➕ Collectionneurs de licornes

Qui sont les collectionneurs de petites licornes, et pourquoi sont-ils si nombreux ?

Dans mon petit appartement parisien vivent une dizaine de licornes. Deux tapisseries, trois ou quatre peluches, quelques figurines dont une ivoire, des cadeaux sans doute trop peu nombreux pour mériter le nom de collection. Les collectionneurs de licornes, jouets, peluches, figures de verre ou de porcelaine, sont pourtant nombreux, et tout particulièrement en Russie et aux États-Unis. Je conseille à ceux que cela amuse de consulter le blog impressionnant d’une collectionneuse russe.

On en croise quelques-uns dans mon livre. S’ils n’étaient pas tous riches et puissants comme l’empereur Rodolphe II de Habsbourg, ils n’en appartenaient pas moins aux classes aisées et cultivées, nobles, savants ou érudits. Si les licornes de leurs cabinets n’étaient que défenses de narval ou cornes d’antilope, voire simples stalagtites, du moins étaient-elles des productions de la nature et non des images en deux ou trois dimensions comme la plupart de celles d’aujourd’hui. Surtout, ces licornes n’étaient qu’une merveille parmi d’autres, certes l’une des plus précieuses, dans leurs collections de curiosités.

Il en est encore ainsi de la figurine de licorne dans La Ménagerie de verre de Tennessee Williams ; c’est une licorne au premier rang, mais une licorne parmi les animaux, comme dans les représentations médiévales de l’Arche de Noé.

Aujourd’hui, les collectionneurs sont plutôt issus des classes moyennes. Beaucoup ne s’intéressent qu’aux licornes, et sous une seule forme, les peluches, ou les statuettes de verre, de plomb, ou de porcelaine. Des figurines sont même parfois créées à leur intention, avec tirages limités, exemplaires numérotés, certificat d’authenticité, tout un business pervers et un peu bizarre. Deux porcelainiers, un espagnol, Lladro, et un britannique, Princeton Gallery, sont les spécialistes européens de ces objets, bon marché pour le premier, très chers chez le second, toujours décrits sur leurs sites web comme oniriques, mystiques, magiques, merveilleux…. Il en va différemment des peluches, les collectionneurs adultes achetant, selon un schéma plus classique, des objets peoduits en grande série et destinés avant tout aux enfants.

Les figurines, pas seulement de licornes, sont aujourd’hui les objets les plus collectionnés car elles peuvent être présentées dans des univers miniatures. Ce besoin de mise en scène explique que l’on trouve parmi ces statuettes, parfois appelées à tort miniatures, des licornes accompagnées de fées, des licornes ailées, mais aussi des licornes indiscutablement mâles ou femelles et, qui n’apparaissent dans aucune tradition, des faons de licorne. Comme sur les miniatures médiévales, la licorne, imaginaire mais peu fantastique, fait entrer le merveilleux sans rompre avec le réalisme, ce que ne permettrait pas, par exemple, le dragon, très peu collectionné.

La collection de licornes en peluche de Susan Fichtelberg exposée dans la bibliothèque publique de Woodbridge, aux Etats-Unis.

Le collectionneur est un grand enfant, comme Laura dans La Ménagerie de verre :

Laura : Des petits bibelots, des objets d’ornement, pour la plupart. Ce sont presque tous des petits animaux de verre, les plus petits animaux en verre du monde. Maman appelle ça ma « Ménagerie de verre ». En voilà un, par exemple, si cela vous amuse de le regarder. Celui-ci est un des plus vieux, il a près de treize ans.
(Il tend la main.) 
Oh ! attention… un souffle ! peut le briser.
Jim : Alors, il vaut mieux que je ne le touche pas. Je suis un peu empoté.
Laura : Allez-y, je vous fais confiance. (Elle le place dans le creux de sa main.) Voilà. Voyez comme vous le tenez délicatement. Tendez-le à la lumière, il adore la lumière. Vous verrez comme elle brille au travers.
Jim : C’est vrai qu’il brille.
Laura : Je ne devrais pas avoir de préférence, mais c’est mon favori.
Jim : Qu’est-ce que ça représente ?
Laura : Vous n’avez pas remarqué la corne qu’il porte au front ?
Jim : Oh, une licorne ?
Laura : Hm… hm !
Jim : Des licornes, je croyais que la race en était éteinte dans notre monde moderne.
Laura : Elle l’est.
Jim : Pauvre petit gars, il doit s’ennuyer tout seul.
Laura, souriante : S’il s’ennuie, il ne le montre pas. Il resté sur une étagère avec d’autres chevaux qui n’ont pas de cornes, et ils ont l’air de s’entendre tous très bien. 

Deux images bien différentes du collectionneur de licorne, ou de la collectionneuse, car ce sont surtout des femmes – ce n’est pas un cliché sexiste, une enquête statistique le confirme – apparaissent dans des séries télévisées américaines.
Dans Buffy contre les vampires, Harmony Kendall est un vampire, certes, mais aussi une vraie blonde, jolie, naïve, un peu ridicule, et qui aime les licornes. Ayant flashé sur une figurine si mignonne, avec sa corne brillante, dans la vitrine d’une boutique de bidules New Age de Los Angeles, elle envoie ses acolytes la voler, comme si des vampires n’avaient rien de plus important à faire.

30 Rock


30 Rock raconte la vie d’un studio de télévision dont le patron est, pour quelques temps, Kathy Geiss, que l’on devine sans la moindre vie sociale. La boss passe ses journées à jouer avec les licornes étalées sur son bureau, et à envoyer à tous les salariés de l’entreprise des mails avec des photos de chats. Kathy n’est pas mignonne comme Harmony, et son côté enfantin relève plus de la pathologie que de la naïveté, mais c’est aussi une caricature féminine.

Raiponde


Certes, dans le dessin animé Raiponce, c’est le patibulaire Vladimir qui collectionne les petites licornes, mais c’est justement parce qu’il est un grand enfant, avec un rêve et un cœur d’or…
À ces exemples inspirés de modèles réels, il faudrait sans doute ajouter le collectionneur au second degré, qui sort du kitsch « par le haut », dans une logique de distinction un peu bobo, et  le plus souvent consciente. Celui-ci n’a pas encore son film ou sa série télé, mais cela ne saurait sans doute tarder.

Comme beaucoup d’objets à collectionner, les licornes sont de petite voire de très petite taille. Il y a quelques exceptions, comme la bête en cristal de Baccarat de quatorze kilos qui fut volée au Printemps-Haussmann en juillet 2019. Les voleurs n’avaient pas l’habileté des vampires de Buffy, et l’ont malheureusement brisée dans leur fuite avant d’être rattrapés.

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