➕ Le bestiaire de craie

Beaucoup d’églises gothiques d’Europe avaient des murs peints, mais c’est en Scandinavie que ces dessins ont été le mieux conservés, et c’est là-bas qu’il faut aller pour y voir des licornes .

Dans mon livre, vous découvrirez le bestiaire de bois des miséricordes et des sablières des églises, et celui de pierre des gargouilles et des chimères. Il fallait faire un choix, et c’est le bestiaire de craie des églises d’Europe du Nord qui se retrouve sur ce blog.

On connaît assez bien les fresques italiennes de la Renaissance, qui égaient les murs des cathédrales et des monastères, mais aussi bien des riches palais. On y croise des licornes, dans des scènes religieuses, création du monde ou chasse mystique, et nous en croiserons d’autres dans des contextes plus profanes, illustrant des scènes mythologiques ou littéraires.  Le terme fresque vient de la technique de peinture utilisée, al fresco, c’est à dire sur un enduit encore frais, ce qui permet à la peinture de le pénétrer et aux couleurs de durer plus longtemps. En toute rigueur, on ne devrait donc pas l’utiliser pour les décorations réalisées al secco, sur un mur parfaitement sec – mais bon, un mot n’a jamais que le sens qu’on lui donne, et personne ne dit une secque..

On connaît moins les peintures murales ou dessins à la craie des églises d’Europe du Nord, et notamment de Scandinavie, réalisées tout au long du Moyen Âge et jusqu’à la Réforme, le plus souvent al secco. De tels décors étaient présents dans les églises de toute l’Europe, des plus modestes aux riches, mais la plupart ont disparu, ou n’ont laissé sur les murs et plafonds que de vagues traces où l’on devine parfois un quadrupède dont on ne sait pas très bien s’il avait des cornes, et si oui combien.

Dans l’Europe catholique, les ravages du temps ont en effet contribué à effacer en tout ou partie bon nombre de ces œuvres, tandis que d’autres étaient recouvertes de nouveaux dessins plus au goût du jour, notamment à l’âge baroque – et le baroque, ça a mal vieilli et il y a peu de licornes.

Les luthériens, et plus encore les calvinistes, n’appréciaient ni les couleurs vives, ni certains des thèmes récurrents de ces décors, scènes mariales, vies de saints, démons ricanant. Du coup, dans l’Europe protestante, la plupart de ces peintures ont été effacées. Peut-être les Scandinaves étaient-ils des réformés moins féroces, ou craignaient-ils un possible retour des papistes ? Toujours est-il que, tandis que les fresques des églises allemandes étaient le plus souvent détruites, celles des églises suédoises et danoises étaient simplement cachées sous une petite épaisseur de chaux. Lorsque, à la fin du XIXe siècle, des historiens de l’art un peu curieux s’y sont intéressé, il leur a été possible de retrouver, sous la couche d’enduit, des images que la chaux avait protégé des injures du temps, quitte à les restaurer parfois avec moins de prudence que l’on n’en aurait aujourd’hui.

Il faut donc aller en Suède ou au Danemark pour voir de belles peintures médiévales sur les murs des églises. Les motifs sont surtout religieux, des scènes des deux testaments, des vies de saints. Le dragon s’était glissé dans  les légendes nordiques, ce qui explique la fréquence des scènes de Saint Michel ou de Saint George combattant la bête – si le saint est à pied, c’est Michel, s’il est à cheval, c’est Georges. L’histoire de Josaphat poursuivi par la licorne et menacé par le dragon, récit qui a donc fait un très grand chemin d’Inde en Scandinavie, figure aussi sur les murs ou les plafonds de nombreuses églises et abbayes.

À l’époque gothique, beaucoup des artistes qui décorèrent les murs des églises scandinaves venaient d’Allemagne. Le plus connu d’entre eux, Albertus Pictor – Albert le peintre – (1440-1507) a peut-être importé le thème germanique de la chasse mystique à la licorne. Il a peint plusieurs Annonciations à la licorne, qui semblent avoir été presque du travail en série puisque, sur l’une d’entre-elles, dans l’église d’Almunge, il a bêtement oublié la corne. Cela nous vaut une chasse mystique à la chèvre qui ne fait pas bien sérieux.

Tout à la fois peinture et sculpture, il faut glisser un mot des reliefs peints ornant les murs et les plafonds des cathédrales. Je ne savais pas trop où les mettre, je vais donc glisser ici quelques photos de croisillons gothiques, notamment ceux de la cathédrale de Norwich, en Angleterre. Ils sont plus de mille, il n’est donc pas vraiment étonnant que deux licornes soient parvenu à s’y glisser, l’une lors de la création du monde, l’autre à sa place habituelle, dans l’Arche de Noé.

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