une chasse à courre, puis exhibée en triomphe sur un char tiré par des chiens, scène qui semble être un unicum. En arrière de la licorne chevauchée par un amour venu des triomphes de Pétrarque, le roi pose une couronne sur le chef de la jeune vierge, dont on ne sait pas bien si elle est aussi Diane chasseresse. Sur ce qui est sans doute la dernière gravure de la série, roi et reine reine tiennent tous deux par la bride une licorne enguirlandée. Saturée de symboles et de références, cette chasse à l’unicorne est moins naturaliste encore que celle des tapisseries, mais sa lecture allégorique est aussi embrouillée que la composition des gravures.
On a plus l’habitude de voir les licornes tirer les chars triomphaux. Ici, la licorne est montée sur le char, qui est tiré par des chiens.La licorne est parée de luxueux bijoux pour le triomphe royal..
Nous sommes dans le contexte des guerres de religion et de l’affirmation de la puissance royale. Jean Duvet, ardent catholique, avait organisé la mise en scène de l’entrée à Langres d’Éléonore d’Autriche, épouse de François Ier, puis représenté plusieurs fois Henri II sur d’autres gravures. On peut donc légitimement penser que cette chasse à courre d’un animal plus noble encore que le cerf, se terminant en couronnement et en triomphe, est une mise en scène du rôle providentiel du roi de France. Cela expliquerait notamment la présence, inquiétante et inhabituelle, d’un gibet en arrière-plan de la capture de la licorne, qui figurerait le châtiment des hérétiques qui ne se soumettent pas, comme la licorne, à la puissance royalei[1].
Attribué à Luca Penni, Diane chasseresse dont le modèle est sans doute Diane de Poitiers, circa 1550. Musée du Louvre.
Si le roi représenté sur les gravures est Henri II, il est bien sûr tentant de voir dans la présence de Diane chasseresse une allusion à sa maîtresse Diane de Poitiers. Le procédé, qui n’est pas d’une grande finesse, a été utilisé sur plusieurs peintures par d’autres artistes[2].
Allégorie au miroir solaire, gravure attribuée à Jean Duvet, d’après un dessin de Léonard de Vinci.
L’œuvre la plus connue de Jean Duvet est sa série de vingt-huit gravures illustrant l’Apocalypse. Il a pourtant longtemps été appelé Le maître à la licorne alors que la bête n’apparait que sur les scènes de la chasse, et peut-être sur une gravure dont il n’est pas certain qu’elle doive lui être attribuée et qui reproduit l’Allégorie au miroir solaire de Léonard de Vinci,. Cette image, peut-être alchimique, montre un impressionnant combat entre une licorne, un dragon, un ours, un lion et une panthère.
Jean Duvet, La bête de l’apocalypse, à sept têtes et dix cornes – et donc, comme souvent, quelques têtes unicornes.
C’est un lion qui rampe et rugit sur le blason écossais, et c’est un peu par hasard que la blanche licorne héraldique est devenue l’animal emblématique de l’Écosse.
La licorne blanche est l’animal emblématique de l’Écosse. On la croise partout, dans les Lowlands et les Highlands, sur les vitres et les enseignes des pubs. Elle trône au sommet des Mercat Cross, ces colonnes de pierre qui indiquent la place du marché, tenant entre ses pattes un écu portant non pas le blason écossais, mais le drapeau national, une croix de Saint-André sur champ d’azur. Sur le blason écossais rampe en effet un lion de gueules sur champ d’or, mais tout comme la licorne figure aujourd’hui l’Écosse et le dragon le pays de Galles, le lion est aujourd’hui au Royaume Uni l’emblème de l’Angleterre – qui a pourtant sur son blason traditionnel trois léopards d’or sur champ de gueules. Comment expliquer cette bizarrerie, cette schizophrénie symbolique ?
Sceau de Mary d’Écosse, sur un document daté du 3 octobre 1546.
ST Andrews University Library.
Sceau d’Anne de Danemark, reine d’Écosse, 1618. St Andrews University Library.
Blason sculpté dans les ruines du château de Craigmillar, à Edinburgh.
À la fin du Moyen Âge, les armes des royaumes et des grandes familles se sont enrichies de figures nouvelles, en support et en cimier. C’est à cette occasion que la licorne, jusque-là peu présente sur les anciens blasons, a réellement commencé sa carrière héraldique. Au XVe siècle, sous le règne de James II (1460-1488), deux licornes sont venu encadrer les armes écossaises, sans autre raison sans doute que le fait que l’animal était alors à la mode.
Les armes écossaises sur un manuscrit des Géorgiques de Virgile, copié vers 1450.
Université d’Edinburgh, ms 195, fol 65r.
Livre d’heures de James IV d’Écosse, circa 1502, fol 14v.
Vienne, ÖNB, ms 1897, fol 14v.
Livre d’heures de James IV d’Écosse, circa 1502, fol 14v.
Vienne, ÖNB, ms 1897, fol 24v.
Livre d’heures de James IV d’Écosse, circa 1502, fol 14v.
Vienne, ÖNB, ms 1897, fol 109v.
Pour une seule licorne, cela peut devenir lourd à porter.5, Cartulaire de l’Abbaye de Cambuskenneth.
Panneau de chêne du XVe siècle portant les armes écossaises. Musée National d’Écosse, château de Linlithgow.
En 1480, au mariage parisien de la reine d’Écosse Marie Stuart avec le dauphin de France, le futur et éphémère roi François II, défilèrent en son honneur « douze belles licornes sur lesquelles estoient montez jeunes princes, tant richement vestuz et acoustrez que sembloit que le drap d’or et d’argent ne coustassent riens[1] ». Les belles cavales ainsi déguisées symbolisant d’une part le royaume de la jeune princesse, et d’autre part sa pureté et sa beauté, c’était assez bien trouvé. De 1484 à 1525, les rois d’Écosse frappèrent des pièces d’or appelées licorne, ornées d’une licorne accroupie (eh oui, en héraldique accroupi se dit accroupi, ça m’a surpris) accolée (ayant autour du cou) d’une couronne et tenant le blason écossais. Il y eut même des demi-licornes, sur lesquelles la bête est aussi entière que sur les licornes.
Licorne frappée sous le règne de James III, 1452-1488.
Licorne frappée sous le règne de James IV, 1488-1513.
Demi couronne de Charles I, 1648.
Voilà, ma foi ! des pièces de monnaie écossaises, anglaises et étrangères des XVe et XVIe siècles, et quelques-uns de ces articles rari et rariores, etiam rarissimi. Voici le bonnet de Jacques V ; la licorne de Jacques II ; le vieux teston d’or de la reine Marie, avec son effigie et celle du dauphin… — Walter Scott, L’Antiquaire.
L’escalier du lion et de la licorne, à l’université de Glasgow.
Photo Dun Deagh, Flickr
N’oublions pas le dragon du Pays de Galles. Ici, devant le château royal de Hampton Court, le lion anglais semble même se faire discret.
Photo Adrian Chenery, Alamy
Les armes de George III dans l’église St Gilles de Bredon, dans le Worcestershire.
Les armes de Jacques Ier dans l’église de Lanhydrock, en Cornouailles.
Tout cela n’aurait cependant pas suffi à faire de la licorne l’emblème de l’Écosse si, lors de l’union de 1603, le roi James (I ou VI, c’est compliqué) n’avait astucieusement décidé de faire supporter les armes du nouveau Royaume-Uni à dextre par un lion, qui s’occupait jusque-là des armes anglaises, et à sénestre par une licorne venue d’Écosse. Ainsi est née la tradition de représenter le Royaume Uni par un lion anglais et une licorne écossaise, et ce alors même que lion et licorne ne sont que des supports, donc des figures héraldiques secondaires et, en principe, de bien moindre importance que ce qui se trouve à l’intérieur de l’écu. Cela illustre bien la place de la licorne en héraldique, importante mais marginale, renaissante plus que médiévale.
Panneau marquant la frontière entre l’Écosse et l’Angleterre dans les années trente.
Étiquette apposée sur les caisses de tissu de la compagnie William Stirling & Sons, de Glasgow, à la fin du XIXe siècle. La licorne représente l’Écosse, d’où le tissu était expédié, et peut-être la rapidité du transport ; le singe représente l’Inde, sa destination.
Tomi Ungerer, 1960. L’Écosse cherche à prendre son indépendance….
Je pensais avoir terminé ce livre, et me trouvais un peu court sur les licornes d’Écosse, lorsque la British Library a très opportunément mis en ligne un très bel armorial écossais, le Harley ms 115, de la toute fin du XVIe siècle, peu avant l’union des deux royaumes d’Angleterre et d’Écosse. Aucune licorne n’y apparaît sur les écus d’une centaine de clans, mais on en compte une dizaine en support ou en cimier, dont quelques-unes assez intéressantes.
Les armes écossaises, d’or au lion rampant de gueules armé et langué d’azur. La devise In Defens y a été remplacée par une formulation un peu plus complexe dans un mélange d’anglais et de latin, mais l’idée reste la même.
Les armes des Lyons portent, fort logiquement, un lion. Elles reprennent le modèle des armes écossaises, mais avec un lion d’azur sur champ d’argent. Les supports sont une licorne et un homme sauvage.
Les armes des Hamilton, de gueules à trois quintefeuilles d’argent, sont ici supportées par des antilopes, reconnaissables à leurs cornes-scies. Ignorant à quoi ressemblaient des antilopes, qui ne sont pas très souvent utilisées dans le blason, le peintre leur a donné la silhouette des licornes, qu’il connaissait mieux.
Les armes des Cunningham, d’argent au pairle de sable, ont pour cimier une licorne et sont supportées, c’est assez original, par deux lapins. La licorne étant vraisemblablement un herbivore, ils ne risquent rien.
Le rédacteur de l’armorial semble avoir oublié de noter qu’il s’agissait des armes des Randolph, d’argent à trois coussins de gueule, encadrées, avec une certaine logique, par une vierge et une licorne. Des coussins, c’est assez confortable pour s’endormir.
Les armes des Oliphant, de gueules à trois croissants d’argent, ont toujours une licorne en cimier, mais ils ont le plus souvent pour support des éléphants, ce genre de jeux de mots étant fréquent en héraldique. Il est donc assez curieux de les voir ici encadrées par des rhinocéros, que le peintre a peut-être confondu avec des éléphants. La licorne, qui elle est pour l’artiste un tout autre animal, est représentée de face, ce qui est très inhabituel, et semble vouloir bondir vers le spectateur.
Sur l’armorial de Gilles de Bouvier, dit Berry, héraut d’armes du roi de France Charles VII, les deux seuls écus à la licorne sont ceux de nobles écossais, Charleston et Samuelston, ses alliés dans la guerre contre les anglais.
Armorial de Gilles Bouvier, circa 1430. BNF, ms fr 4985, fol 159r.
Fol 161r.
[1]J.B.A.T. Teulet, Relations politiques de la France et de l’Espagne avec l’Ecosse au XVIe siècle, Paris, 1862, vol.1, p. 310 sq.
mprimeurs, éditeurs, papetiers, relieurs, tout ce petit monde a, dès les débuts de l’imprimerie, fréquemment pris la licorne pour emblème. On la croise dans les filigranes, sur les marques d’imprimerie, dans les lettrines, et aujourd’hui encore sur bien des ex-libris.
Vous ne connaissez sans doute qu’une licorne de papier, celle en origami argenté du film Blade Runner, mais elle n’est que la dernière d’une très longue série. Depuis le Moyen Âge, la bête unicorne semble avoir des affinités mystérieuses avec le monde du papier, de l’imprimerie, de l’édition.
La couronne collier indique que cette licorne, répétée sur une vingtaine de folios, a une fonction héraldique. Le monogramme, l’écu et la licorne, qui ont été peints par-dessus les enluminures d’origine, sont une sorte d’ex libris, identifiant le propriétaire du livre. Ils désignent Antoine de Chourses et Catherine de Coëtivy, pour qui ce manuscrit de l’Histoire Romaine de Tite-Live a été copié.
Chantilly, musée Condé, ms 309, fol 28r
Je ne sais pas en revanche quel propriétaire est indiqué par cette licorne issant d’un champignon d’azur, que l’on retrouve sur une dizaine de pages de ce livre d’heures du XVe siècle.
Moscou, Librairie d’état de Russie, ms Ф.183.1 №446, fol 25v.
Le filigrane, ou marque d’eau, est un dessin qui apparaît en transparence sur une feuille de papier. La technique date du XIIIe siècle et le tracé, réalisé à l’aide d’un fil de cuivre ou de laiton posé sur le tamis, est nécessairement grossier. Le filigrane permettait de connaître l’origine d’un papier, et permet aujourd’hui à quelques passionnés d’entretenir des bases de données hallucinantes classant et comparant plusieurs dizaines de milliers de dessins utilisés du Moyen Âge à l’époque moderne.
Filigrane d’un manuscrit espagnol, XIVe ou XVe siècle.
À en croire ces catalogues, la blanche bête fut du XIIIe au XVIIe siècle non seulement l’animal fabuleux, mais même l’animal le plus représenté sur les marques d’eau. Un recensement récent des filigranes entre 1342 et 1663 a trouvé 1496 licornes, les deux autres créatures fabuleuses les plus souvent représentés, le dragon et le griffon, apparaissant respectivement 763 et 195 fois[1]. Malgré la grossièreté du trait imposée par la technique, les artisans ont parfois représenté avec soin quelques détails caractéristiques de la licorne, sabots bifides ou corne spiralée.
circa 1500.
Je ne sais plus où j’ai trouvé celle-ci.
Espagne, 1413
Pays Bas, XVIIIe.
Espagne, 1405
Allemagne, XVIe siècle.
XVe siècle.
Espagne, circa 1400.
Espagne, circa 1400.
Espagne, circa 1400.
La licorne symbolise pureté et chasteté ; l’usage des filigranes est apparu au XIIIe siècle ; il n’en fallut pas plus, dans les années 1900, à quelques historiens romantiques un peu trop férus de symbolisme pour imaginer que les cathares persécutés s’étaient répandus dans toute l’Europe occidentale, s’étaient spécialisés dans l’industrie naissante de la papeterie, et avaient fait de la licorne un signe de reconnaissance secret[2]. Les raisons sont vraisemblablement beaucoup plus simples. La blancheur de la licorne renvoie à celle du papier, signe de qualité, et il est bien plus facile de dessiner avec un fil de cuivre la silhouette d’une licorne que celle d’un phénix ou d’un pégase.
Marque de l’imprimeur Christian Snellaert, 1490.
Malleus Maleficarum, Le marteau des sorcières, chez l’éditeur lyonnais Jean Marion, en 1519.
Marque de l’imprimeur Pierre Gaudoul, circa 1520.
Marque de l’imprimeur Jean Richard, 1496.
Colophon de ברית אברהם (l’Allanace d’Abraham) de Abraham Shabbetai ha-Levi Horowitzimprimé à Lublin en 1577 par Kalonymus ben Mordechai Jaffe et son fils Hayyim bar Kalonymus.
Marque d’imprimeur de Pierre le Caron, circa 1480
Chascun soit content de ces biens, qui na suffisance na riens.
Lorsque, à la fin du XVe siècle, l’imprimerie se développa, la licorne fut dès l’origine l’un des animaux les plus représentés sur les colophons et marques d’imprimeurs, précurseurs de nos logos, que les imprimeurs-éditeurs-libraires, car c’était un peu la même chose, plaçaient d’abord à la dernière, puis très vite à la première page de leurs ouvrages. Snellaert, imprimeur de Delft, dont le nom suggère en flamand la vitesse, prit pour logo une créature doublement rapide, une licorne pégase ; la cinquième patte que le graveur semble lui avoir dessiné lui donne un côté arachnoïde et quelque peu inquiétant, mais cette marque maladroite resta en usage pendant plusieurs années.
Marque d’imprimeur de Thielman Kerver, Livre d’heures, 1500.
Les gravures des tout premiers livres imprimés étaient souvent peintes pour leur donner l’aspect luxueux des manuscrits enluminés.
Yale, Beinecke Library, ms 664, fol 117v
Marque d’imprimeur coloriée de Thielman Kerver, Livre d’heures, 1500.
Un autre livre d’heures de Thielman Kerver, c’était sa spécialité, en 1501.
Les couleurs, c’est pour les éditions de luxe. Voici la version de base, dans une édition de 1504.
Malin, l’imprimeur rouennais Robert Malard s’est « inspiré » de la marque d’imprimeur de Thielmann Kerver.
La marque de la famille Kerver encadrée par deux licornes sur un missel du début du XVIIe siècle.
Et sur un pamphlet de Johannes van Eck contre Luther, en 1521.
Le blason au mystérieux monogramme de l’imprimeur parisien Thielman Kerver, spécialisé dans les livres religieux, est encadré par deux licornes ; son fils Jacques y ajouta une devise tirée du psaume 29, dilectus quemadmodum filius unicornium, aimé comme le fils des licornes. Les Kerver restèrent imprimeurs sur plusieurs générations, et gardèrent toujours au moins une licorne sur leur marque. La licorne se retrouve aussi en Europe orientale sur les marques d’imprimeurs juifs, comme Kalonymus ben Mordechai Jaffe à Lublin.
Marque de l’imprimeur grenoblois Anemond Amabert, XVIe siècle.
Point trop n’en faut cependant. Dans l’une de ses Lettres à une inconnue, daté de 1857, Prosper Mérimée lui demande « Si vous trouvez à Venise un vieux livre latin, quel qu’il soit, de l’imprimerie des Aldes, grand de marge et qui ne coûte pas trop cher, achetez-le moi. Vous le reconnaîtrez aux caractères italiques et à la marque, qui est une licorne avec un dauphin qui s’y tortille ». L’épistolier se trompait, car la marque du célèbre imprimeur vénitien Alde Manuce et de ses successeurs est une ancre autour de laquelle s’enroule un dauphin, ce qui a plus de sens qu’une licorne.
Reliure de porc marquée à la licorne, vers 1500. Collection privée.
Kalendarium humanae… Printed for William Hope, and are to be sould at the Unicorne neare the Royall Exchange, 1638.
Marque de relieur de Peter Schöffer, circa 1478, Folger library, London,
L’influence des filigranes de papier que les imprimeurs maniaient quotidiennement, et le fait que la licorne ait, de manière générale, été assez à la mode à la toute fin du Moyen Âge peuvent aussi expliquer cette popularité – à moins que tous les imprimeurs, même les juifs, et même celui qui a imprimé l’édition lyonnaise de 1519 du Malleus maleficarum, traité de chasse aux sorcières rédigé par deux inquisiteurs dominicains, n’aient aussi été cathares.
L’édit du 7 mars 1771 énumère les formats de papier pouvant être fabriqués en France, parmi lesquels «…le grand Louvois, le grand éléphant, le chapelet, le capucin, le royal ordinaire, le grand raisin, le Joseph bat sa femme, les licornes à la cloche, le papier à la pigeonne, le grand atlas, le petit atlas, le pantalon, le carré ou grand compte, le papier tellière, l’écu, le compte à la pomponne, le grand cornet, le griffon, le petit nom de Jésus, la pigeonne… ». Le licorne à la cloche, 19 pouces sur 12, était un grand format.
Marque d’éditeur dessinée par Melchior Lechter pour l’éditeur allemand Deutschherren Verlag, 1908.
Marque d’éditeur dessinée par Raoul Dufy pour l’édition du Bestiaire d’Orphée de Guillaume Apollinaire, 1910. La licorne est pourtant absente de ce bestiaire.
Revue littéraire anglaise The Dome, n°1, 1897.
Aujourd’hui encore, on ne compte pas le nombre d’imprimeurs, d’éditeurs, de revues littéraires, qui portent le nom de la licorne, ou parfois de l’unicorne, et ce dans tous les pays occidentaux. Dans les années cinquante, ce fut notamment le cas d’éditeurs traditionalistes, très marqués à droite, fascinés soit par une image de pureté ésotérique, soit par les références chrétiennes, souvent par les deux. Depuis, l’univers littéraire et éditorial de la licorne s’est largement diversifié, à gauche, à droite et ailleurs, chez les éditeurs de poésie, de revues universitaires, de littérature fantastique.
Les cahiers de la licorne, revue littéraire, 1959.
La licorne, revue littéraire.
[1] Gerhard Piccard, Wasserzeichen, t.X, Fabeltiere: Greif, Drache, Einhorn, Stuttgart, 1980. [2] Par exemple Harold Bayley, A New Light on the Renaissance, 1909
Beaucoup d’églises gothiques d’Europe avaient des murs peints, mais c’est en Scandinavie que ces dessins ont été le mieux conservés, et c’est là-bas qu’il faut aller pour y voir des licornes .
Dans mon livre, vous découvrirez le bestiaire de bois des miséricordes et des sablières des églises, et celui de pierre des gargouilles et des chimères. Il fallait faire un choix, et c’est le bestiaire de craie des églises d’Europe du Nord qui se retrouve sur ce blog.
On connaît assez bien les fresques italiennes de la Renaissance, qui égaient les murs des cathédrales et des monastères, mais aussi bien des riches palais. On y croise des licornes, dans des scènes religieuses, création du monde ou chasse mystique, et nous en croiserons d’autres dans des contextes plus profanes, illustrant des scènes mythologiques ou littéraires. Le terme fresque vient de la technique de peinture utilisée, al fresco, c’est à dire sur un enduit encore frais, ce qui permet à la peinture de le pénétrer et aux couleurs de durer plus longtemps. En toute rigueur, on ne devrait donc pas l’utiliser pour les décorations réalisées al secco, sur un mur parfaitement sec – mais bon, un mot n’a jamais que le sens qu’on lui donne, et personne ne dit une secque..
Église d’Elmelunde, au Danemark, fin du XVe siècle.
Notez l’extravagante queue de l’animal.
Photo Allie Caulfield, Wikimedia Commons
Cathédrale de Porvoo, en Finlande. Photo David Navarro, Flickr
Ces peintures du XIIIe siècle sous la voute de l’église de Malestroit, en Bretagne, n’ont été découvertes qu’il y a quelques années, à l’occasion d’une restauration. On reconnaît un éléphant, un centaure bicorne et un félin unicorne. Il y avait sans doute un quatrième animal, peut-être un lion, dragon ou griffon.
Photo Simon – Musical Photo Man.
On connaît moins les peintures murales ou dessins à la craie des églises d’Europe du Nord, et notamment de Scandinavie, réalisées tout au long du Moyen Âge et jusqu’à la Réforme, le plus souvent al secco. De tels décors étaient présents dans les églises de toute l’Europe, des plus modestes aux riches, mais la plupart ont disparu, ou n’ont laissé sur les murs et plafonds que de vagues traces où l’on devine parfois un quadrupède dont on ne sait pas très bien s’il avait des cornes, et si oui combien.
Dans l’Europe catholique, les ravages du temps ont en effet contribué à effacer en tout ou partie bon nombre de ces œuvres, tandis que d’autres étaient recouvertes de nouveaux dessins plus au goût du jour, notamment à l’âge baroque – et le baroque, ça a mal vieilli et il y a peu de licornes.
Licorne représentant la Vierge Marie, église Saint-Jean de Huizinge, aux Pays Bas. Photo Groenling, Flickr.
La création des animaux,
Fresque de l’église d’Innichen, dans le Tyrol, XIIIe siècle.
Wikimedia Commons, photo BSonne.
Une démon unicorne sur le mur de l’église de Sanderum, au Danemark. Les fresques ont été restaurées très récemment.
Photo BSonne, Wikimedia Commons.
Eglise St Ulrich de Heinrichs, en Thuringe, circa 1500.
Les luthériens, et plus encore les calvinistes, n’appréciaient ni les couleurs vives, ni certains des thèmes récurrents de ces décors, scènes mariales, vies de saints, démons ricanant. Du coup, dans l’Europe protestante, la plupart de ces peintures ont été effacées. Peut-être les Scandinaves étaient-ils des réformés moins féroces, ou craignaient-ils un possible retour des papistes ? Toujours est-il que, tandis que les fresques des églises allemandes étaient le plus souvent détruites, celles des églises suédoises et danoises étaient simplement cachées sous une petite épaisseur de chaux. Lorsque, à la fin du XIXe siècle, des historiens de l’art un peu curieux s’y sont intéressé, il leur a été possible de retrouver, sous la couche d’enduit, des images que la chaux avait protégé des injures du temps, quitte à les restaurer parfois avec moins de prudence que l’on n’en aurait aujourd’hui.
Le bon vieux thème de l’arbre de vie et des deux animaux, ici des licornes à la queue en tire-bouchon, dans l’église de Spørring, au Danemark.
Photo Roberto Fortuna.
La peinture des synagogues est parfois très similaire à celle des églises, et on y retrouve aussi le thème de l’arbre de vie. Ici la vieille synagogue Pinczow, en Pologne.
Plafond peint de l’église Saint-Nicolas à Elburg, aux Pays-Bas.
Photo Groenling, Flickr.
La création d’Eve, XVIIe siècle.
Église Saint Nicolas de Bade Essen, en Allemagne.
Il faut donc aller en Suède ou au Danemark pour voir de belles peintures médiévales sur les murs des églises. Les motifs sont surtout religieux, des scènes des deux testaments, des vies de saints. Le dragon s’était glissé dans les légendes nordiques, ce qui explique la fréquence des scènes de Saint Michel ou de Saint George combattant la bête – si le saint est à pied, c’est Michel, s’il est à cheval, c’est Georges. L’histoire de Josaphat poursuivi par la licorne et menacé par le dragon, récit qui a donc fait un très grand chemin d’Inde en Scandinavie, figure aussi sur les murs ou les plafonds de nombreuses églises et abbayes.
L’homme réfugié dans l’arbre.
Église Saint Laurent de Bischoffingen, en Allemagne.
Photo Joergens Mi, Wikimedia Commons.
Cette fresque originellement du XVIe siècle mais largement refaite au XIXe siècle représente peut-être Samson tuant le lion. La licorne regarde prudemment.
Église Saint-Barthélémy de Stedum, Pays-Bas.
Photo Groenling, Flickr.
Cette fresque originellement du XVIe siècle mais largement refaite au XIXe siècle représente peut-être Samson tuant le lion. La licorne regarde prudemment.
Église Saint-Barthélémy de Stedum, Pays-Bas.
Photo Groenling, Flickr.
La création d’Eve, XVIIe siècle.
Église Saint Nicolas de Bade Essen, en Allemagne.
À l’époque gothique, beaucoup des artistes qui décorèrent les murs des églises scandinaves venaient d’Allemagne. Le plus connu d’entre eux, Albertus Pictor – Albert le peintre – (1440-1507) a peut-être importé le thème germanique de la chasse mystique à la licorne. Il a peint plusieurs Annonciations à la licorne, qui semblent avoir été presque du travail en série puisque, sur l’une d’entre-elles, dans l’église d’Almunge, il a bêtement oublié la corne. Cela nous vaut une chasse mystique à la chèvre qui ne fait pas bien sérieux.
Albertus Pictor, Chasse mystique à la licorne, circa 1500.
Église d’Osmo, Suède.
Photo Christer Malmberg.
Albertus Pictor, Chasse mystique à la licorne sans corne, circa 1500.
Église d’Almunge, Suède.
Photo Christer Malmberg.
Tout à la fois peinture et sculpture, il faut glisser un mot des reliefs peints ornant les murs et les plafonds des cathédrales. Je ne savais pas trop où les mettre, je vais donc glisser ici quelques photos de croisillons gothiques, notamment ceux de la cathédrale de Norwich, en Angleterre. Ils sont plus de mille, il n’est donc pas vraiment étonnant que deux licornes soient parvenu à s’y glisser, l’une lors de la création du monde, l’autre à sa place habituelle, dans l’Arche de Noé.
Dieu bénissant la création, l’un deux des mille et quelques croisillons du XVe siècle au plafond de la cathédrale de Norwich, en Angleterre.
Photo Holly Hayes
L’Arche de Noé,, l’un des mille et quelques croisillons du XVe siècle au plafond de la cathédrale de Norwich, en Angleterre.
Photo Holly Hayes
Un autre croisillon de la cathédrale de Norfolk. C’est sans doute une licorne, mais ce n’est plus tout à fait certain.
Photo jmc4 Church Explorer, Flickr.
Une chasse à la licorne particulièrement violente sur un croisillon du plafond de la chapelle Sainte Catherine à Imbach, en Autriche. photo BSonne, Wikimedia Commons
Où l’on croise les neuf preux, les sept vertus, la vierge Marie, le poète persan, et le prince de Guise, tous à dos de licorne.
Los Angeles, Getty Museum, ms 46, fol 64v
ême si les récits de capture de la licorne ne se terminent pas toujours par la mise à mort de l’animal, jamais il n’est suggéré que la jeune vierge puisse l’enfourcher et s’enfoncer dans la forêt. Les vierges chevauchant la licorne comme celle que l’on voit sur un vitrail de la cathédrale Saint-Jean à Lyon, sont des exceptions. Dans les marges des bréviaires ou livres d’heures, ce sont plutôt les singes qui montent les licornes dans des cavalcades pleines d’humour, ou les diables dans d’autres plus inquiétantes.
Guerrier antique monté sur une licorne,
Dessin de Francesco Primaticcio, dit Le Primatice, XVIe siècle.
Stockholm, National Museum, NMH 847/1863
Césarion, fils de César et Cléopatre, triomphe sur une licorne.
Plat de faience, 1514.
Cambridge, Fitzwilliam Museum.
Jules César sur un lion unicorne (qui a perdu sa corne).
Cathédrale de Ratisbonne, circa 1500.
Reconstitution des costumes portés lors de la fête de Louvain en 1594.
Edouard van Even, L’omgang de Louvain, 1863
Doodle dans un manuscrit des oeuvres d’Aristore, XIIIe siècle.
Les neuf preux étaient neuf héros incarnant collectivement l’idéal chevaleresque, trois païens, Hector, Alexandre le Grand et Jules César, trois de l’Ancien testament, Josué, le roi David et Judas Maccabée, et trois chrétiens, le roi Arthur, Charlemagne et Godefroi de Bouillon. Ils sont le plus souvent représentés en pied mais, lors des cavalcades qui accompagnaient les fêtes urbaines, ils chevauchaient souvent des montures qui pouvaient être des hommes ou des chevaux déguisés, et parfois déguisés en licorne. Défilant en 1511 lors des fêtes de la ville de Metz, « il y avoit les ix preux tous montés à chevaulx avec leurs gens, dont l’ung estoit sus. Une licorne, l’aultre estoit sus ung dromaudaire, aultre estoit monté sus ung mouton d’Inde[1], les aultres sus de diverses bestes tantrichement acoustrés, c’on ne le sauroit croire. Et estoient yceulx ix preux acoustrés en diverses nations, comme l’ung en Turc, l’aultre en Grec, l’aultre en Albainez [2] ». Le preux chevauchant une licorne était-il Alexandre dont le cheval Bucéphale est parfois représenté cornu [3] , Hector comme quelques années plus tard lors de l’entrée de François Ier à Caen, ou César qui monte en amazone un lion unicorne sur les sculptures de la façade de la cathédrale de Ratisbonne ? À propos d’amazones, la liste des neuf preuses était plus fluctuante, mais Penthésilée, reine des amazones, était toujours l’une d’entre elles. En cherchant bien, on peut peut-être trouver une image où elle chevauche une licorne, mais ce n’était pas encore Wonder Woman.
Alexandre, monté sur Bucéphale unicorne, rencontre les blemmyes en Inde. British Library, ms Royal 15 e VI, fol 21v.
Alexandre affronte le roi Porus. Le Livre des conquestes et faits d’Alexandre, XVe siècle.
Paris, Musée du Petit Palais, LDUT 456
Comment Alixandre parla aux dieux de la cave et comment il revint à son ost.
Paris, Musée du Petit Palais, LDUT 456
Le chevalier délibéré d’Olivier de la Marche est un poème en l’honneur de Charles le Téméraire. D’un humour désabusé, il décrit la vie humaine comme un tournoi dans lequel, devant la mort qui arbitre, le chevalier ne cesse de devoir affronter Accident et Maladie. Dans un moment de répit, deux licornes, Bonté et Doulce manière, annoncent l’arrivée d’une belle compagnie.
Olivier de la Marche, Le chevalier délibéré, fin du XVe siècle.
Chantilly, Musée Condé, ms 1886, fol 78v.
Olivier de la Marche, Le chevalier délibéré, 1489.
La viz venir une lictiere De deux licornes soustenue, Dont l’une fut Bonté Entière; L’autre si fut Doulce Manière,
La plus qui fust oncques cougneue. Toute d’or se monstroit a veue La lictiere et le parement, Qui cousta mervilleusement.
Les deux licornes par le frain Quatre grans princes adestroient : Fleur de Jours fut le souverain Et Bon Renon Qui N’est Pas Vain —
Ces deux la premiere menoient. Les autres deux qui la suyvoient, L’un fut Noble Cuer Sans Envie Et Desdaing Contre Vilennye.
— Olivier de la Marche, Le chevalier délibéré, 1483.
L’Arioste, au début du XVIe siècle, emprunta à la France médiévale sa chanson de geste, pour la lui restituer sous la forme d’un long poème typique de l’Italie de la Renaissance, l’Orlando Furioso. Parmi les nouveautés, des hippogriffes très remarqués, croisement de pégase et de griffon, et deux licornes. Au sixième chant, la Beauté et la Grâce demandent à Ruggiero de les aider à vaincre la femme monstre Erifilla. « Cependant voici sortir de la porte de ces murs deux jeunes damoiselles qui, aux gestes et accoutrements, montraient n’être pas sorties de bas lieu, n’y être nourries en mésaise avec les laboureurs, mais entre les délices des palais royaux. L’une et l’autre était assise sur une licorne plus blanche qu’une blanche hermine [4] ». La Beauté et la Grâce, c’est bien sur un piège, la blancheur des licornes est trompeuse, et Rugierro se retrouve pris dans les rets de la sorcière Alcina. La scène est cependant assez rare, la littérature et l’iconographie de la Renaissance préférant représenter dames et vertus dans des chars tirés par des licornes que chevauchant l’animal.
Niccolò dell’Abbate, Scène de l’Orlando Furioso, circa 1450.
Fresque du palais Toscanini, Pinacothèque Nationale, Bologne
Roland furieux, par messire Loys Arioste,… traduit naïvement de l’italien en françois, 1618
La même scène sur une édition plus luxueuse et plus ancienne, imprimée à Venise en 1544.
Orlando Furioso, éd. Brunet, 1775.
Orlando Furioso, éd. Brunet, 1775.
Dessin de Fragonard illustrant l’Arioste, circa 1780.
Arrivée au château de Sobriété.
Jean Thenaud, Le Triomphe des vertus, 1518.
BNF, ms fr 144, fol 7v.
Arrivée au château de Beaumaintien.
Jean Thenaud, Le Triomphe des vertus, 1518.
BNF, ms fr 144, fol 17v.
Dans les traités sur les sept vertus et les sept péchés capitaux, en Allemagne et en Italie, la chasteté peut être représentée montant une licorne, et arborant un drapeau à l’hermine, autre animal symbole de tempérance.
La chasteté montée sur une licorne.
Johan Baechler, Hye nach volget ein schoene matery von den syben todsünden und von den syben tugenden darwider, Augsburg, 1482.
Deux vertus montées l’une sur une licorne, l’autre sur un éale aux deux cornes mobiles. Je ne sais pas de quelles vertus il s’agit, le texte est difficilement déchiffrable et écrit en moyen allemand, mais ce sont clairement des vertus et non des vices. Etymachia, circa 1420
Londres, Wellcome library, ms 49, fol 54v
Allégories de la Vie et de la Mort, peintures hollandaises, circa 1540.
À gauche, une corne, droite et blanche, ça va. À droite, deux cornes, noires et recourbées, ça craint nettement plus.
Collection privée.
L’exhortation aux vertus, tapisserie flamande, circa 1515.
Ne me demandez pas quelle vertu chevauche la licorne, c’est assez confus…
Madrid, palais Royal.
Le vice, sur un ours, affronte la vertu, sur une licorne.
Etymachia, circa 1420.
Vatican, Bibliothèque Palatine, ms bav pal lat 1726, fol 38r.
Les artistes ne vont cependant que très rarement jusqu’à représenter, comme sur le grand vitrail de la cathédrale de Lyon, la Vierge Marie montée en amazone sur une belle licorne blanche. Sur le livre d’heures de la famille Ango, copié au début du XVIe siècle, deux albes unicornes symboles de pureté figurent sur la même page, l’une est chevauchée par la vierge, l’autre entourée d’angelots. Le poète persan de Gustave Moreau arrive en ville sur une blanche licorne, même si les dessins préparatoires que j’ai pu voir au musée qui lui est dédié révèlent que le peintre pensait d’abord lui faire monter un cheval à la robe grise.
Vitrail de la cathédrale Saint-Jean, Lyon.
Livre d’heures de la famille Ango, 1514.
BNF, ms NAL 392, fol 46r.
La licorne, bonne ou mauvaise mais toujours sauvage et indomptable, est donc rarement montée, mais lorsqu’elle l’est, que ce soit dans les marges des manuscrits ou dans les défilés qui accompagnent les festivités urbaines, ce peut-être aussi bien par des sauvages ou des démons que par des vertus ou de nobles personnages. Ce peut même être les deux à la fois, noble et sauvage, lorsque, en 1662, pour le grand carrousel qui donna son nom à la place devant le Palais du Louvre, le prince de Guise défila déguisé en chef indien d’Amérique monté sur une licorne, entretenant sans doute dans le nombreux public la croyance en la présence de licornes au Canada.
Charles Perrault, Courses de testes et de bagues faites par le roy et par les princes et seigneurs en l’année 1662.
Selle de parade en os sculptés, Allemagne, circa 1450.
New York, Metropolitan Museum.
Selle de parade en os sculptés, Allemagne, circa 1450.
Budapest, Musée National.
Voici la description de la selle qui se trouve aujourd’hui au Metropolitan Museum dans un catalogue des années 1900 : « Les sculptures de cette selle, qui comme la précédente est faite de bois recouvert de plaques d’os, ont été peintes, au moins en partie, les arbres et les feuillages en vert, les drapeaux et quelques ornements en rouge, et les fonds en bleu d’outremer. En commençant par le pommeau de la selle, on voit à droite un personnage portant le costume du milieu du xv“ siècle, qui tient à la main une banderolle sur laquelle un singe trace avec une baguette les lettres gothiques M. M. Du côté gauche du pommeau, sont deux anges et plus bas la Sainte Vierge assise. La grande scène du côté droit du siège paraît être tirée de quelque roman de chevalerie. Une dame, richement vêtue, ayant un faucon au poing et accompagnée de deux jeunes gens, contemple un dragon mort, que lui offre un chevalier agenouillé. De l’autre côté est une scène tirée de l’histoire de la dame à la licorne. On voit une dame tenant une licorne en laisse et au premier plan un seigneur caressant une dame, qui tient une bague. Le seigneur et la dame à la bague sont répétés sur le troussequin de la selle. Sur les panneaux, on voit, à droite, un homme assommant un dragon à coups de massue et un autre qui tient un lion par la gueule, sujets peut- être tirés d’un roman sur les travaux d’ Hercule. A gauche, on voit un saint Georges à cheval, armé de toutes pièces sauf le casque, qui tue le dragon, et la princesse en prière devant son château. Une femme complètement nue, un homme perché dans un arbre et tenant une banderole à la main, un dragon et un homme à queue de reptile sur le devant de la selle, complètent la décoration de cette pièce précieuse, qui, quoique la sculpture, très finement exécutée, soit d’ un dessin un peu primitif et d’une composition bizarre, est une des selles les plus riches que nous connaissions. L’envers du troussequin est recouvert de cuir découpé sur un fond de cuir doré et le même travail se trouve sur le devant de l’arçon[5] ».
[1] Je ne sais pas ce que c’est qu’un mouton d’Inde. [2]La Chronique de Philippe de Vigneulles éditée par Charles Bruneau, Metz, 1933, tome IV, p.108 [3].Il y aura tout un chapitre sur Bucéphale dans mon livre. [4]Le Roland Furieux de messire Loys Arioste traduit d’italien en françois, Lyon, 1582, p.67. [5] Charles-Alexandre de Cosson, Le cabinet d’armes de Maurice de Talleyrand-Périgord, duc de Dino, 1901, p.49