Pour les lettrés et les artistes du Moyen Âge, le rhinocéros et le licorne sont le plus souvent un même animal, dont on ne sait pas toujours très bien s’il porte la corne sur le front ou sur le nez. À défaut de donner durablement du charme au pachyderme, la confusion a certainement donné de la force, et une certaine carrure, à la blanche licorne. Voici quelques images médiévales de licornes se prenant pour un rhinocéros, à moins que ce ne sopit l’ineverse, que je n’ai pas pu mettre dans mon livre.
Pour Isidore de Séville, comme on le voit sur ce manuscrit du IXe siècle, Rynoceron id est monoceron id est unicornus – les trois noms désignent le même animal. Bibliothèque municipale de Laon, ms 447, fol 115r
La nativité, missel de la fin du XIIe siècle. Los Angeles, Getty Museum, ms 64, fol 92r.
The Nativity; Unknown; Hildesheim, Germany; probably 1170s; Tempera colors, gold leaf, silver leaf, and ink on parchment; Leaf: 28.2 × 18.9 cm (11 1/8 × 7 7/16 in.); Ms. 64, fol. 92
Evangéliaire d’Averbode, fol 17v, XIIe siècle. Bibliothèque de l’université de Liège,
Bible de Floreffe, XIIe siècle. British Library, Add ms 17738, fol 168r.
Voici le texte complet, en latin, de la chanson nostalgique et désabusée sur le vieillard, la jeune vierge et le rhinocéros, dont je cite un extrait dans mon livre :
Cum Fortuna voluit me vivere beatum, forma, bonis moribus fecit bene gratum et in altis sedibus sedere laureatum.
Modo flos preteriit meæ iuventutis, in se trahit omnia tempus senectutis; inde sum in gratia novissimæ salutis.
Rhinoceros virginibus se solet exhibere; sed cuius est virginitas intemerata vere, suo potest gremio hunc sola retinere.
Igitur que iuveni virgo sociatur et me senem spreverit, iure defraudatur, ut ab hac rhinoceros se capi patiatur. –
In tritura virginum debetur seniori pro mercede palea, frumentum iuniori; inde senex aream relinquo successori.
— Carmina Burana, chant 93, Cum Fortuna voluit.
Rinoceros & quomodo capiatur (Le rhinocéros et comment le capturer).
Miniature d’un bestiaire anglais en latin, circa 1300.
Oxford, Bodleian Library, ms Laud Misc 247, fol 149v
Speculum Humanae Salvationis, Allemagne, circa 1460. Là encore, la source est Isidore. Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 3974, fol 101r.
Francis de Retz, Defensorium Inviolatae Virginitatis Mariae, circa 1480.
Francis de Retz, Defensorium Inviolatae Virginitatis Mariae, circa 1480.
Francis de Retz, De generatione Christi, sive Defensorium inviolatae virginitatis mariae, circa 1470. BNF XYLO-39
Francis de Retz, Defensorium Inviolatae Virginitatis Mariae, circa 1480. Univeritätsbibliothek Basel, UBH FP VII2 5 :4
L’unicornis dans un Ortus Sanitatis imprimé, à la fin du XVe siècle.
Le rhinocéphale racheur de flammes et le rhinocéron dans le même volume.
Ortus Sanitatis, 1491. BNF, fol S547, fol 48r.
Cet exemplaire du même Ortus Sanitatis de la fin du XVe siècle a été “mis à jour” au XVIe siècle, un rhinocéros inspiré de la gravure d’Albrecht Dürer étant peint sur la page imprimée.
Avec une corne spiralée sur le haut de la tête et une petite corne recourbée sur le nez, ce karkadan est un curieux hybride de licorne et de rhinocéros.
Zakaria al Qazwini, Livre des Merveilles du monde, manuscrit persan du XVIIIe siècle.
Princeton University, ms Garrett n 82 G.
Les licornes d’Inde ou d’Éthiopie sont rapides à la course. C’est pour cela qu’on les voit rarement, et que l’on ne parvient jamais à les capturer ni même seulement à les prendre en photo.
u monoceros de l’Inde, Ctésias écrivait déjà : « Ces animaux sont très rapides, plus rapides que les ânes et même que les chevaux et les gazelles. Ils commencent à courir calmement, puis petit à petit ils accélèrent, et il devient alors impossible de les rattraper », mais le Physiologus ne disait rien de tel de l’unicornis. Lorsque les deux animaux se sont confondus, la licorne a conservé la vitesse du monoceros. En devenant une blanche cavale, le petit chevreau du bestiaire a donc gagné en prestance héraldique, mais aussi en rapidité à la course. C’est pour cela que le pauvre homme poursuivi par une licorne dans le Dit de l’unicorne et du serpent n’a d’autre choix que de monter dans un arbre, et que la fière licorne se fait naïvement piéger dans le Vaillant Petit tailleur.
Une licorne qui s’imagine qu’elle va embrocher un lièvre !
BNF, ms NAL 3255, fol 151v
Luttrell Psaletr, Britsih Library, Add ms 42130, fol 15r.
Bibliothèque royale de Belgique, ms II 7619, fol 243r.
Une licorne qui charge, on ne sait pas sur quoi.
BNF, ms fr 95, fol 52v
Les enlumineurs de la fin du Moyen Âge ont donc dessiné en tête ou pied de page des livres d’heures et des psautiers des licornes chargeant corne en avant sur des lions ou des éléphants, ou sur des ennemis invisibles au-delà des marges. Parfois, plus rarement, c’est la licorne qui est poursuivie par des fauves, des chiens, des chasseurs, comme peut l’être un cerf.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 165r.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 204r.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 69v.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 42v.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 41r.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 38v.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 11v.
Cambridge, Trinity College, ms B 11 22, fol 11r.
Au tout début du XVIIIe siècle encore, dans une note sous une traduction française du récit de voyage en Éthiopie du père portugais Jérôme Lobo, le traducteur ajoutait : « On a douté longtemps s’il y avait des licornes : ceux qui en ont écrit ne convenaient point entre eux, et ont mêlé tant de fables dans ce qu’ils en ont rapporté, qu’on avait encore plus de raisons de n’en rien croire. Cet animal est rare, on n’en a vu que dans le royaume de Damot et dans la province des Agouz. Il est sauvage, mais bien loin d’être féroce, il est si timide qu’il ne va jamais en compagnie d’autres animaux. Lorsqu’il passe d’une forêt dans une autre, il court avec tant de rapidité qu’il se dérobe bientôt à la vue. De là vient que les uns le font plus grand, les autres plus petits, les uns d’un poil, les autres d’un autre[1] ». L’orientaliste allemand Job Ludolf (1624-1704), qui ne quitta jamais l’Europe mais parlait couramment l’éthiopien et était le meilleur spécialiste de ce pays, écrit de même : «On y rencontre une bête puissante et féroce appelée Arweharis, ce qui signifie unicorne. Elle ressemble à une chèvre, mais court beaucoup plus rapidement. […] Les descriptions qu’en donnent les Portugais sont vraisemblablement exactes[2].»
Bestiaire flamand du XIVe siècle.
Berlin, Staatsbibliothek, ms Germ fol 52, fol 14v.
Oxford, Bodleian Library, ms Ashmole 828, fol 17v.
Chasse à courre à la licorne. Une scène similaire se trouve sur l’une des franges inférieures de la tapisserie de Bayeux. C’est une variation sur le thème, très fréquent dans les marges des manuscrits, de la chasse au cerf.
Bibliothèque municipale de Cambrai, ms 103, fol 49r
Un Monoceros en pleine accélération dans un bestiaire du XVe siècle.
La Haye, Museum Meermano, ms 10 B 25, fol 11v
Fresques du palais Raggione, à Padoue.
Photo Renzo Dionigi.
Les licornes juives vont aussi vite que les autres. Torah, 1309. Bibliothèque de Hamburg, Cod Levy 19, fol 97r.
Les licornes d’Inde étaient tout aussi rapides que celles d’Afrique puisque, selon l’abbé Guyon dans don Histoire des Indes orientales anciennes et modernes, cet animal « s’élance avec tant de vitesse qu’il n’est aucune espèce de chevaux qui puisse l’attraper. Il faut le surprendre lorsqu’il s’écarte pour mener paître ses petits que la tendresse ne lui permet pas d’abandonner. Il s’expose pour eux à tous les périls[3].»
British Library, Harley ms 6563, fol 69r – tournez la page.
La licorne a récupéré sa corne s’est échappée.
Lorsque, après plus d’un siècle d’oubli, les explorateurs du XIXe siècle se reprirent à rêver de licorne, la blanche cavale était devenue une antilope, au pelage tirant vers le roux, à la corne sans doute noire, mais elle restait svelte, racée, rapide – ou vite, comme l’on disait en un temps où ce mot était aussi un adjectif. Cette biche unicorne agile et véloce, qui ne se laisse pas approcher, est encore un peu l’albe bête des tapisseries. La licorne décrite par Flaubert dans La tentation de Saint Antoine « dépasse les autruches » et court si vite qu’elle « traine le vent ».
Pendant de harnais médiéval. Salisbury and South Wiltshire Museum, photo Katie Hinds.
Carreau de porcelaine de Delft, circa 1600.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 108, fol 75v.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 108, fol 65v.
Vase en terre cuite, XVIIIe siècle. Musée Sorolla, Madrid.
La force était la caractéristique physique principale de la licorne du Haut Moyen Âge et des premiers bestiaires, celle qui combattait le lion et l’éléphant. La vitesse s’y est d’abord ajoutée puis, peu à peu, la silhouette de l’animal devenant plus fine, est devenue essentielle. Dans les univers imaginaires d’aujourd’hui, la licorne arrive au galop, quand ce n’est pas à grands coups d’ailes.
Attelage en licorne.
Photo Xocolatl, Wikipedia Commons
Jasmon Pollard, The Unicorn Norwich Coach, 1830
C’est la vitesse de l’animal, mais aussi la forme de sa corne, qui a fait appeler licorne un attelage de trois chevaux en triangle, un en avant, à la volée, suivi de deux autres derrière. Cette technique un peu dangereuse est pourtant moins rapide que les trois chevaux de front de la troïka, également appelée attelage à l’évêque – là, je ne sais pas pourquoi !
Sans que ce soient vraiment des licornes, bien des chevaux de course à robe blanche ont aussi été baptisés ainsi. L’armée française avait baptisé Opération Licorne son intervention en Côte d’Ivoire de 2002 à 2015, parce que la licorne est exotique et, surtout dans ses variétés contemporaines, relativement pacifique, mais surtout parce qu’elle est rapide. Le choix de ce nom qui peut sembler peu martial à l’heure où la licorne se balade sur les arcs-en-ciel et dans les chambres des petites filles montre d’ailleurs que l’image traditionnelle de l’animal n’a pas totalement disparu.
George Herriman, Krazy Kat, circa 1930.
[1] Joachim Legrand, Dissertation sur la côte orientale d’Afrique…, en annexe à la Relation historique d’Abyssinie de Jérôme Lobo, Paris, 1728. [2] Job Ludolphus, New History of Ethiopia, Londres, 1682, liv.I, ch.10. [3] Paul Marie Guyon, Histoire des Indes orientales anciennes et modernes, Paris, 1764.
La pure et blanche licorne est bien sûr l’ennemie des serpents, qui s’enfuient lorsqu’elle touche de sa corne les eaux empoisonnées. Elle s’entend donc aussi assez mal avec le dragon qui, pour les rédacteurs des bestiaires, est un serpent, le plus grand de tous.
Le dragon était un serpent, et un serpent venimeux. En pointant sa corne dans sa gueule, la licorne, emblème de Borso d’Este, neutralise donc le poison de ses ennemis.
Bible de Borso d’Este, 1461 Modène, Biblioteca Estense, ms V.G.12, vol 2, fol 185r.
La licorne purifiant les eaux, accompagnée du cerf, autre ennemi des serpents. Vol 2, fol 185r.
Vol 2, fol 172r.
C’est en principe le cerf, et non comme ici la licorne, qui écrase ou dévore le serpent. Miséricorde de la chapelle du château de Durham, en Angleterre. Holmes Garden photos, Alamy.
Licorne avalant un serpent, chapiteau de l’église romane de San Isidoro de Leon. Photo Turol Jones, Wikimedia Commons
La licorne, le cerf et les serpents. Tapisserie flamande du XVIe siècle, Musée du Wawel, Cracovie.
Licorne combattant un dragon. Livre d’heures de Jean de Montauban, Bibliothèque de Rennes, ms 1834, fol 120v.
Bréviaire, 1439. Huntington Library, ms HM 1048, fol 22r.
Saint Augstin, De Civitate Dei, 1347. Bibliothèque de Ljubljana, ms 2, fol 2r.
La licorne fait face au dragon sur le pavement en mosaïque du XIIIe siècle de l’Abbaye de San Benedetto Po, en Lombardie. Photo Erika Gabanyi.
Hans Schiltberger, Reisebuch, 1476.
Combat d’animaux avec griffon, dragon et licorne tableau de l’entourage de Roelandt Savery, circa 1600.
Sablière de l’église Notre-Dame de Graces, XVIe siècle. Photo Jean-Yves Cordier.
Cathédrale de Nevers.
La licorne affront un dragon ou basilisc. Chateau de Malbork. Photo Rex Harris, Flickr.
Sculpture de Jean-Baptiste Theodon à l’entrée du parc de Sceaux. 1685.
Saint Georges tue le dragon, circa 1490.
Saint Georges contre le dragon, 1489.
Cathédrale de Stockholm. Photo Tuomas Vitkainen, Wikimedia Commons.
Vitrail du XVIe siècle. Église Saint-Martin de Champeaux.
Ce n’est pas vraiment une licorne que monte Saint Georges, mais il y a de ça.
Un album de métal symphonique, pas particulièrement subtil, qui montre bien qu’aujourd’hui, le dragon est bien devenu l’ennemi archétypal de licorne.
Il n’y a pas de licorne dans la légende du dragon de Cracovie, histoire très classique de monstre qui terrorise la région et auquel on offre des jeunes filles en sacrifice, jusqu’à ce qu’un jeune cordonnier trouve le moyen de tuer la bête, mais il y en a une dans le défilé des fêtes de la ville. Photo Andrzej Harassek, Wikimedia Commons.
Bestiaire, circa 1250. Oxford, Bodleian Library, ms Bodl 764, fol 17v.
Bestiaire, fin du XIIIe siècle. British Library, Harley ms 4751, fol 12r.
Un cerf face à un très gros serpent, Alphonso Psalter, circa 1300 British Library, ms Add 24686, fol 12r.
Initiale Q. Psautier de Saint Alban, Eglise Saint-Godehard d’Hildesheim.
Bestiaire provençal, XIIIe siècle. Tübingen, ms 365, p.5.
Le cerf et la licorne. Livre d’heures, circa 1440. Bibliothèque du Mans, ms 688, fol 37r.
Ce chapitre était un peu trop long pour mon livre. Si j’ai conservé le passage consacré au cerf, fidèle allié de la licorne dans sa lutte contre les serpents, j’ai dû retirer une plus longue digression faisant la liste des autres adversaires du dragon.
L’éléphant tente de se défendre en marchant sur la queue du dragon, qui n’a pas l’air d’apprécier.
Cambridge, Trinity College, ms O.2.14, fol 60r
Richard de Fournival, Bestiaire d’amour, circa 1300. BNF, ms fr 25566, fol 96v.
Bestiaire anglais du XIIIe siècle. British Library, Royal ms 12 C XIX, fol 62r.
Bestiaire anglais du XIIIe siècle. British Library, Harley ms 4751, fol 58v.
Bestiaire anglais du XIIe siècle. Aberdeen University, ms 14, fol 65v.
Jacob van Maerlant, Der Naturen Bloeme, circa 1320.
British Library, Add ms 11390.
Le premier ennemi du dragon, dans le bestiaire médiéval, n’était en effet pas la licorne mais l’éléphant, le cerf ne s’attaquant le plus souvent qu’aux petits serpents qu’il était en mesure d’avaler. Déjà perdant dans ses combats contre la licorne et les souris, l’éléphant est régulièrement vaincu par le dragon. « Le dragon est le plus grand de tous les animaux terrestres […] Souvent arraché aux grottes, il est emporté dans les airs, et l’air en est troublé. Il a une crête, une petite gueule et d’étroits conduits par lesquels il respire et sort sa langue. Sa force réside, non dans ses dents, mais dans sa queue, et c’est moins sa gueule que ses coups qui sont nuisibles. Il n’est pas venimeux et n’a pas besoin, dit-on, de venin pour causer la mort, car il tue par son étreinte. Le corps énorme de l’éléphant ne l’en protège pas. En effet, caché au bord des pistes habituellement suivies par les éléphants, il lie leurs pattes de ses nœuds et les tue en les étouffant. Il naît en Éthiopie et dans l’Inde, en pleine fournaise d’une chaleur ininterrompue[1]». En Inde et en Éthiopie, bien sûr, comme les licornes, même si la présence de dragons dans les Alpes suisses est régulièrement rappelée par les auteurs locaux. La lecture allégorique est assez jolie, l’éléphant est l’homme naïf et sentimental qui se fait, au sens propre comme au figuré, embobiner par le maléfique dragon.
La licorne bleue se trouve juste derrière le lion. Bestiaire de Guillaume le Clerc, XIIIe siècle. BNF, ms fr 14969, fol 38r.
Bestiaire anglais du XIIIe siècle. Aberdeen University, ms 14, fol 9r.
Parmi les animaux sauvés par la panthèse, on reconnait le griffon, mais pas la licorne. Bestiaire anglais du XIVe siècle. Cambridge, Trinity College, ms O.2.14, fol 50r.
Ici, la licorne est l’un des animaux sauvages accompagnant la panthère. Cambridge, Trinity College, ms B11 22, fol 28v.
Bestiaire anglais, circa 1270. Los Angeles, Paul Getty Museum, ms Ludwig XV.3, fol 88r.
Attention, cette scène ne représente pas la combat de la panthère et du dragon. Les deux adversaires sont ici l’hydre et le crocodile.
Cambridge, Corpus Christi College, ms 053, fol 206r.
Le dragon était en revanche impuissant face à la panthère. Ce gros chat qui fait des sommes de trois jours, le temps qui s’écoula entre la mort du Christ et sa résurrection, est l’ami de tous les animaux. Son haleine parfumée les attire comme la parole du Christ rassemble les fidèles. Seul le diabolique dragon au souffle enflammé et puant, ne supportant ni la voix, ni le parfum de la douce panthère aux multiples couleurs, s’enfuit à son approche et se réfugie dans une grotte. Faisant fuir le grand serpent, la panthère joue ici un peu le même rôle que la licorne qui trempe sa corne dans les eaux empoisonnées.
Le léopard et la licorne combattent le dragon. Dialogus creaturarum moralisatus, 1480.
Marino de Maineri, Dialogue de créatures,, circa 1480. Vienne, ÖNB, cod 2572, fol 131v.
La licorne attaquée par des fauves.
Le léopard, cousin de la panthère est issu du croisement – c’est évident – entre un lion et un pard. Dans une fable d’Esope, ou du moins passant pour telle à la fin du Moyen Âge, le léopard va chercher l’aide de la licorne pour attaquer le dragon – et cette fois, le reptile est vainqueur. Sur l’une des tapisseries du palais des Borromée, à Isola Bella sur le lac Majeur, il ne faut pas moins de deux lions, un léopard et un dragon pour venir à bout de la licorne.
Au fait, le dragon est un serpent, mais un serpent à pattes. En a-t-il deux ou quatre ? En héraldique, il est bipède quand il rampe, quadrupède quand il passe. Les rédacteurs des bestiaires ne se sont pas posé la question, et les enlumineurs faisaient donc un peu ce qu’ils voulaient, quelques-uns montant même parfois jusqu’à six pattes.
e la lettre du Prêtre Jean aux contes de Grimm, l’histoire de la licorne trop sûre d’elle coincée après avoir planté sa longue corne dans un arbre a connu bien des variantes. En voici deux dont, faute de place, je n’ai pas pu parler dans mon livre – et quelques images.
L’histoire devait être assez populaire dans les années 1600. Elle apparait non seulement chez Shakespeare, mais également en 1590 dans le long poème d’Edmund Spenser, The Faerie Queen :
“…Like as a Lion, whose imperial Power A proud rebellious Unicorn defies, T’ avoid the rash Assault and wrathful Stower Of his fierce Foe, him to a Tree applies, And when him running in full Course he spies, He slips aside; the whiles that furious Beast His precious Horn, sought of his Enemies, Strikes in the Stock, ne thence can be releast, But to the mighty Victor yields a bounteous Feast.…”
Lettres de Saint Jéreme, circa 1310.
Madrid, BNE, mss 12801, fol 1r.
Chansonnier provençal, XIVe siècle.
BNF, ms fr 12474, fol 244v.
Rothschild Canticles, circa 1300. Yale, Beinecke Library, ms 404, fol 179v.
Avec des ours à la place du lion. Smithfield Decrtetals, circa 1340. British Library, Royal ms 10 E IV, fol 157r.
Parfois, la licorne s’en sort mieux que prévu. Oxford, Bodleian Library, ms Christ Churvh 92, fol 46v.
George Chapman, un dramaturge contemporain et proche de Shakespeare, rapporte dès 1603 dans Bussy d’Ambois une version bien différente, où la licorne s’en sort mieux :
I once did see In my young travels through Armenia An angrie unicorn in his full carier Charge with too swift a foot a Jeweller That watcht him for the Treasure of his browe; And ere he could get shelter of a tree, Naile him with his rich Antler to the Earth.
Psautier de Saint-Omer, circa 1370.
British Library, Yates Thompson ms 14, fol 7r.
Comme dans la lettrine qui ouvre cet article, l’enluminuer mélange délibérément deux récits, celui de Barlaam et Josaphat et celui de la corne dans l’arbre. Livre d’heures, début du XIVe siècle.
British Library, Stowe ms 17, fol 84v.
On remarque dans ce dernier passage plusieurs détails uniques et intéressants. Ce texte est le seul à situer la licorne en Arménie, et le lion y devient un bijoutier, ce qui préfigure le conte des frères Grimm. D’autre part, le nom anglais Antler désigne, en principe, les bois du cerf, ce qui donne de la licorne une image assez particulière. Enfin, la licorne prend le joailler de vitesse et parvient à le clouer au sol, ce qui est pourtant plus aisé avec une corne qu’avec un andouiller, juste avant qu’il ne se soit réfugié derrière l’arbre.
Au tournant du XXe siècle, les contes de Grimm sont très populaires. Dans les nombreuses éditions illustrées, la licorne y est blanche, chevaline, mais bien plus trappue et violente que lorsqu’elle accompagne une jeune vierge.
Gravure de Carl Offterdinger, fin du XIXe siècle.
Encyclopédie Enfantine, 1885.
Gravure de Joséphine Pollard, 1883.
Illustration de John Rae, 1909.
Gravure de Friedrich König, 1908.
Gravure de Robert Anning Bell, 1912.
Carte postale allemande, vers 1920.
Kay Nielsen, 1925.
Stories Grandmother told Kate, 1912.
Caricature antibritannique dans un journal allemand, Kladderadatsch, en 1899, pendant la guerre des Boers. C’est aussi le temps où l’on croyait plus ou moins à la présence de licornes en Afrique du Sud.
Un peu comme pour les bestiaires, j’avais beaucoup d’images qui n’ont bien sûr pas toutes trouvé place dans mon livre. Voici donc quelques miniatures, et de nombreuses gravures, ou apparait la licorne.
Le sermon de Renart, Peinture murale, circa 1550, Musée de Navarre, Pampelune.
Le corbeau et la licorne,
Ulrich von Pottenstein, Spiegel der Wyszheit, circa 1430.
Berlin, Staatsbibliothek, ms Germ fol 459, fol 109v.
Ulrich von Pottenstein, Spiegel der Wyszheit, circa 1430.
British Library, Egerton ms 1121, fol 69r
Ulrich von Pottenstein, Spiegel der Wyszheit, circa 1430.
Munich, BSB, cgm 254.
Ulrich von Pottenstein, Spiegel der Wyszheit, circa 1440.
Munich, BSB, cgm 9602, fol 44v.
fol 22v.
fol 3rLes quadrupèdes et les oiseaux.
Ulrich von Pottenstein, Spiegel der Wyszheit, circa 1450. Bibliothèque des Bénédictins de Melk, cod 551-961, fol 51v.
Les recueils manuscrits de Dialogues des créatures sont parfois, à la fin du Moyen Âge, enrichis de miniatures qui développent des scènes différentes de celles des bestiaires. Leur succèdent dès la fin du XVe siècle des compilations imprimées de fables d’Esope, dont bien peu remontent effectivement au fabuliste grec, qui sont systématiquement accompagnées de nombreuses gravures. La licorne y est parfois moquée pour son orgueil ou sa suffisance, comme dans les fables La licorne et le corbeau ou La licorne, le léopard et le dragon – pour en connaître le récit et la morale, il vous faudra aller voir mon livre.
Le léopard et la licorne combattent le dragon,
Maino de Maineri, Dialogue de créatures, circa 1480.
Vienne, ÖNB, ms cod 2572, fol 131v.
Des bestes terrestres et du basilique. Fol 178r.
Le léopard et la licorne combattent le dragon,Dialogus Creaturarum, circa 1450.
Munich, BSB, clm 222, fol 282v.
Le rhinocéros qui n’aimait pas les petits vieux. Fol 286v.
La guenon et Jupiter, dans un recueil allemand du XVe siècle.
Los Angeles, Paul Getty Museum, ms Ludwig XV 1, fol 52v
Parfois, sans être citée dans le texte, elle apparaît simplement dans la foule des animaux qui suivent celui qui, déjà, en est devenu le roi, le lion. Elle se moque aussi, comme tout le monde, de la guenon qui présente son nouveau-né à Jupiter comme le plus beau bébé du monde.
L’aigle, les oiseaux, le lion et les autres bêtes, Dialogus creaturarum, 1480
L’éléphant qui ne pouvait pas plier les genoux.
La licorne, le léopard et le dragon.
Les reptiles, le basilic et les autres bêtes.
Le rhinoceros qui n’aimait pas les petits vieux.
De l’éléphant qui ne pouvait pas plier les genoux, The dialogues of creatures moralysed,, 1535.
L’aigle, les autres oiseaux, le lion et les autres bêtes.
Les reptiles et les bêtes.
Le rhinocéros qui n’aimait pas les petits vieux.
Le léopard et la licorne qui combattent le dragon.
Elle prend part à la guerre entre les quadrupèdes et les oiseaux, comme la précédente une véritable fable d’Ésope présente dans de nombreux recueils. Le personnage principal en est la chauve-souris qui ne veut pas prendre parti et finit par être rejetée par tous. Il est bien sûr totalement anachronique d’y voir une allégorie de la bisexualité, mais c’est quand même tentant. Sur quelques gravures apparaît le griffon, qui semble s’être posé moins de questions identitaires et avoir rapidement choisi le camp des oiseaux.
Heinrich Steinhowel, Vita et fabulae Aesopi, 1486.
Vita et Aesopus Moralisatus, 1497.
Aesopi Phrygis et aliorum fabulæ, 1564.
John Ogilby, Aesopics or a second collection of fables, 1668
Jupiter et le chameau
Cette gravure illustre le même recueil anglais de fables d’Esope, en 1668, mais je n’ai pas trouvé de quelle fable il s’agissait. SI quelqu’un a une idée.
La licorne et la huppe, qui apparaît dans quelques recueils de vraies et fausses fables d’Esope à la fin du XVIIe siècle, est une fable moderne, contemporaine de celles de La Fontaine.
Fables d’Esope avec les figures de Sadeler,1689.
Au XIXe siècle, les légendes populaires reviennent à la mode. Suivant l’exemple des frères Grimm, des auteurs de toute l’Europe publient des recueils dans lesquels il n’est pas toujours possible de faire la part de la tradition orale, de l’embellissement et, parfois, de l’invention. Les fables prennent du volume et deviennent contes. La licorne plante sa corne dans un arbre dans Le Vaillant petit tailleur, elle ne parvient pas à monter dans l’Arche dans un conte juif[1], un ours dont la corne unique cache une escarboucle apparaît dans un conte islandais[2], un quadrupède à longues pattes et longue corne rode dans les lochs de l’île de Skye[3], mais il est difficile de dater des récits dont nous n’avons souvent pas de trace écrite avant l’époque romantique. Dans les années 1900, certains auteurs se font même une spécialité d’en créer de nouveaux, dont l’action se situe toujours dans le même Moyen Âge intemporel et légèrement féérique. Ces contes reconstruits, trop beaux, trop naïfs et trop gentils pour être vrais, ont pour la plupart été vite oubliés. Un exemple parmi des dizaines, dans le magazine anglais The Strand, le même qui publiait les aventures de Sherlock Holmes, parut en 1895 un conte de E.P. Larken intitulé la licorne. On y retrouve un topos classique des contes de fées, les trois frères (ou les trois sœurs) dont le benjamin, plus honnête et courageux, réussit là où ses brutaux ainés ont échoué. Laissé pour mort par ses frères Fritz et Franz, Hans, avec l’aide de la licorne, trouve la fontaine enchantée dont l’eau transforme ce qu’elle touche en or et, bien sûr, épouse la princesse.
E.P. Larken, La licorne, in Strand>/i>, 1895.
Sur cette affiche de Jozef Mehoffer, en 1903, tout se mélange puisque la jeune vierge semble permettre à licorne d’échapper au loup déguisé en agneau……
[1] Gertrude Landa, Jewish Fairy Tales and Legends, 1919. [2] Jón Árnason, Íslenzkar þjóðsögur og ævintýri, 1864. [3] John Gregorson Campbell, Superstitions of the Highlands & Islands of Scotland, Glasgow, 1900, p.217.
Aux XVe et XVIe siècles, en particulier dans le monde germanique, la chasse à la licorne, jusque là allégorie de l’Incarnation puis de la Passion, devient une représentation de l’Annonciation, à la symbolique parfois assez chargée.
Sur les triptyques peints et sculptés, sur les tentures de devant d’autel, sur les murs des églises peintes, l’Ange Gabriel, en chasseur sonnant du cor, pousse devant lui ses chiens, précipitant la licorne, image de l’Esprit Saint, dans le giron de la Vierge. Il en reste pas mal d’images, il en resterait plus encore si, au XVIe siècle, les réformés n’avaient effacé ou recouvert nombre des fresques décorant les églises.
Bréviaire dominicain, XVe siècle.
Bibliothèque des dominicains de Colmar, ms 494, fol 120v.
Litanies de la Vierge. Graduel, 1546. Douai, ms 109, fol 12v.
Prières de la nativité sur un missel allemand du XVe siècle. En haut, la chasse mystique à la licorne, à droite, l’arbre de Jessé, arbre généalogique du Christ.
St Gallen, Stiftsbibliothek, Cod.Sang.357, fol 315
Ici, c’est exceptionnellement le cerf qui prend la place de la licorne. Bréviaire dominicain, circa 1500.
Harvard, Houghton Library, ms Richardson 39, fol 228v.
Miniature collée à l’intérieur de la reliure d’un volume de Thomas d’Aquin. La moitié gauche est au début du livre.
La moitié droite est à la fin. Wroclaw, ms Akc 1948724.
Cette miniature illustre un poème marial, À l’unicorne agréable pucelle, qui reprend tout à la fois le thème de la chasse à la licorne et celui de sa corne purifiant les eaux. La composition est un peu confuse, mais on y reconnaît la chasse mystique. Chants royaux en l’honneur de la Vierge au Puy d’Amiens, XVIe siècle. BNF, ms fr 145, fol 28v
Annonciation à la licorne sur parchemin, Allemagne, circa 1500.
New York, Morgan Libray, ms M 1201
Annonciation alchimique (j’explique cela dans le chapitre jusqu’où peut-on aller trop loin?
Yale, Beinecke Library, Mellon ms 110, fol 407v.
Celle-ci est un faux des années 1900 – j’en parle dans mon livre.
Coffret en bois allemand du XVe siècle.
Musée de Cluny.
Plaque de céramique allemande, circa 1500.
New York, Metropolitan Museum.
Plat en bronze, circa 1500.
Vitrail allemand du XVIe siècle, aujourd’hui dans la chapelle du King’s College, à Cambridge. PHoto Gordon Plumb, flickr.
Vitrail héraldique aux armes des Lichtenfels, 1515.
Clevemand Museum of Art.
Annonciation, circa 1460. Église de Jenikov, Tchéquie, circa 1460.
Annonciation à la licorne, fin du XVe siècle.
Collection privée.
Triptyque de devant d’autel, circa 1490.
Stadtschloss Weimar.
Chasse mystique, 1515.
Cathédrale de Merseburg, Allemagne..
Chapelle du château d’Aufenstein, en Autriche. XVIe siècle.
Diptyque de la fin du XVe siècle, attribué à l’entourage de Martin Schöngauer (1450-1491). Le tableau a été découpé, et on ne voit plus le visage de Dieu observant la scène depuis le buisson ardent.
Maître autel de l’église des dominicains de Colmar, aujourd’hui au musée Unterlinden de Colmar.
Nicola Froment, Triptyque du buisson ardent, 1475.
Église Saint-Sauveur, Aix en Provence.
Fresque de l’Église de la Sainte Croix, Hattula, Finlande.
Triptyque de devant d’autel, circa 1430. Stadtschloss Weimar.
Triptyque de devant d’autel, circa 1500. Couvent des ursulines à Erfurt.
Triptyque de devant d’autel, circa 1500, cathédrale d’Erfurt.
Giovanni Maria Falconetto, Annonciation à la licorne, circa 1510.
Église Saint-Pierre Martyr, Vérone.
Une annonciation avec licorne ET colombe, attribuée à l’entourage de Martin Schöngauer, fin XVe siècle.
Musée Pouchkine, Moscou.
Tablier d’autel, circa 1512. Église de Friesach, Autriche.
Triptyque de devant d’autel, circa 1515.
Église de Maria-Gail, Villach, Autriche.
Friedrich Pacher, Fresque de l’église des Dominicains de Bolzano, circa 1496.
Polyptyque de l’annonciation de l’église Sainte-Élisabeth de Wroclaw, aujourd’hui au musée national de Varsovie, circa 1480.
Triptyque de l’Annonciation, 1506. Cathédrale de Lubeck, Allemagne.
Polyptyque de l’Annonciation, 1474.
Église Sainte-Catherine de Salzwedel, Allemagne.
Bas relief, circa 1440. Église Saint-Martin de Stadthagen, Allemagne.
Devant d’autel en bois sculpté, circa 1520.
Musée de Mechelen, Belgique.
Cet antependium, tenture de devant d’autel, de la fin du XIIIe siècle est peut-être la première Annonciation à la licorne – mais la colombe est aussi là. Vienne, MAK.
Antependium présentant des scènes de la vie de la Vierge, circa 1400. Augustinermuseum, Fribourg.
Tapis de pupitre du XVe siècle provenant de l’abbaye bénédictine d’Ebstorf, en Allemagne.
Antependium, Église sainte Marie de Gelnhausen, en Allemagne. XVe siècle.
Chasse mystique, circa 1480. La symbolique de l’ensemble est un peu confuse. Zurich, Landesmuseum.
Tapisserie rhénane, circa 1500.
Munich, Bayerische Landesmuseum.
Antependium brodé, 1634. Landesmuseum, Zurich.
Fresque de l’égilse de Loppersum, aux Pays Bas, XVIe siècle. Photo Groenling.
Gravure anonyme, circa 1460.
Historia Wilhelm von Österreich, 1491.
Der Beschlossen Gart der Rosenkrantz Marie, 1505.
La position de la corne montre bien que la scène représente l’incarnation.
Pas de licorne ici, mais cette allégorie profane de la logique s’inspire des chasses mystiques. Margarita Philosophica, 1503.
Margarita Philosophica, 1508.
Il en va de même sur cette gravure d’Erhard Schön, vers 1525, montrant des démons poursuivant moines et prêtres catholiques jusqu’à la gueule de l’enfer.
Une chasse mystique figure encore sur ce vitrail de la fin du XIXe siècle.
Friburg, Augustinermuseum.
Le jeune David tuant à mains nues un lion et un ours, auxquels l’enlumineur a ajouté une licorne pour faire bon poids.
British Library, Add ms 42131, fol 95r.
‘autres images de licornes illustrant les quelques passages de la Vulgate où l’animal est cité, notamment Job et les Psaumes, et d’autres où elle ne l’est même pas, comme le songe de Nabuchodonosor dans le livre de Daniel.
Bien qu’aucun quadrupède n’y soit nommément cité, c’est bien sûr dans les miniatures et gravures illustrant la Genèse que les licornes, seules ou en couple, sont les plus nombreuses. Plusieurs chapitres de mon livre, et plusieurs articles de ce blog sont donc consacrés à la Création des animaux, à la vie calme puis tumultueuse du jardin d’Eden, et à l’Arche de Noé. J’ai également parlé dans un article à part du bouc unicorne du livre de Daniel, qui est un bouc et donc pas vraiment une licorne.
La bible hébraïque connaissait le reem, sans doute un bœuf sauvage ou un buffle. La version grecque des Septante en avait fait un monoceros/ Dans la Vulgate latine il était devenu tantôt rhinoceros, tantôt unicornis, mais tous deux étaient plus ou moins notre licorne.
King James Bible, éd. 1611. Deuteronome XXXIII.
Psaume XXII.
Psaume XXIX.
Job XXXIX.
Isaie XXXIV
Sur le psautier carolingien dit de Stuttgart, daté des années 820, apparaissent déjà deux licornes à la silhouette massive, l’une illustrant le psaume XXIII, Salva me ab ore leonis, et a cornibus unicornium (libère moi de la gueule du lion et des cornes des licornes), l’autre le psaume XCI, Et exaltabitur sicut unicornis cornu meum (ma corne sera exaltée comme celle de la licorne).
Salva me ab ore leonis, et a cornibus unicornium
Psautier de Stuttgart, circa 820.
Württembergische Landesbibliothek Stuttgart, Bibl. fol. 23, fol 27r.
Et exaltabitur sicut unicornis cornu meum. fol 108v.
Les illustrations du psautier d’Utrecht et de sa copie le psautier Harley, tous deux du XIe siècle, reprennent dans le moindre détail les textes de certains psaumes. Deux licornes y apparaissent aux psaume XXI, Libère-moi de la gueule du lion et des cornes de la licorne, et XXVIII, L’Éternel brise les cèdres du Liban, Il les fait sauter comme les jeunes taureaux et les faons des licornes. Sur la première image, en bas à droite, des lions et une licorne attaquent deux hommes armés de faux qui ont visiblement bien besoin d’un coup de main de l’Éternel. Sur la deuxième, une licorne brise un cèdre du Liban, mais la scène est truquée, puisqu’on voit les anges qui soufflent en arrière-plan.
Bibliothèque d’Utrecht, ms 32, fol 12r.
Fol 16r.
On retrouve les mêmes compositions, avec quelques couleurs en plus, sur des psautiers du XIIe siècle.
Psautier de Canterbury, XIIe siècle. BNF, ms latin 8846, fol 36v.
fol 47v.
Psautier d’Eadwine, XIIe siècle. Cambridge, Trinity College ms R.17.1, fol 36v.
Psautier d’Eadwine. Cambridge, Trinity College, ms R 17.1, fol 36v.
Dans le livre de Job, au chapitre XXIXX, on trouve qu’un rhinoceros : « Numquid volet rhinoceros servire tibi, aut morabitur ad praesepe tuum? Numquid alligabis rhinocerota ad arandum loro tuo, aut confringet glebas vallium post te? Numquid fiduciam habebis in magna fortitudine ejus, et derelinques ei labores tuos? »
Tout au long du Moyen Âge, les érudits, suivant en cela Saint Grégoire dans ses commentaires sur Job écrits à la fin du VIe siècle, voient dans ce puissant rhinoceros le même animal que la licorne qui se laisse attendrir par une jeune vierge. Les artistes donnant à la bête une silhouette plus proche de notre licorne que du rhinoceros, cela nous vaut dans les bibles enluminées les rares occurences iconographiques de licornes de labour.
Bible moralisée, fin du XIIIe siècle. Oxford, Bodleian Library, ms Bodl 270 b, fol 223v.
Bible moralisée, circa 1230. Vienne, ÖNB, cod 1179, fol 159v.
Dans les premières bibles en langue vulgaire, ce rhinocéros fut d’ailleurs le plus souvent traduit par licorne, comme dans la Bible catholique de Louvain, en 1560 : « La licorne voudra elle te servir, ou demeurera-t-elle à ta crèche ? Pourras-tu lier la licorne de ta courroye pour labourer ? ou rompra-t-elle les mottes de terre des vallées après toi ? Auras-tu fiance en sa grand’force, lui commettras-tu tes labeurs ?».
Bible moralisée, circa 1350. BNF, ms fr 166, fol 112r.
Livre de Job, manuscrit grec du XIVe siècle.
BNF, ms Grec 135, fol 225r .
Dans une bible d’aujourd’hui, Job XXXIX 9-10 est devenu, ce qui est sans doute plus proche du sens originel : « Le buffle se mettra-t-il à ton service ? Passera-t-il la nuit dans ton étable ? Labourera-t-il tes sillons ? Rompra-t-il les mottes de terre après toi ? Auras-tu confiance en lui malgré sa force prodigieuse ? Lui abandonneras-tu le fruit de tes travaux ? ».
Voici, dans une traduction du XVIIe siècle, ce que Saint Grégoire écrit du rhinocéros, devenu licorne, dans ses Moralia in Job, un texte souvent recopié et commenté :
Comme cette mystérieuse licorne, après avoir reçu la pâture de la prédication, doit en faire voir les fruits par ses actions, l’Écriture dit fort bien ensuite « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer. Ces courroies de l’Église sont ses commandements et sa discipline, et labourer n’est autre chose que fendre la terre des cœurs comme par le fer de la prédication. Ainsi cette licorne, autrefois si fière et si indomptable, est maintenant liée des courroies de la foi, et se laisse mener de l’étable à la charrue pour labourer, parce que plusieurs étant convertis, s’efforcent eux-mêmes de faire connaître aux autres cette même foi dont ils ont été repus. L’on sait avec quelle cruauté les princes de la terre ont autrefois persécuté l’Église de Dieu, et l’on voit avec quelle humilité ils lui sont maintenant soumis par la vertu de sa grâce. Or cette licorne n’a pas simplement été liée, mais elle l’a été pour labourer: parce que celui qui est attaché dans l’Église par les courroies de la discipline , non seulement s’abstient du péché, mais s’exerce même dans la prédication pour y attirer les autres. Quand donc nous voyons que les prince et les conducteurs des peuples viennent eux-mêmes à craindre Dieu dans leurs actions, ne peut-on pas dire qu’ils sont comme liés des saintes courroies de l’Église? Quand aussi ils ne cessent point de prêcher par leurs lois sacrées cette même foi qu’ils avaient autrefois si fortement combattue, n’est-ce pas comme tirer avec un continuel effort la charrue de la foi ? Je Prends plaisir à considérer cette licorne, c’est à dire le Prince de la terre, lié des courroies de la foi, qui porte comme une corne redoutable sur le front, par la puissance du siècle qui réside en sa personne, et qui soutient le joug de l’Évangile par l’amour de Dieu. Cette fière licorne serait à craindre, si elle n’était point liée. Car elle a une corne, mais elle est liée. Les humbles trouvent dans ces saintes courroies ce qu’ils doivent aimer et les superbes dans cette corne redoutable ce qu’ils doivent craindre. Ce grand prince étant lié de ces courroies spirituelles conserve soigneusement la douceur et la piété mais étant armé de cette corne de gloire et de grandeur terrestre, il exerce son autorité et sa puissance. Souvent quand on le provoque à la colère et à la vengeance, il est retenu par le sentiment de la crainte de Dieu. Quelquefois en offensant sa puissance souveraine, on l’anime de fureur, mais faisant aussitôt réflexion sur le juge qui est éternel, sa corne se trouve liée par cette pensée, de sorte qu’il s’adoucit et qu’il s’humilie. Il me souvient d’avoir vu moi-même assez souvent que lorsque cette puissante licorne était toute prête à donner de furieux coups, et qu’ayant déjà élevé cette corne terrible, elle menaçait d’une manière redoutable les moindres bêtes, c’est à dire ses sujets, d’exil, de mort, et d’autres semblables punitions, ce pieux prince faisant aussitôt le signe de la croix sur son front, éteignait en un moment dans son âme cet embrasement de fureur, que se tournant vers Dieu, il se dépouillait de toute colère, et que comme il se sentait impuissant d’accomplir tout ce qu’il avait résolu, il reconnaissait bien qu’il était lié. Mais il ne se contente pas de dompter soi-même sa propre colère, il s’efforce encore d’insinuer dans les cœurs de ses sujets tout ce qu’il y a de bien et de juste, et veut faire voir lui-même par l’exemple de son humilité propre, que tout le monde doit avoir imprimée dans le fond de l’âme une sincère vénération pour l’Église sainte. Dieu dit donc à Job: « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer? » comme s’il lui disait en termes plus clairs : Croyez-vous pouvoir réduire les grands du monde qui se glorifient dans leur folle vanité, au travail de la prédication et les attacherez-vous des liens de la discipline? Il faut ajouter, comme moi qui l’ai fait quand je l’ai voulu, et qui de ceux que j’ai autrefois souffert si longtemps pour persécuteurs et pour ennemis, en ai fait depuis fait des défenseurs de ma foi.
— Les morales de Saint Grégoire Pape sur le livre de Job, 1669
Bible de Roda, XIe siècle.
BNF, ms lat 6-3, fol 65v.
Speculum humanæ salvationis, circa 1360.
Darmstadt, HS 2505, fol 44v.
Fleur des chroniques depuis la création du monde, XIVe siècle.
Besançon, ms 677, fol 13r.
On ne croise nulle licorne dans le livre de Daniel, qui décrit la captivité du peuple juif à Babylone. Pourtant, la licorne est devenu classiquement l’un des animaux représentés dans la scène du songe prophétique de Nabuchodonosor, qui rêve d’un arbre reliant la terre au ciel, sous l’ombre duquel se reposent les bêtes et sur les branches duquel les oiseaux font leur nid. Plus rarement, elle apparait aussi lorsque les choses tournent mal pour le roi de Babylone, qui perd la raison et vit parmi les animaux, parmi lesquels le texte biblique ne cite que les bœufs.
Les licornes sont très nombreuses dans les marges et les décors animaux des manuscrits religieux juifs du Moyen Âge. Elle y côtoie de très nombreux lions, mais aussi des dragons, des chèvres, des éléphants et pas mal de créatures assez bizarres.
Torah du XIVe siècle. British Library, Add ms 15282, fol 238r.
Fol 75v.
Fol 296v.
Fol 314 r.
David jouant de la harpe. Fol 302r.
Fol 307v.
Si ce volume est l’un de ceux où les licornes sont les plus présentes, on les croise à l’occasion sur bien des manuscrits enluminés, qu’ils aient été copiés en Espagne ou en Allemagne. Comme les dragons et autres griffons, ces quadrupèdes, et parfois bipèdes, unicornes sont purement décoratifs. Seul le couple du lion et de la licorne affrontés, relativement fréquent, avait peut-être un sens vaguement symbolique.
Asher ben Yehiel, Abrégé du Talmud, circa 1480. BNF, ms Hebr 418, fol 308,
Torah, 1309. Bibliothèque de Hamburg, cod Levy 19, gol 97r.
Mahzor, circa 1415. Les Mahzors sont des livres de prières pour les différentes fêtes, un peu l’équivalent des livres d’heures chrétiens.
Vienne, Österreichische Nationalbibliothek, Cod hebr 242, fol 96.
Une licorne et une bestiole bizarre, un peu sirène et un peu dragon. Mahzor, circa 1614. British Library, ms Harley 5794, fol 17r.
Plus classique, le lion et la licorne. British Library, ms Harley 5794, fol 17r.
Mahzor allemand du XIIe siècle.
Pentateuque, circa 1390.
British Library, Add ms 19976, fol 70r.
Bible de Cervera, fin du XIIe siècle.
Bibliothèque Nationale du Portugal.
Mahzor, circa 1300. Dresde, Bibliothèque Universitaire, ms Dred A 46 a, fol 132r.
La scène de la chasse à la licorne du Physiologus a connu plusieurs lectures tout au long du Moyen Âge, mais toutes étaient chrétiennes. Ce récit n’a donc rien à faire dans les décors des manuscrits juifs. Qu’on l’y trouve parfois, comme sur ce Pentateuque du XIIIe siècle au style graphique typique de l’enluminure juive rhénane, montre à quel point cette histoire était devenue un classique, relevant autant de l’histoire naturelle que de l’allégorie chrétienne.
Pentateuque Rothschild,Allemagne, 1296. Los Angeles, Getty Museum, ms 116, fol 169r
Sur la toute première page d’une bible juive du XVe siècle, on découvre même jeune vierge à la licorne d’allure très mariale. Dans la ville d’Italie où ce manuscrit a été réalisé, sans doute Ferrare, il y avait assez de travail pour un ou deux copistes juifs, mais pas pour un enlumineur. C’est donc un artiste chrétien qui fut chargé des décors. On ignore s’il a simplement, sans se poser de questions, illustré une bible juive avec les images qu’il mettait habituellement sur les livres chrétiens, ou s’il a voulu faire une bonne blague à un commanditaire que, visiblement, cela ne gênait guère puisque la scène n’a pas été effacée ou recouverte.
Bodleian Library, ms Canonici Or 61, fol 2r.
Une licorne brune apparaît dans un médaillon d’un très riche Mahzor, recueil de prières pour les fêtes juives, copié vers 1490. Les enluminures sont l’œuvre, là encore, d’un atelier chrétien, celui de Boccardin il Vecchio (1460-1529), qui n’employait sans doute qu’un ou deux artistes juifs pour bien dessiner les lettres et ne pas faire de grosses bêtises dans les scènes religieuses. SI les miniatures illustrent les fêtes juives, les frises qui les entourent ne sont en rien différentes de celles que le même atelier réalisait pour les Medicis ou d’autres grandes familles florentines. Ni la licorne brune du médaillon, ni les deux petites licornes dorées de la reliure, ne sont donc particulièrement juives.
Mahzor, circa 1490. Collection privée.
Deutéronome, circa 1398. Musée hébraïque de Venise.
La micrographie figurative, peut-être à l’origine une astuce inventée dans le monde arabe pour faire des dessins en prétendant que c’est du texte, a été surtout utilisée par les copistes juifs. Ce sont souvent des animaux qui sont ainsi représentés à l’aide de commentaires des textes religieux.
Torah, Allemagne, XIIIe siècle. BNF, ms Hebr 6, fol 72v.
Une sacrée licorne en micrographie dans une copie du Pentateuque, circa 1280.
British Library, Add MS 21160, fol 198r
On peut aussi mettre les animaux dans les lettres.
Asher ben Yehiel, Abrégé du Talmud, vers 1480. BNF, ms Hebr 418, fol 198r.
Torah, Allemagne, XIIIe siècle. British Library, Oriental ms 2091, fol 268r.
Recueil liturgique, XIVe siècle.
BNF, ms Hebr 643, fol 7v.
Pentateuque, XIIIe siècle.
BNF, ms Hebr 41, fol 135v.
La maquettiste a judicieusement choisi d’illustrer ce chapitre de mon livre par la plus belle miniature illustrant la discussion entre l’Oku et de l’Ofer dans le Mashal ha Kadmoni. Ce recueil de fables animalières fut le premier livre imprimé en hébreu, à Brescia en 1491, et fut régulièrement réédité. Voici donc quelques autres miniatures et gravures de la même scène.
Meshal Ha Kadmoni, circa 1450.
Oxford, Bodleian Library, ms 0pp 154, fol 48v
Meshal Ha Kadmoni, circa 1450.
Munich, Bayerische Staatsbibliothek, Cod hebr 107, fol 90r.
Meshal ha Kadmoni, 1491.
Meshal ha Kadmoni, 1693.
Meshal ha Kadmoni, 1491.
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le couple du lion et de la licorne debout face à face – en héraldique, on dit affrontés – est souvent figuré sur les murs et les plafonds des synagogues, sur les pierres tombales et sur quelques objets rituels. Autant la signification du lion de Juda est claire, autant celle de la licorne est assez vague, et ne semble jamais avoir été vraiment explicitée. Un autre chapitre de ce blog est consacré spécifiquement à ce couple, également présent à la même époque dans le monde slave. Le couple de deux lions est bien sûr plus fréquent ; celui de deux licornes est plus rare, mais se rencontre à l’occasion.
Une autre licorne, affrontée cette fois à un lion, dans la synagogue de Gwozdziec.
Plafond de bois peint de la synagogue de Gwozdziec, en Pologne, détruite par les nazis en 1941.
Keter Torah, Pologne, XVIIIe siècle. Metropolitan Museum, New York
Bouclier de la Torah, XIXe siècle. Collection privée
Boitiers a tephilin, Pologne, XIXe siècle. Coll privee
Cimetière juif de Valcinet, Moldavie.
Toutes ces tombes datent de la deuxième moitié du XIXe siècle.
Photo CHristian Herrmann.
Cimetière juif de Iassinia, Ukraine.
Photo Ennkko, Wikimedia Commons.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann.
Cimetière juif de Polonoye, Russie.
Photo Azarya Rozet.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Yablunov, en Ukraine. Photo Christian Herrmann
Cimetière juif de Horodok, Ukraine. Photo Dmitry Polykhovich.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Boris Khaimovich.
Cimetière juif de Kuty, Ukraine. Photo Boris Khaimovich.
Cimetiere juif de Pechenizhyn, Ukraine.
Cimetière de Bolekhiv, Ukraine.
Cimetière juif de Medzhybyzh, en Ukraine.
Photo Mikhailo Potupchik, Wikimedia Commons.
Voici enfin quelques exemples de tentatives de reconstitution des blason des douze tribus d’Israël, au XVIIe et XVIIIe siècle, généralement par des auteurs chrétiens. Il y en a de plus anciennes, mais je ne crois pas que l’on y trouve de licornes.
Les bannières des douze tribus d’Israël. Johann Jakob Scheuchzer, Physica Sacra, vol III, tab CCLXXXVIII, 1732.
Michel-François d’André Bardon, Costumes des anciens peuples, 1774.
Willem Goeree, La République des Hébreux, 1705.
Nicholas Mcleod, Illustrations for the epitome of the ancient history of Japan, 1879. L’auteur pense avoir retrouvé au moins deux des dix tribus perdues d’Israel, une en Angleterre et une au Japon.
oins connu aujourd’hui que le récit de la chasse à la licorne, ou même celui la licorne purifiant les eaux, le dit de l’unicorne était au Moyen Âge l’un des contes mettant en scène la bête unicorne. Ce texte venu d’Inde en passant par les recueils de fables arabes, grecs et slaves, ce qui nous vaut de nombreuses images dans des styles très variés, donnait de l’unicorne une image violente et même diabolique. Il passa de mode à la Renaissance, quand la licorne devint plus blanche et pure.
Je cite dans mon livre l’une des versions les plus connues de ce texte, celle de Jacques de Voragine dans la Légende dorée. En voici une autre, celle du pseudo Jean Damascène, en français du XVIe siècle parce que je l’ai trouvée comme ça et que c’est rigolo.
Psautier, circa 1290.
New York, Morgan Library, ms M 279, fol 354v.
La parabole de l’unicorne contre ceulz qui aiment le siècle.
Vincent de Beauvais, Miroir Historial, circa 1335. Bibliothèque de l’Arsenal, ms Rés 5080, fol 378r.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, XVe siècle. BNF, ms fr 51, fol 175r.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, XIVe siècle. BNF, NAF 15942, fol 69v.
Parquoy ceux qui servent à un Seigneur si rude & maling & s’esloignent malheureusement de celuy qui est bon, gracieux & débonnaire,& béent aux choses présentes, & y sont attachez, & n’ont aucune cogitation de l’advenir, ains desirent incessamment les délectations corporelles, laissans mourir de faim leurs ames & estre affligéees de maux innumerables : Je les répute semblables à l’homme fuyant de devant une licorne furieuse, lequel ne pouvant soustenir le son de sa voix, & terrible mugissement, fuyoit vistement de crainte d’estre dévoré d’elle.
Vincent de Beauvais, Le mirouer historial, circa 1380. BNF, ms fr 313, fol355r.
Les miracles de Notre Dame, circa 1330.
La Haye, KB, ms NL 71A24, fol 52r.
La légende de Barlaam et Josaphat en Italien, XIVe siècle. Bibliothèque Nationale d’Espagne, ms Res 239, fol 20v.
Livre d’heures, circa 1350.
Baltimore, Walters Art Museum, ms W 105.
Le ci nous dit, circa 1340.
Chantilly, Musée Condé, ms 26, fol 124v.
Saint Augustin, La cité de Dieu,circa 1375.
Cette miniature de la tentation s’inspire des représentations de la légende Barlaam et Josaphat.
De arbore altissima supra montem posita, XVe siècle.
Pas de licorne non plus ici, mais des lions, des loups et des ours. Le récit s’inspire de la légende Barlaam et Josaphat.
Or comme il couroit hastivement, il cheut en certain precipice, & en cheant, estendant ses bras, embrasse un petit arbre, lequel il tint fermement, & appuyant ses pieds sur ce qu’il trouva d’aventure, luy sembla qu’il seroit de là en avant en paix & asseurance. Or regardant de près, il veit deux Souris, l’une blanche, l’autre noire, rongeans incessamment la racine de ce petit arbre qu’il tenoit, & ne s’en falloit gueres qu’elles ne l’eussent trenché du tout.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1402.
UB Leiden, ms VVG F4, fol 146r.
Behalde here as þou may se
A man standyng in a tree.
British Library, Add ms 37049, fol 19v.
Hugo von Trimberg, Der Renner, circa 1450.
Bayerische Staatsbibliothek, Cgm 7375, fol 111v.
Hugo von Trimberg, Der Renner, circa 1410.
UB Innsbruck, ms 900, fol 163r.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1402.
Staatsbibliothek Leipzig, ms Rep II 21, fol 176r.
Hugo von Trimberg, Der Renner, 1468.
Cologny, fondation Bodmer, ms Bodmer 91, fol 185r.
Contemplant aussi le fond de ce précipice, il veit vn Dragon de terrible regard, jettant feu par les narines, & regardant furieusement, ouvrant la gueule, le desiroit dévorer. Et derechef regardant le lieu où ses pieds estoient appuyez, il veit quatre testes d’aspics, qui sortoient tout auprès de ses pieds.
Gravure de Boetius Adamsz Bolswert, circa 1616.
Gunther Zainer, Cronica von eynem heyligen kunig mit namen Josaphat,1476.
Barlaam et Josaphat, Augsburg, 1480.
Bodleian Library, Douce 184.
Fresque de Cristoforo di Bindoccio et Meo di Pero, Palazzo Corboli, Sienne, circa 1370.
Fresque de l’église Saint-Laurent à Bischoffingen, Vogtsburg in Kaiserstuhl, en Allemagne.
Photo Jörgens mi, Wikimedia Commons.
Plafon de l’église de Vester Broby, au Danemark, 1380.
Photo Birgitte Svaerke Pedersen.
Musée de la cathédrale de Ferrara.
Wikimedia Commons, Photo Sailko
Baptistère de Parme, XIIe siècle. Le dragon est tout seul, la licorne est absent. Les chars du soleil et de la lune, des deux côtés, illustrent comme les deux rats le passage du temps.
Photo Sailko, Wikimedia Commons.
Et eslevant ses yeux en hault, vit un peu de Miel, qui distilloit des branches de ce petit arbre. Parquoy mettant en oubly les maux & dangers qui l’enuironnoient, sçavoir est que la furieuse Licorne estoit en hault, qui le guettoit, cerchant à le dévorer, & au fond le terrible Dragon qui le vouloit engloutir, & l’arbre qu’il tenoit estoit presque couppé, & que ses pieds estoient si mal assis: Oubliant donc tous ces dangers,il fut alléché de la doulceur du miel, & estendit le bras pour en prendre.
Psautier grec de Théodore, XIe siècle.
British Library, Add ms 19352, fol 182v.
Psautier grec, XIe siècle.
Bibliothèque du Vatican, ms Barb gr 372, fol 237v.
Histoire du moine Barlaam et de Josaphat, roi des Indes,, XIVe siècle.
BFF, ms Grec 1128, fol 68r.
Ceste similitude est de ceux, qui sont adhérans à la séduction du présent siècle, l’exposition de laquelle je te diray maintenant. La Licorne est la figure de la mort, laquelle poursuyt tousjours, & désire attrapper le genre humain. Le Precipice, c’est ce monde, remply de tous maux & Iassets mortels. Le petit Arbre que nous tenons, qui est incessamment rongé de deux Souris, est la mesure de la vie d’un chacun, laquelle se consomme & diminue par chasque heure, tant du jour que de la nuict, & peu à peu vient à la fin .
Psautier de Kiev, 1397.
Saint Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms ОЛДП.F.6, fol 197r.
L’histoire de Barlaam et Josaphat, XVIIe siècle.
Saint-Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms F I 880, fol 87v.
L’histoire de Barlaam et Josaphat, XVIIe siècle. Saint-Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms ОЛДП Q. 17, fol 92r.
Icone mariale, 1545. Monastère de Solovetsky.
Manuscrit de vieux croyants, XIXe siècle.
Saint Petersbourg, Bibliothèque Nationale de Russie, ms НСРК. Q. 320, fol 74r.
Et les quatre Aspics signifient les quatre fragiles & instables élémens desquels le corps humain est composé, lesquels estans desordonnez & troublez, le corps se diflfoult. Et ce grand Dragon cruel & flamboyant, figure le terrible ventre d’enfer, désirant engloutir ceux qui préposent les présentes délectations aux biens à venir. Et la petite goutte de miel, dénote la doulceur des voluptez du monde, par laquelle ce séducteur ne permet que ses amis voyent leur propre salut, ny le danger où ils sont.
Histoire de Barlaam et de Josaphat, roy des Indes, composée par sainct Jean Damascène, et traduicte par F. Jean de Billy, Paris, 1574.
Histoire de Barlaam et de Joasaph, XVIIIe siècle. BNF, ms arabe 274, fol 55r.
Histoire de Barlaam et de Joasaph, XVIIIe siècle.
BNF, ms arabe 273, fol 42r.
Pas de licorne sur la miniature, mais elle est citée dans le texte. Kalila wa Dimna, , XIVe siècle.
Certains enlumineurs ne manquaient pas d’humour. Au début du XIVe siècle, celui qui illustra un livre d’heures aujourd’hui à la British Library, le Stowe ms 17 que j’ai déjà cité une ou deux fois sur ce blog, appréciait particulièrement les double sens un peu absurdes. Il a donc regroupé dans le même dessin deux légendes, celle de Barlaam poursuivi par la licorne et le dragon, et celle de la licorne imprudente plantant sa corne dans le tronc d’un arbre. Le résultat n’a allégoriquement plus aucun sens.
British Library, ms Stowe 17, fol 84v.
On devine au verso, en transparence, Renard invitant des poules et une oie à passer la soirée chez lui; ça va sans doute mal finir.
Un poème du début du XVIe siècle, donc contemporain des tapisseries du musée des Cloisters, contant une chasse à la licorne.
L’unique manuscrit de ce poème. BNF, ms fr 2205, fol 39v.
Le grand veneur qui tout mal nous pourchasse, Portant epieux agus et affilés, Tant pourchassa par sa mortelle chasse, . Qu’il print un cerf en ses lacz et filets Lesquels avoit par grand despit fillés Pour le surprendre au beau parc d’innocence. Lors la licorne en forme et belle essence Saillant en l’air comme royne des bestes, Sans craindre envieux et canin, Monstrer se vint au veneur à sept testes Pure licorne expellant tout venin.
Chasse à la licorne dans la bordure de la tapisserie de Bayeux, circa 1080.
Le faulx veneur, cornant par fière audace, Ses chiens mordants sur les champs arrangés, L’espérant prendre en quelque infecte place, Par la fureur de tels chiens enragés ; Mais desconfits, las et decouragés, Ne luy ont faict morseure ou violence, Car le lyon de divine excellence La nourrissoit d’herbes et fleurs célestes, En la gardant par son plaisir benin, Sans endurer leurs abboys et molestes Pure licorne expellant tout venin.
Chasse à la licorne dans la marge d’un bréviaire du XIIIe siècle. Bibliothèque de Cambrai, ms 103n fol 49r.
Sus elle estoit prévention de grace, Portant les traits d’innocence empanés Pour repeller la venéneuse trace De ce chasseur et ses chiens obstinés, Qui furent tous par elle exterminés Sans lui avoir inféré quelque offense. Sa dure corne eslevoit pour deffense, Donnant support aux bestes trop subjectes A ce veneur cauteleux et malin, Qui ne print onc par ses dards ni sagettes Pure licorne expellant tout venin.
Licornes attaquées par des chiens. Chandelier de l’église Sainte Walburge de Zutphen, Pays Bas. XIVe siècle.
Ainsi saillit pardessus sa fallace Et dards pointus d’archer mortel ferrez Se recevant sur haultaine tarrasse Sans estre prinse en ses lacz et ses rhetz Lesquelz avoit fort tyssus et serrés Pour lui tenir par sa fière insolence Mais par doulceur et par benivolence Rendre le vint entre les bras honnestes De purité plaine d’amour divin Qui la gardoit sans taches deshonnestes Pure licorne expellant tout venin.
Dessin pour une tapisserie. La devise Venena Pello, je repousse le venin,est ici associée non à la scène de la licorne purifiant les eaux mais à une dame en hennin dans un enclos, allusion à la Vierge dans l’Hortus conclusus. BNF, Res Pc-18-Fol.
Pour estre ès champs des bestes l’oultrepasse Et conforter tous humains désolés, Triomphamment seule eschappe et surpasse Les lacz infects par icelle adnullés. Donc ici bas nous sommes consolés Par la licorne où gist toute affluence D’immortel bien par céleste influence ; Car par ses faicts et méritoires gestes A conservé tout l’orgueil serpentin En se monstrant par vertus manifestes Pure licorne expellant tout venin.
Emblème du Condottiere Bartolomeo d’Alviano, Paolo Giovio, Dialogue des devises d’armes et d’amour, 1561.
Veneur maudit, retourne à tes tempestes, Va te plonger au gouffre sulphurin, Puisque n’as prins, par tes cors et trompestes, Pure licorne expellant tout venin.
— Palinod (poème marial) de Dom Nicolle Lescarre, circa 1520 BNF, ms fr 2205, fol 39v
La licorne purifiant les eaux, XVIe siècle. Palazzo Giardino, Sabbioneta, Italie.