➕ Le chandelier de Walpurgis

Quelques techniques de chasse à la licorne à la fin du XIVe siècle dans une église flamande et un palais sicilien.

Le chandelier de l’église Sainte Walburge vers 1900.
Rijksdienst voor het Cultureel Erfgoed, Wikimedia Commons

Un impressionnant chandelier gothique en fer forgé, de forme dodécagonale, est suspendu au plafond de l’église Sainte Walburge à Zutphen, aux Pays-Bas. Il a sans doute été installé en 1396, date à laquelle les livres de comptes de l’église indiquent que des lots de cierges destinés à y être installés ont commencé à être régulièrement commandés Cette pièce magnifique est souvent photographiée mais n’a malheureusement guère été étudiée, et les seuls textes un peu conséquents à son sujet que j’ai pu dénicher étaient écrits en hollandais et difficilement accessibles. Du coup, je vais me risquer un peu dans l’interprétation, en espérant ne pas dire trop de bêtises.

Sur les douze côtés de ce lustre, au-dessus des noms des apôtres, de Jésus et de Marie, une frise de fer forgé présente, à la manière d’ombres chinoises, des scènes sylvestres, essentiellement de chasse. Les références chrétiennes n’en sont pas absentes, mais elles n’y sont pas seules et ne sont peut-être pas toujours l’essentiel. Quelques autres chandeliers dodécagonaux similaires ont été conservés ans des églises allemandes; ils présentent des scènes de pèlerinage en Terre Sainte, mais cela ne semble pas être le cas de celui-ci, dont la chasse est le thème principal.

On y compte pas moins de dix licornes. L’une d’entre elles sert de monture à un homme sauvage qui, armé d’un simple tronc d’arbre en guise de lance, affronte un chevalier casqué. Nous reviendrons sur ces sylvains qui, dans les marges des livres d’heures, sont tantôt chasseurs et tantôt amis des licornes.

Il n’est pas facile d’identifier les autres personnages qui courent sur cette frise de ferronnerie, et donc de savoir si les chasseurs de licorne étaient, dans l’esprit de l’artiste, hommes sauvages, chevaliers, ou pèlerins en route pour Jérusalem. Quoi qu’il en soit, les neufs autres licornes sont assez mal barrées. Quatre sont attaquées par des chiens, le veneur soufflant dans son cor mais restant prudemment en retrait. Elles font mine de se défendre mais ne peuvent que succomber sous le poids du nombre. Une bête est cernées, des chiens courant arrivant de la droite et la précipitant vers la lance du chasseur.  Des chasseurs plus subtils, ou mieux informés, sont venus accompagnés et pas moins de quatre autres unicornes semblent lever et tourner la tête avec surprise lorsque, à demi endormies dans le giron d’une jeune vierge, elles sentent la lance du chasseur qui leur perce le flanc. D’autres scènes montrent des biches et sangliers poursuivis par des chiens, des chasseurs lançant des faucons sur le petit gibier, quelques cerfs s’attaquant à des nids de serpents, et même une file de danseurs menés par un joueur de viole qui ancre le décor dans les traditions populaires..

Que dire de ces licornes, et de ce scènes de chasse ? Veneurs et chiens font déjà penser à la chasse mystique, mais la licorne a encore le côté percé par une lance et si la scène à une signification chrétienne, c’est encore celle de la passion. Surtout, au milieu d’autres scènes de vénerie, la chasse à la licorne à l’aide d’une jeune vierge apparaît finalement plus comme une technique de chasse parmi d’autres que comme une allégorie.

J’allais oublier….la bestiole la plus curieuse de ce chandelier n’est pas la licorne mais un mystérieux animal qui n’apparaît pas moins de cinq fois sur la frise.  Ce quadrupède accroupi, à la silhouette de chien, porte au sommet de la tête une corne qui se divise en deux, et dont chacune des extrémités se termine sur une sorte de gland, motif décoratif alors fréquent. Les quelques chercheurs qui se sont intéressés à cet objet ont tous été intrigués par une créature que l’on ne retrouve nulle part dans l’art peint ou sculpté de cette époque. Peut-être s’agissait-il de la marque du talentueux et anonyme ferronnier qui a réalisé cet ouvrage – à moins bien sûr que ce ne soit encore un coup des templiers-cathares-alchimistes, on ne sait jamais.

Broderie, circa 1380.
Londres, Victoria and Albert Museum.

Palazzo Chiaramonte, Palerme, circa 1380. Les deux licornes sont sur le côté gauche.
Photo Tommaso Evola, Flickr.

Plus ou moins à la même date, vers 1380, mais bien loin de là, en Sicile, des artistes dont l’histoire a cette fois retenu les noms, Cecco di Naro, Simone da Corleone et Pellegrino Darena, peignaient le plafond de bois du palais de la famille Chiaramonte, à Palerme. On y retrouve aussi plusieurs chasses à la licorne – trois au moins, mais je n’ai pas vu d’images de la totalité du plafond. Une blanche bête qui se retourne pour faire face aux chiens qui la poursuivaient est visée par un archer. Deux autres, piégées par des jeunes vierges, sont tuées par des chasseurs armés l’un d’une épée, l’autre d’une lance.  En Sicile normande comme en Flandre, le récit de la chasse à la licorne hésitait entre deux techniques bien différentes,  la traque aux chiens courants et la vierge traîtresse.

Plazzo Chiaramonte; Palerme.
Photo Attom, Flickr.

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