đź“– Unicornis et Monoceros

Notre imaginaire ne connait aujourd’hui qu’une licorne, blanche, Ă©quine et fort sympathique. Les choses ont longtemps Ă©tĂ© plus compliquĂ©es. Les bestiaires mĂ©diĂ©vaux distinguaient le plus souvent au moins deux quadrupèdes unicornes, l’unicornis ou rhinoceros, ancĂŞtre de notre licorne, et le monoceros, cousin de notre rhinocĂ©ros.

Au dĂ©but du XIIIème siècle, Jacques de Vitry, Ă©vĂŞque de Saint-Jean d’Acre, distinguait dĂ©jĂ  soigneusement le monoceros dĂ©crit par Pline du rinoceros attirĂ© par les jeunes vierges: 

« D’autres animaux à une seule corne, que les Grecs appellent rhinocéros, portent au milieu du front cette corne très forte et longue de quatre pieds. Cette arme leur suffit pour éventrer un animal quelconque; ils en percent même un éléphant en le frappant aussi dans le ventre, et après l’avoir renversé, ils le tuent. Lorsqu’ils sont saisis par les chasseurs, ces animaux remplis d’orgueil meurent uniquement de colère. Il n’y a pas de chasseurs, si forts qu’ils soient, qui puissent s’en rendre maîtres. Pour y parvenir, ils présentent à leurs regards une jeune fille belle et bien parée; celle-ci ouvre son sein, et aussitôt oubliant toute sa férocité, l’animal vient se reposer sur le sein de la vierge, et est pris alors dans un état d’assoupissement.
Le monocéros ou licorne (unicornis) est une autre bête, espèce de monstre horrible, qui a un affreux mugissement, la tête à peu près semblable à celle d’un cerf, le corps d’un cheval, la queue du porc et les pieds de l’éléphant; il est armé au milieu du front d’une corne très pointue; pris, on peut bien le mettre à mort, mais il n’y a aucun moyen connu de le dompter.[1]»

LĂ  encore, je ne pouvais pas mettre dans mon livre autant d’images que je l’aurais souhaitĂ©. Voici les reprĂ©sentations de ces deux animaux dans quelques bestiaires. Comme vous allez le voir, mĂŞme si elle a un peu la mĂŞme corne, ce n’est clairement pas la mĂŞme bestiole.


Bien sĂ»r, rien n’obligeait Ă  s’arrĂŞter Ă  deux licornes. La corne unique Ă©tant une caractĂ©ristique relativement ordinaire des crĂ©atures exotiques, les bestiaires de la fin du Moyen-Ă‚ge n’hĂ©sitent pas Ă  en distinguer trois ou quatre variĂ©tĂ©s. Voici d’ailleurs les distinctions que fait un bestiaire du XIVe siècle :

« La licorne est grant et grosse comme ung cheval, mais plus courtes jambes. Elle est de coulleur tanee. Il est troys maniérés de ces bestes cy nommées licornes. Aucunes ont corps de cheval et teste de cerf et queuhe de sanglier, et si ont cornes noires, plus brunes que les autres. Ceulx-ci ont la corne de deux couldees de long. Aucuns ne nomment pas ces licornes dont nous venons de parler licornes, mais monoteros ou monoceron. L’autre maniére de licornes est appeilee eglisseron, qui est à dire chievre cornue. Ceste-cy est grant et haulte comme ung grant cheval, et semblable à ung chevreul, et ha sa grant corne très aguhe. L’autre maniére de licorne est semblable à un beuf et tachee de taches blanches. Ceste-cy a sa corne entre noire et brune comme la première maniér de licornes dont nous avons parlé. Ceste-cy est furieuze comme ung thoreau, quant elle veoit son ennemy.»[2]

Les bestiaires arabes, turcs et persans distinguent aussi plusieurs quadrupèdes unicornes, et la structure du Livre des merveilles du monde de Zakaria al Qazwini, au XIIIe siècle, n’est pas bien diffĂ©rente de celle de son contemporain occidental, le Livre des propriĂ©tĂ©s des choses de BarthĂ©lĂ©my l’Anglais. J’en parlerai dans mon prochain post.

[1] Jacques de Vitry, Histoire des Croisades (Historia Orientalis seu Hierosolymitana), in François Guizot, Collection des mémoires relatifs à l’histoire de France, Paris, 1825, vol.22, pp.186-187.
[2] Le livre des proprietez des bestes qui ont magnitude, force et pouvoir en leur brutalitez, 1512, Bestiaire accompagnant un roman d’Alexandre, cité in Jules Berger de Xivrey, Traditions tératologiques, Paris, 1836.

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