Les diables peints ou sculptés ont le plus souvent deux cornes, dessinées à l’image de celles du bouc ou du taureau. Quelques démons n’en ont qu’une, et elle ressemble alors un peu, en plus court cependant, à celle de la licorne. Quand ils en ont trois ou plus, cela se complique.
Venues des satyres et faunes de l’antiquité, les cornes du malin sont habituellement deux, proches de celles du bouc, du taureau ou, comme dans un poème de Ronsard, l’Hymne des daimons, du chamois. Il en va de même de celles des dragons, qui sont aussi serpents, donc plus ou moins démons.
Saint Michel terrassant le démon.
Bibliothèque de Boulogne sur Mer, ms 97, fol 42r.
Jacob de Terrano, Belial, 1461. .
Munich, BSB, cgm 478, fol 97r.
Bible de Ottheinrich, circa 1430.
Munich, BSB, scgm 810(8), fol 305v
Livre d’heures, circa 1480.
BNF, ms latin 1171, fol 56r.
Der Welsche Gast, XVe siècle.
Berlin Staatsbibliothek, ms Hmm 675, fol 59r.
La Vision de Charles le gros. Vincent de Beauvais, Speculum Historiale, XVe siècle.
Chantilly, Musée Condé, ms 722, fol 123r.
Livre d’heures italien, circa 1500.
British Library, Add ms 34294.
Speculum Humanae Salvationis, XVe siècle.
Bibliothèque municipale de Marseille, ms 89, fol 41v.
Plafond peint de l’église Saint-Nicolas à Elburg, aux Pays-Bas.
Photo Groenling, Flickr.
Der Antichrist, Strasbourg, 1482.
Speculum humanæ salvationis, XVe siècle.
BNF, ms lat 9585, fol 46v
Cette corne n’est le plus souvent pas différente lorsqu’elle est unique. Les démons unicornes sont, comme les tricornes, minoritaires mais assez fréquents, surtout dans les foules de démons peuplant les enfers ou assistant au jugement dernier. Rares cependant sont ceux arborant une longue corne de licorne, et plus encore ceux portant des bois de cerf, autre animal christique.
Maitre E.S., Ars moriendi, circa 1460.
Ars Moriendi, circa 1470
Robert Blondel, Le livre des douze périls d’enfer, circa 1480.
BNF, ms fr 449, fol 13r.
Robert Blondel, Le livre des douze périls d’enfer, circa 1480.
BNF, ms fr 449, fol 13r.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, circa 1480.
Bibliothèque de Mâcon, ms 01, fol 289r.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, circa 1480.
Bibliothèque de Mâcon, ms 01, fol 289r.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, circa 1480.
Bibliothèque de Mâcon, ms 01, fol 260r.
Saint Augustin, La Cité de Dieu, circa 1480.
Bibliothèque de Mâcon, ms 01, fol 260r.
Conrad Bote, Cronecken der Sassen,, Mainz, 1492.
Ni l’aspect, ni le sens de beaucoup de cornes uniques ne sont en effet différents de celles des cornes doubles. Elles illustrent le vice, sauvagerie, la « mauvaiseté » comme l’on disait alors, mais surtout la force physique et l’animalité des démons, qui ont, greffés sur leurs silhouettes humaines, bien des caractéristiques animales.
Les démons sont souvent représentés glissant de mauvais conseils à l’oreille de leur victime. Le Miroir de la vie humaine, 1482. BNF, Livres rares R.s R.515
Sebastian Brant, Esopi appologi sive mythologi, 1501.
Bibliothèque de l’Arsenal, Réserve 4-BL-4182
Vincent de Beauvais, Miroir Historial, circa 1340.
Leiden, UB, ms VGG F 3 A, fol 345r.
Job tourmenté par les démons et moqué par sa femme, circa 1530.
Los Angeles, Paul Getty Museum, ms Ludwig IX 19, fol 155r.
Lorsque la corne est incurvée vers l’avant et vers le bas, ce qui n’est jamais le cas dans la nature, comme si après s’être projetée vers le ciel elle allait retomber sur la terre, les créatures n’en ont l’air que plus chthoniennes et infernales. Albrecht Dürer a utilisé ce procédé sur des démons unicornes, mais aussi sur de plus classiques licornes, comme dans l’enlèvement de Proserpine, pour leur donner un aspect maléfique.
Albrecht Dürer, Le chevalier, la mort, le diable, 1513.
Heinrich Aldegrever, L’homme riche arrive en enfer, 1564.
Albrecht Dürer, Le rapt de Proserpine par Pluton, 1516.
Albrecht Dürer, Le Christ aux Limbes, 1512.
Albrecht Dürer, Le monstre marin, circa 1510.
Le châtiment des orgueilleux dans Le grand kalendrier et compost des bergiers, 1503.
Parfois pourtant, la corne unique des démons est droite et spiralée comme celle de la licorne. Pour les artistes qui illustraient les manuscrits ou peignaient les murs des églises, la licorne était un animal exotique comme un autre, et il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils se soient inspirés, pour représenter d’autres cornes uniques du seul modèle qu’ils en avaient.
Miniature d’Evrard d’Espinques dans un manuscrit de la Cité de Dieu, de Saint Augustin, vers 1470.
BNF, ms fr 22.
L’un de ces démons a des sabots fendus, l’autre des serres, mais tous deux ont une corne spiralée. Les Mérancolies de Jehan Dupin sur les conditions de ce monde, XVe siècle.
Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 5099, fol 20v.
Les tentations qui guettent le voyageur. Les Mérancolies de Jehan Dupin sur les conditions de ce monde, XVe siècle.
Paris, Bibliothèque de l’Arsenal, ms 5099, fol 72v.
Bien sûr, si la corne de la licorne peut être un peu obscène, celle d’un diable unicorne l’est encore plus.
Livre d’heures de Simon de Varie, circa 1455.
La Haye, Bibliothèque royale, ms 74 G 37A, fol 6v.
Même tournée en vis, la corne des créatures du mal n’est cependant pas tout à fait la longue et blanche ivoire de l’amie des jeunes vierges. Elle est noire, rouge ou verte plus souvent que blanche et, surtout, relativement courte, comme si longueur et clarté donnaient à la défense de la licorne sinon une pureté, du moins une élégance qui serait déplacée sur le front d’un démon.
Bible moralisée, XVe siècle.
BNF, ms fr 166, fol 112v.
Bible moralisée, XVe siècle.
BNF, ms fr 166, fol 109v.
Bible moralisée, XVe siècle.
BNF, ms fr 166, fol 112v.
Un démon combattant utilise ses griffes, ou tient en main (ou patte) une pique, une faux ou une fourche. Si les démons bipèdes ont des cornes relativement courtes, et placées plus souvent sur le sommet du crâne que sur le front, c’est donc parce que, contrairement à la licorne, ils ne l’utilisaient pas comme arme. Du coup, il n’est pas toujours évident de distinguer, sur le chef des créatures du malin, une corne unique d’une crête, voire d’une déformation crânienne, elles aussi signe d’animalité diabolique.
Sur cette célèbre gravure de Martin Schöngauer, représentant la tentation de Saint Antoine, on ne sait pas bien si le démon qui brandit un os a une corne ou une crète.
Bible moralisée, XVe siècle.
BNF, ms fr 166, fol 103r.
Rudolf von Ems, Weltchronik, circa 1400.
Los Angeles, Paul Getty Museum, ms 33, fol 208r.
Saint Jean essaie d’écrire son évangile tranquille, et un petit con de démon licorne punk qui ne doute de rien s’amuse à vider son encrier dans la mer…
Biblioteca Nacional de España, cod vitr 24/2, fol 45v
La mort du Grand Turc, Guillaume Caoursin, Gestorum Rhodie obsidionis, , circa 1480.
BNF, ms latin 6067, fol 89r.
Jacobus de Teramo, Der Teutsch Belial, Augsburg, 1490.
L’homme à deux cornes à larrière plan est Moïse, qui ici conseille Salomon.
Les deux oreilles et la corne du démon belial sont aussi trois cornes.
Jacobus de Teramo, Hie hebt sich an das buoch Belial genant von des gerichts ordnung, Augsburg, 1473
Jacobus de Terrano, Consolatio peccatorum, vulgo Belial, 1551
Sur les cranes de ces démons, on ne sait plus bien ce qui est corne, crête ou oreille.
Hans Vintler, Das buoch der tugend, 1486.
Boetius Adam Bolswert, La tentation du Christ, circa 1600. Satan arbore une crète qui est presque une corne.
Si la majorité des créatures du malin sont bicornes, les unicornes, et même les tricornes, ne sont pas rares. Le Pèlerinage de la vie humaine et le Pèlerinage de l’âme de Guillaume de Diguleville ont certes moins bien vieilli que la Divine Comédie, mais ils furent presque aussi populaire et l’on en a de nombreux manuscrits enluminés. Sur l’un d’entre eux, le français 376 de la Bibliothèque Nationale, copié vers 1350, l’enlumineur a fait le choix, peut-être pour donner à son manuscrit un cachet particulier, de représenter la plupart de ses démons, et ils sont nombreux, avec une corne unique, brune et spiralée.
Le châtiment des deshonnestes gens. Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 124v
Le châtiment des fourbes, lâches et peureux.
Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 124r.
Le châtiment de la larronnaille.
Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 122v.
Un démon « moult malotru » arborant une corne noire mais spiralée comme celle de la licorne.
Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 109v
Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 108r.
Guillaume de Diguleville, Le pèlerinage de l’âme, XIVe siècle.
BNF, ms fr 376, fol 89r.
Vincent de Beauvais, Speculum Historiale, XIVe siècle.
BNF, ms NAF 15942, fol 25v.
Un autre manuscrit du Pélerinage de l’âme où nombre démons sont unicornes.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 305, fol 37v.
Un démon à la corne en scie, comme nombre de licornes médiévales. Guillaume de Diguleville, Le pélerinage de l’âme,, 1435. Oxford, Bodleian Library, ms Douce 305, fol 44vv.
Guillaume de Diguleville, Le pélerinage de l’âme,, 1435. Oxford, Bodleian Library, ms Douce 305, fol 44r.
Le Livre de la vigne Notre Seigneur est un texte curieux, qui décrit de manière détaillée mais un peu désordonnée les événements précédant l’Apocalypse[1]. L’unique manuscrit conservé, copié vers 1450 et magnifiquement illustré, se trouve à Oxford, à la Bodléienne. La majorité des démons y sont armés de deux corne, mais ceux à une corne ne sont pas rares et leur corne, souvent de couleur verte, y est toujours spiralée.
Lucifer, au centre, attend le Jugement dernier. Le Livre de la vigne nostre Seigneur, XVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 67v.
Pour ce que avons trépassés De Dieu les saints commandements
En cette fournaise entassés Sommes en horribles tourments…
Le livre de la vigne Nostre Seigneur, circa 1460.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 98r.
Le Lethe et le Cocyte, deux fleuves des enfers grecs, se retrouvent dans ce texte chrétien. Le Livre de la vigne nostre Seigneur, XVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 88r.
La bouche des enfers.Le Livre de la vigne nostre Seigneur, XVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 87r.
Lucifer, au centre, attend le Jugement dernier. Le Livre de la vigne nostre Seigneur, XVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 77v.
Une représentation assez inhabituelle de la bête de l’Apocalypse, avec ses sept têtes et ses dix cornes. Le Livre de la vigne nostre Seigneur, XVe siècle.
Oxford, Bodleian Library, ms Douce 134, fol 98r.
Au XVe siècle, sur un très beau manuscrit des Miracles de Notre Dame décoré de miniatures flamandes en grisaille, démons et sorciers peuvent avoir une, deux ou trois cornes. Les démons unicornes, mais aussi les tricornes et même quelques bicornes, surtout lorsqu’ils portent leurs cornes l’une derrière l’autre, semblent armés de cornes de licornes, longues, droites, blanches et spiralées.
Vie et miracles de Notre Dame, fin du XVe siècle. Remarquez aussi les cornes de Moïse, à gauche. BNF, ms fr 9198, fol 47r.
Vie et miracles de Notre Dame, fin du XVe siècle. BNF, ms fr 9198, fol 51r.
Vie et miracles de Notre Dame, fin du XVe siècle. BNF, ms fr 9198, fol 96r.
Une édition de 1481 de la Divine Comédie de Dante est illustrée de gravures peut-être copiées sur des dessins de Botticelli. On y entr’aperçoit, perdus dans la foule infernale, quelques diables unicornes. Quelques années plus tard, un riche italien, sans doute un Medicis, commanda à Botticelli des dessins pour un luxueux exemplaire manuscrit, resté inachevé ; seuls quelques dessins ont été encré et un seul a été colorié. Je n’y ai pas vu de démon unicorne, mais je n’ai pas consulté tous les feuillets, qui sont éparpillés entre plusieurs bibliothèques, et les dessins sont si foisonnants que j’ai fort bien pu passer à côté. La plupart des démons de cet enfer sont très classiquement armés de deux courtes cornes incurvées, parfois annelées comme celles d’un bouc, parfois lisses comme celles d’un taureau. Quelques diables cependant, qui semblent avoir un rang hiérarchique relativement élevé, sont tricornes. Ils portent tout à la fois deux cornes latérales courbes et lisses comme celles des taureaux et une corne centrale de licorne bien droite et spiralée.
Dessin de Sandro Botticelli illustrant le chant XIX de l’enfer de la Divine Comédie de Dante, circa 1485.
Berlin, Staatliche Museen, Kupferstichkabinett.
Job éprouvé par le diable.
Bibliothèque municipale de Rouen, ms 1139, fol 134r.
Matfre Ermengaux, Breviari d’Amor, XIVe siècle.
British Library, Yates Thompson ms 31, fol 44r.
Dans les univers fantastiques d’aujourd’hui, la corne unique de certaines créatures du mal n’a pas grand-chose à voir avec la longue corne de la licorne. Sur le front des diables et des démons, et même sur celui des quelques mauvaises licornes, elle est encore noire ou brune, courte, épaisse et recourbée comme une corne de bouc.
[1] Sur tous ces manuscrits, lire l’étude de Dagmar Eichberger, The Visions of Tondal and the depictions of hell and purgatory in XVth century manuscripts, 1992
Momotaro, Umi no Shinpei, 1945. Dans ce dessin animé de propagande japonais, les américains sont représentés comme des démons unicornes.