➕ Jean Duvet, La chasse royale à la licorne

Une série de six gravures de Jean Duvet, vers 1560, font un curieux récit de chasse à la licorne où s’entremêlent l’antiquité grecque, les légendes médiévales et les guerres de religion.

Je pensais d’abord ne citer ici que très incidemment la série de gravures sur cuivre en taille-douce du Langrois Jean Duvet, parfois appelé le Maître à la licorne, réalisées vers 1560. N’appréciant guère son style très particulier, à la fois naïf et surchargé, qui a la complexité de celui d’Albrecht Dürer sans jamais en avoir l’évidence, je n’avais jamais vraiment regardé de très près ces six images. Elles présentent un récit quelque peu alambiqué et inhabituel de la chasse à la licorne, mêlant références antiques, légendes médiévales et clins d’œil à l’actualité du temps. Bref, je n’aimais guère et n’y comprenais goutte.

La licorne purifie les eaux. Les animaux d’Europe, à gauche, et exotiques, à droite, représentent peut-être catholiques et protestants.
Les chasseurs présentent au roi er à Diane des fumées (crottes) de licorne. Je ne connais pas d’autre image de fumées de licorne.

Mais bon, plus ce projet de livre et de site a pris un tour encyclopédique, plus il était difficile de continuer à ignorer une série de gravures qui est l’un des deux seuls exemples iconographiques de chasse à la licorne soigneusement scénarisée, l’autre, plus ancien d’un demi-siècle, étant les sept tapisseries vertes du musée des Cloisters. Les deux récits ont quelques points communs : la licorne trempe sa corne dans les eaux où vont s’abreuver les autres animaux, se défend lorsqu’elle est attaquée, puis tombe dans le piège d’une jeune vierge. Rien ne suggère cependant que Jean Duvet ait pu connaître les tapisseries et s’en inspirer, et on ne retrouve pas dans les gravures, où la licorne n’est pas tuée, les allégories religieuses des tentures.

La licorne se défend, plus violemment encore que sur les tapisseries de La chasse à al licorne.
La capture de la licorne. Notez le gibet à l’arrière plan, c’est l’époque qui veut cela.

La licorne des gravures, dont on ne peut savoir si l’artiste l’imaginait blanche, n’est donc guère christique. Au corpus légendaire médiéval sur la bête s’ajoutent des références iconographiques à l’antiquité gréco-romaine. Les chasseurs, dont aucun ne peut être l’ange Gabriel, sont vêtus de toges ; Diane chasseresse est au côté du roi auquel ils présentent des fumées de licorne – les fumées du Christ, ce ne serait pas du meilleur goût. La licorne n’est d’ailleurs pas mise à mort, elle est capturée vivante à l’issue d’une chasse à courre, puis exhibée en triomphe sur un char tiré par des chiens, scène qui semble être un unicum. En arrière de la licorne chevauchée par un amour venu des triomphes de Pétrarque, le roi pose une couronne sur le chef de la jeune vierge, dont on ne sait pas bien si elle est aussi Diane chasseresse. Sur ce qui est sans doute la dernière gravure de la série, roi et reine reine tiennent tous deux par la bride une licorne enguirlandée. Saturée de symboles et de références, cette chasse à l’unicorne est moins naturaliste encore que celle des tapisseries, mais sa lecture allégorique est aussi embrouillée que la composition des gravures.

On a plus l’habitude de voir les licornes tirer les chars triomphaux. Ici, la licorne est montée sur le char, qui est tiré par des chiens.
La licorne est parée de luxueux bijoux pour le triomphe royal..

Nous sommes dans le contexte des guerres de religion et de l’affirmation de la puissance royale. Jean Duvet, ardent catholique, avait organisé la mise en scène de l’entrée à Langres d’Éléonore d’Autriche, épouse de François Ier, puis représenté plusieurs fois Henri II sur d’autres gravures. On peut donc légitimement penser que cette chasse à courre d’un animal plus noble encore que le cerf, se terminant en couronnement et en triomphe, est une mise en scène du rôle providentiel du roi de France. Cela expliquerait notamment la présence, inquiétante et inhabituelle, d’un gibet en arrière-plan de la capture de la licorne, qui figurerait le châtiment des hérétiques qui ne se soumettent pas, comme la licorne, à la puissance royalei[1].

Attribué à Luca Penni, Diane chasseresse dont le modèle est sans doute Diane de Poitiers, circa 1550. Musée du Louvre.

Si le roi représenté sur les gravures est Henri II, il est bien sûr tentant de voir dans la présence de Diane chasseresse une allusion à sa maîtresse Diane de Poitiers. Le procédé, qui n’est pas d’une grande finesse, a été utilisé sur plusieurs peintures par d’autres artistes[2].

Allégorie au miroir solaire, gravure attribuée à Jean Duvet, d’après un dessin de Léonard de Vinci.

L’œuvre la plus connue de Jean Duvet est sa série de vingt-huit gravures illustrant l’Apocalypse. Il a pourtant longtemps été appelé Le maître à la licorne alors que la bête n’apparait que sur les scènes de la chasse, et peut-être sur une gravure dont il n’est pas certain qu’elle doive lui être attribuée et qui reproduit l’Allégorie au miroir solaire de Léonard de Vinci,. Cette image, peut-être alchimique, montre un impressionnant combat entre une licorne, un dragon, un ours, un lion et une panthère.

Jean Duvet, La bête de l’apocalypse, à sept têtes et dix cornes – et donc, comme souvent, quelques têtes unicornes.

[1] Cette lecture des gravures est celle de Solène Prévost dans Au service de la monarchie et de la foi catholique, l’Histoire de la licorne de Jean Duvet, in Nouvelles de l’estampe, n°264, 2021.
[2] E. Jullien de la Boullaye, Étude sur la vie et l’ouvre de Jean Duvet, 1876.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *