➕ Les visions d’Anne-Catherine Emmerich

La religieuse mystique Anne-Catherine Emmerich a vu des licornes, auprès de la vierge, dans l’Arche de Noé, dans les ruines de Babylone et dans de hautes montagnes.

Au tout début du XIXe siècle, la merveilleuse licorne du Moyen Âge et de la Renaissance ne survit guère que dans des milieux confinés, à l’écart du monde moderne, les textes ésotériques ou les visions mystiques. Celles de la chanoinesse augustinienne Anne-Catherine Emmerich (1774-1824) ont été soigneusement notées et publiées, et sans doute quelque peu enjolivées, par le poète romantique allemand Clemens Brentano. Il eut été étonnant de ne pas croiser quelques licornes dans plus de quatre-mille pages de visions souvent bien allumées, mais leur intérêt est dans ce qu’elles semblent faire une étrange synthèse des légendes médiévales et de la connaissance moderne. Voici, parmi d’autres, trois extraits[1] :

Les bas-reliefs de Persépolis,
Carsten Niebuhr, Voyages en Arabie et en d’autres pays circomvoisins, 1776.

La vision du 17 décembre 1819 nous transporte en Chaldée, parmi les licornes sculptées sur les murs de Babylone, avant de nous ramener dans le jardin clos des chasses mystiques à la licorne :

Sur l’autre côté de la colonne était une figure d’animal avec une corne : c’était une licorne, et elle s’appelait Asphas ou Aspax. Elle combattait avec sa corne contre une méchante bête qui se trouvait sur le troisième côté. Celle-ci avait une tête de hibou avec un bec crochu, quatre pattes armées de griffes, deux ailes et une queue qui se terminait comme celle d’un scorpion. J’ai oublié son nom : d’ailleurs je ne retiens pas facilement ces noms étrangers. A l’angle de la colonne, au-dessus des deux bêtes qui combattaient, était une statue qui devait représenter la mère de tous les dieux. Son nom était comme Aloa ou Aloas ; on l’appelait aussi une grange pleine de blé, et il sortait de son corps une gerbe  d’épis. Sa tête était courbée en avant, car elle portait sur le cou un vase où il y avait du vin, ou dans lequel le vin devait venir. Ils avaient une doctrine qui disait : le blé doit devenir du pain, le raisin doit devenir du vin pour nourrir toutes choses.

Mais ce qui m’émerveilla le plus dans ce temple, ce fut un autel d’airain avec un petit jardin rond, recouvert d’un treillis d’or, et au-dessus duquel on voyait la figure d’une vierge. Au milieu se trouvait une fontaine composée de plusieurs bassins scellés l’un sur l’autre, et devant elle un cep de vigne vert avec un beau raisin rouge qui entrait dans un pressoir…

Passons rapidement sur la vision du 18 novembre 1820, bien mystique et donc difficilement compréhensible :

Je vis alors sortir du nombril d’Abraham un sarment de vigne gros et tortueux, sous lequel se tenait un méchant oiseau de proie, la tête redressée et le bec ouvert : c’était comme un aigle ou un hibou. Il semblait vouloir dévorer le fruit du cep de vigne. Au-dessus de cet oiseau était une licorne bondissante, qui dirigeait sa corne contre le cou de l’oiseau, comme pour défendre le cep de vigne. Au-dessus de la licorne, autour du cep, je vis trois cœurs, puis à droite, une branche de la vigne portant une grosse grappe de raisin, puis au haut du cep, un visage humain avec une couronne au-dessus de laquelle était un globe surmonté d’une croix.

La plus intéressante est la vision du 4 novembre 1823, peu avant la mort d’Anne-Catherine, dans laquelle on trouve tout à la fois les licornes de l’Arche de Noé, la purification des eaux, la jeune vierge, la corne aux propriétés merveilleuses, l’Incarnation et même les licornes fossiles, et peut-être déjà les hautes vallées du Tibet, même si l’Himalaya n’est pas trop un coin à prophètes, du moins chrétiens :

Les mammouths, ces animaux gigantesques, étaient connus avant le déluge : il en entra dans l’arche un couple très jeune. Ils étaient les derniers et se tenaient tout près de l’entrée. Aux époques de Nemrod, de Djemchid et de Sémiramis, j’en vis encore plusieurs : mais on leur faisait constamment la guerre et ils ont disparu. Les licornes n’ont pas disparu. Je connais une rondelle de la corne d’un de ces animaux qui est pour les bêtes malades ce que sont les objets consacrés et bénits pour les hommes.

Matthäus Merian, Icones biblicæ, 1630.
Je n’ai pas trouvé de représentation de l’Arche de Noé avec les mammouths, alors je vous mets celle-ci avec les éléphants de dos, et presque derniers. Remarquez le confortable château dans lequel vivaient jusque-là le patriarche et sa nombreuse famille, et les inconscients qui font la fête, sur la gauche.

J’ai souvent vu qu’il y a encore des licornes : mais elles vivent très éloignées des hommes dans les hautes vallées où je vois à l’horizon la montagne des prophètes. Elles sont à peu près de la taille d’un poulain, elles ont les jambes fines, peuvent gravir très haut et se tenir sur un petit espace en rassemblant leurs pieds. Elles rejettent leurs sabots comme des écorces ou des souliers, car j’ai vu de ces sabots semés par terre çà et là. Elles ont de longs poils tirant sur le jaune. Ces animaux deviennent très vieux. Ils ont sur le front leur unique corne : je vis qu’elle était longue d’une aune et recourbée en arrière par en haut. Ils déposent leur corne à certaines époques : elle est recherchée et gardée comme quelque chose de très précieux. Les licornes sont très craintives et on ne peut pas en approcher. Toutefois elles vivent en paix entre elles et avec les autres bêtes sauvages. Les mâles et les femelles vont à part et ne se réunissent qu’à certains temps. Elles sont chastes et n’ont pas beaucoup de petits. Elles sont très difficiles à voir et à prendre, car d’autres animaux vivent en avant des lieux qu’elles habitent. J’ai vu qu’elles ont un certain empire sur les bêtes les plus venimeuses et les plus horribles auxquelles elles inspirent un respect particulier. Les serpents et d’autres affreux animaux se roulent sur eux-mêmes et se mettent humblement sur le dos quand une licorne s’approche d’eux et souffle sur eux.

Non par la force mais par la vertu. Gravure d’Antonio Tempesta, circa 1600.

J’ai vu qu’elles ont une espèce d’alliance avec les animaux les plus dangereux et qu’ils se protègent mutuellement. Quand un danger menace la licorne, ces derniers répandent partout la frayeur et la licorne se retire derrière eux : mais elle les protège à son tour centre leurs ennemis, car tous se retirent effrayés devant la force secrète et merveilleuse de la licorne quand elle s’approche et souffle sur eux. Ce doit être un des plus purs parmi les animaux, car tous les autres lui témoignent un grand respect. Là où elle paît, là où elle va boire, tout ce qui est venimeux se retire. Il me semble qu’on voit en elle un symbole de sainteté quand on dit que la licorne ne pose sa tête que sur le sein d’une vierge pure. Cela signifie que la chair n’est sortie sainte et pure que du sein de la sainte Vierge Marie ; que la chair abâtardie est sortie d’elle régénérée, ou qu’en elle, pour la première fois, la chair est devenue pure, qu’en elle l’indomptable a été vaincu, qu’elle a dompté tout ce qui était sauvage ; qu’en elle l’humanité indomptée a été purifiée et vaincue ou que dans son sein le poison s’est retiré de la terre. J’ai vu ces animaux dans le paradis, mais beaucoup plus beaux. J’ai vu une fois de ces licornes attelées au char d’Élie lors de son apparition à un homme dont il est question dans l’Ancien Testament. J’ai vu les licornes au bord de torrents sauvages et impétueux, dans des vallées profondes, étroites, déchirées, où elles courent rapidement. J’ai vu aussi des endroits éloignés où beaucoup d’ossements de ces animaux gisaient entassés au bord de l’eau et sous la terre.

Livre d’heures de la famille Ango, 1514.
Des angelots jouent avec une licorne blanche, la Vierge Marie en chevauche une autre.
BNF, ms NAL 392, fol 46r

[1] Tous les passages des visions proviennent de la traduction par l’abbé de Cazalès, 1875.

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