➕ La licorne, une jolie voiture

C’est aussi parce qu’elle est rapide et élégante, sauvage et belle, que la licorne a donné son nom à une marque automobile française, disparue après la seconde guerre mondiale.

« Nous avons procédé à une enquête, nos lecteurs s’en souviennent, recherchant les causes de l’adoption par les industriels du cycle et de l’automobile de la marque de fabrique symbolisant leur firme.
Nous avons dit pourquoi un oiseau de mer avait été choisi par un constructeur de cycles. Nous avons poursuivi notre enquête en demandant à une des plus importantes maisons d’automobiles les motifs qui avaient présidé au choix de « La Licorne » pour symboliser la voiture que nous voyons aujourd’hui.
L’ancien champion cycliste Corre, célèbre par ses performances de Bordeaux-Paris et des 24 heures, avait créé une marque d’automobile portant son nom.
En 1907, un industriel, M. Lestienne, s’intéressa à cette affaire. Il voulut alors accoler au nom de Corre une épithète superlative synthétisant toutes les qualités de la voiture que cette nouvelle société allait lancer. M. Lestienne, ses fils et le directeur de la maison, M. Baudot, s’étaient réunis pour dénicher cette enseigne qui devrait un jour convier le monde.
Les uns proposaient « Le pur-sang », mais cette marque était déjà déposée; les autres optaient pour «  La Cavale » mais ce mot pouvait être interprété d’une manière argotique et prêter à équivoque. Les noms de «Centaure » et d’ « Hippogriffe » étaient mis en avant, mais à chacun on trouvait de valables objections. Les imaginations de ces messieurs vagabondaient vers de mythologiques pensées, sans trouver le nom précis.
Tout en cherchant, M. Lestienne jouait avec sa bague qu’il laissa tomber. M. Baudot se précipite pour la ramasser et avant de la remettre il la contemple sur toutes ses faces. C’est alors qu’il voit gravée sur le chaton une superbe licorne. Il propose de suite cette appellation pour la nouvelle firme, représentant les armes du président de leur conseil d’administration. M. Lestienne se défendit, mais les arguments des administrateurs l’emportèrent. En effet, la licorne, a dit Voltaire, représente force, puissance, finesse, simplicité et douceur [1]. Ce magique et fabuleux animal symbolisant toutes les qualités que les administrateurs désiraient donner à leur voiture, l’unanimité se fit sur ce nom; la marque était créée !
Depuis ce jour l’héraldique animal darde sans cesse sa pointe acérée vers la victoire. Corre-La Licorne est aujourd’hui dans l’esprit de tous; à tel point que bien des provinciaux ne connaissent M Baudot que sous le nom de Corre et n’appellent M. Lestienne que M. Licorne. »

— L’Auto – Vélo, 14 janvier 1926

[1] Allusion sans doute à cette phrase de La Princesse de Babylone : « C’est le plus bel animal, le plus fier, le plus terrible, et le plus doux qui orne la terre.»

La Licorne se fit rapidement connaître par quelques succès dans des courses automobile, mais des choix industriels versatiles, hésitant comme la blanche bête entre robustesse et légèreté, entre force et vitesse, entre utilitaires et voitures de dames, entre sport et tourisme, l’empêchèrent de rencontrer un succès durable.

Déjà surtout connue pour ses grèves à répétition et ses patrons de chocs peu portés sur la négociation, La Licorne alourdit quelque peu son dossier durant l’occupation, quand elle fut rachetée par l’italien Bugatti et produisit des voitures électriques et des véhicules tout-terrain pour l’armée allemande. À la libération, le constructeur ne fit pas partie des entreprises choisies par l’état pour le plan de relance de l’industrie automobile.

La Licorne tenta sans grand succès de se reconvertir dans les camionnettes et dans les tracteurs ; même si l’on croise dans mon livre une ou deux licornes de labour, cela collait quand même moins avec l’image de la blanche bête. L’activité cessa en 1949, et les ateliers furent repris par d’autres constructeurs, Berliet puis Renault.

Les fauteuils licornes du designer Vladimir Kagan, très à la mode dans les années soixante, ont des teintes blanches ou beiges et surtout reposent sur un socle en V qui n’est  pas sans rappeler la corne de la licorne et donnent l’impression qu’ils sont prêts à décoller.

Vladimir Kagan, Fauteuil licorne.
Cleveland Art Museum.

Blanche, pure et surtout rapide, fendant l’air de corne effilée, tout semblait d’ailleurs prédestiner la licorne à devenir un avion ou, plus encore, une fusée. Pourtant, alors même que les licornes ailées se font nombreuses depuis une vingtaine d’années, cela n’a jamais été le cas, et les licornes, qui ne sont plus des voitures, sont surtout restées des bateaux. L’image médiévale et donc peu moderne de la bête, son glissement récent vers les univers ésotériques ou enfantins à l’opposé de la rigueur scientifique, ont sans doute découragé des ingénieurs un peu trop sérieux.

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