📖 Les cornes de Bucéphale

Où l’on découvre que Bucéphale, le cheval anthropophage d’Alexandre le Grand, était aussi un peu licorne.

Le Roman d’Alexandre, aujourd’hui un peu oublié, fut, au Moyen-Âge un véritable blockbuster multiculturel dont il existe des centaines de manuscrits, souvent luxueusement enluminés. Bucéphale y est souvent armé d’une corne, et parfois de deux, voire trois. Voici quelques manuscrits que vous pouvez feuilleter en ligne pour découvrir des images de Bucéphale en licorne, bicorne ou tricorne.

Sur les premiers manuscrits européens enluminés du Roman d’Alexandre, Bucéphale est parfois représenté tricorne – deux cornes latérales parce qu’il a, comme son nom l’indique, une tête de bœuf, auxquelles s’ajoute une corne centrale pour des raisons un peu plus compliquées que j’explique dans mon livre. C’est par exemple le cas sur le manuscrit Royal ms 20 a V de la British Library, sans doute copié dans le nord de la France au début du XIVe siècle. Les trois cornes de Bucéphale y sont spiralées à la manière des licornes.

Plus ou moins à la même date, un autre enlumineur a imaginé de donner à Bucéphale deux cornes latérales et bovines, pointées vers le haut, et une corne de licorne plus agressive, pointée vers l’avant. Ce manuscrit, le Su 20, se trouve à la Bibliothèque royale de Stockholm.

Plus modestement, d’autres artistes se contentent de donner à la monture du roi de Macédoine deux cornes. Cela n’en fait pas encore une licorne, mais ce n’est quand même plus vraiment un cheval comme les autres. C’est par exemple le cas dans le Harley ms 4979 de la British Library.

Un autre manuscrit, en latin, de l’Historia de preliis Alexandri Magni se trouve à la bibliothèque du Pays de Galles, à Aberystwyth, sous la cote Peniarth ms 481 D. Bucéphale y est encore bicorne et, curieusement, aucun licorne n’apparait sur les nombreuses enluminures naïves et colorées, pas même un petit dragon unicorne.

Sur un manuscrit en latin copié en Italie du Sud, le latin 8501 de la Bibliothèque nationale, aux illustrations de facture plus modeste, Bucéphale est unicorne, mais cela n’en fait pas une licorne. Cet élégant destrier n’a ni la longue corne, ni les pattes d’éléphant, ni la silhouette pataude des licornes d’Inde qu’il est bien sûr amené à affronter.

La monture d’Alexandre est parfois décrite comme ayant non seulement une corne de licorne, mais aussi une queue de paon. C’est le cas sur ce manuscrit en français du milieu du XVe siècle, le LDUT 456 de la bibliothèque du Petit Palais, à Paris.

Ce manuscrit est contemporain d’un épais recueil, également en français, qui se trouve à Londres, à la British Library, le Royal ms 15 e VI. Sur les 25 premières pages, abondamment illustrées de miniatures petites et très détaillées, se trouve un récit sensiblement plus bref des aventures d’Alexandre de Macédoine. Bucéphale, dont la robe grise blanchit sur les dernières images, peut-être un changement d’enlumineur, y est armé d’une toute petite corne que l’on devine parfois à peine.

Sur un autre manuscrit du XVe siècle, le français 1942 de la Bibliothèque nationale, Bucéphale a bien la tête de bœuf à laquelle il devrait son nom, mais il n’a qu’une seule corne. l’ensemble lui confère une silhouette assez particulière.

Sur le ms 651 de la bibliothèque du château de Chantilly, manuscrit en français de la fin du XVe siècle, le cheval carnivore a une robe gris fer et une courte corne spiralée.

Dans les versions russes du Roman d’Alexandre, Bucéphale est presque toujours représenté unicorne. Sur ce manuscrit du XVIIe siècle, le F.XVII.8 de la Bibliothèque Nationale de Russie, à Saint-Petersbourg, il est armé d’une longue corne dorée, et porte au côté une marque en forme de tête de taureau, autre explication de son nom de Bucéphale.

Sur un autre manuscrit russe datant également du début du XVIe siècle, le W A51 de la Chester Beatty Library, à Dublin, la corne de Bucéphale est moins impressionnante.

Il en va de même sur troisième manuscrit russe, aux dessins plus déliés, le F.XV.54, de nouveau à Saint Petersbourg, c’est quand même plus logique qu’à Dublin. Je pourrais continuer avec d’autres manuscrits russes, mais ils finissent par se ressembler tous un peu

Et pour terminer, quelques images en vrac. Beaucoup proviennent des nombreux manuscrits du Roman d’Alexandre qui ne sont pas entièrement numérisés ou qui sont peu illustrés. D’autres agrémentent des textes comme l’Histoire ancienne jusqu’à César, qui ne consacrent que quelques pages, et donc quelques images, au conquérant de l’Inde et de ses merveilles.

J’affirme un peu imprudemment dans mon livre ne pas avoir trouvé, parmi les assez nombreuses tapisseries illustrant l’histoire d’Alexandre, de Bucéphale unicorne. J’avais mal cherché, il y en a au moins une. Dans les collections du Petit Palais, mais elle n’est pas exposée, se trouve une tapisserie quelque peu confuse de la fin du XVe siècle illustrant la guerre entre le jeune Alexandre et le roi Nicolas d’Arménie. Le macédonien y chevauche un Bucéphale armé d’une courte corne noire et recourbée. Sur une tapisserie de la même époque, qui se trouve à Gènes à la Villa del Principe, Bucéphale arbore deux courtes cornes droites et spiralées [1].

Guillaume de la Perrière,
Le théâtre des bons engins, 1539.

[1] Collectif, L’Histoire d’Alexandre dans les tapisseries au XVe siècle, 2014.

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