đź“– Licornes bibliques

Le jeune David tuant Ă  mains nues un lion et un ours, auxquels l’enlumineur a ajoutĂ© une licorne pour faire bon poids.
British Library, Add ms 42131, fol 95r.

‘autres images de licornes illustrant les quelques passages de la Vulgate oĂą l’animal est citĂ©, notamment Job et les Psaumes, et d’autres oĂą elle ne l’est mĂŞme pas, comme le songe de Nabuchodonosor dans le livre de Daniel.

Bien qu’aucun quadrupède n’y soit nommĂ©ment citĂ©, c’est bien sĂ»r dans les miniatures et gravures illustrant la Genèse que les licornes, seules ou en couple, sont les plus nombreuses. Plusieurs chapitres de mon livre, et plusieurs articles de ce blog sont donc consacrĂ©s Ă  la CrĂ©ation des animaux, Ă  la vie calme puis tumultueuse du jardin d’Eden, et Ă  l’Arche de NoĂ©. J’ai Ă©galement parlĂ© dans un article Ă  part du bouc unicorne du livre de Daniel, qui est un bouc et donc pas vraiment une licorne.

La bible hébraïque connaissait le reem, sans doute un bœuf sauvage ou un buffle. La version grecque des Septante en avait fait un monoceros/ Dans la Vulgate latine il était devenu tantôt rhinoceros, tantôt unicornis, mais tous deux étaient plus ou moins notre licorne.

Sur le psautier carolingien dit de Stuttgart, datĂ© des annĂ©es 820, apparaissent dĂ©jĂ  deux licornes Ă  la silhouette massive, l’une illustrant le psaume XXIII, Salva me ab ore leonis, et a cornibus unicornium (libère moi de la gueule du lion et des cornes des licornes), l’autre le psaume XCI, Et exaltabitur sicut unicornis cornu meum (ma corne sera exaltĂ©e comme celle de la licorne).

Les illustrations du psautier d’Utrecht et de sa copie le psautier Harley, tous deux du XIe siècle, reprennent dans le moindre détail les textes de certains psaumes. Deux licornes y apparaissent aux psaume XXI, Libère-moi de la gueule du lion et des cornes de la licorne, et XXVIII, L’Éternel brise les cèdres du Liban, Il les fait sauter comme les jeunes taureaux et les faons des licornes. Sur la première image, en bas à droite, des lions et une licorne attaquent deux hommes armés de faux qui ont visiblement bien besoin d’un coup de main de l’Éternel. Sur la deuxième, une licorne brise un cèdre du Liban, mais la scène est truquée, puisqu’on voit les anges qui soufflent en arrière-plan.

On retrouve les mêmes compositions, avec quelques couleurs en plus, sur des psautiers du XIIe siècle.

Dans le livre de Job, au chapitre XXIXX, on trouve qu’un rhinoceros :
« Numquid volet rhinoceros servire tibi, aut morabitur ad praesepe tuum?
Numquid alligabis rhinocerota ad arandum loro tuo, aut confringet glebas vallium post te?
Numquid fiduciam habebis in magna fortitudine ejus, et derelinques ei labores tuos? »


Tout au long du Moyen Âge, les érudits, suivant en cela Saint Grégoire dans ses commentaires sur Job écrits à la fin du VIe siècle, voient dans ce puissant rhinoceros le même animal que la licorne qui se laisse attendrir par une jeune vierge. Les artistes donnant à la bête une silhouette plus proche de notre licorne que du rhinoceros, cela nous vaut dans les bibles enluminées les rares occurences iconographiques de licornes de labour.

Dans les premières bibles en langue vulgaire, ce rhinocĂ©ros fut d’ailleurs le plus souvent traduit par licorne, comme dans la Bible catholique de Louvain, en 1560 : « La licorne voudra elle te servir, ou demeurera-t-elle Ă  ta crèche ? Pourras-tu lier la licorne de ta courroye pour labourer ? ou rompra-t-elle les mottes de terre des vallĂ©es après toi ? Auras-tu fiance en sa grand’force, lui commettras-tu tes labeurs ?».

Dans une bible d’aujourd’hui, Job XXXIX 9-10 est devenu, ce qui est sans doute plus proche du sens originel : « Le buffle se mettra-t-il Ă  ton service ? Passera-t-il la nuit dans ton Ă©table ? Labourera-t-il tes sillons ? Rompra-t-il les mottes de terre après toi ? Auras-tu confiance en lui malgrĂ© sa force prodigieuse ? Lui abandonneras-tu le fruit de tes travaux ? Â».

Voici, dans une traduction du XVIIe siècle, ce que Saint Grégoire écrit du rhinocéros, devenu licorne, dans ses Moralia in Job, un texte souvent recopié et commenté :

Comme cette mystĂ©rieuse licorne, après avoir reçu la pâture de la prĂ©dication, doit en faire voir les fruits par ses actions, l’Écriture dit fort bien ensuite « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer. Ces courroies de l’Église sont ses commandements et sa discipline, et labourer n’est autre chose que fendre la terre des cĹ“urs comme par le fer de la prĂ©dication. Ainsi cette licorne, autrefois si fière et si indomptable, est maintenant liĂ©e des courroies de la foi, et se laisse mener de l’étable Ă  la charrue pour labourer, parce que plusieurs Ă©tant convertis, s’efforcent eux-mĂŞmes de faire connaĂ®tre aux autres cette mĂŞme foi dont ils ont Ă©tĂ© repus. L’on sait avec quelle cruautĂ© les princes de la terre ont autrefois persĂ©cutĂ© l’Église de Dieu, et l’on voit avec quelle humilitĂ© ils lui sont maintenant soumis par la vertu de sa grâce. Or cette licorne n’a pas simplement Ă©tĂ© liĂ©e, mais elle l’a Ă©tĂ© pour labourer: parce que celui qui est attachĂ© dans l’Église par les courroies de la discipline , non seulement s’abstient du pĂ©chĂ©, mais s’exerce mĂŞme dans la prĂ©dication pour y attirer les autres. Quand donc nous voyons que les prince et les conducteurs des peuples viennent eux-mĂŞmes Ă  craindre Dieu dans leurs actions, ne peut-on pas dire qu’ils sont comme liĂ©s des saintes cour­roies de l’Église? Quand aussi ils ne cessent point de prĂŞcher par leurs lois sacrĂ©es cette mĂŞme foi qu’ils avaient autrefois si fortement combattue, n’est-ce pas comme tirer avec un continuel effort la charrue de la foi ? Je Prends plaisir Ă  considĂ©rer cette licorne, c’est Ă  dire le Prince de la terre, liĂ© des courroies de la foi, qui porte comme une corne redoutable sur le front, par la puissance du siècle qui rĂ©side en sa personne, et qui soutient le joug de l’Évangile par l’amour de Dieu. Cette fière licorne serait Ă  craindre, si elle n’était point liĂ©e. Car elle a une corne, mais elle est liĂ©e. Les humbles trouvent dans ces saintes cour­roies ce qu’ils doivent aimer et les superbes dans cette corne redoutable ce qu’ils doivent craindre. Ce grand prince Ă©tant liĂ© de ces courroies spirituelles conserve soigneusement la douceur et la piĂ©tĂ© mais Ă©tant armĂ© de cette corne de gloire et de grandeur terrestre, il exerce son autoritĂ© et sa puis­sance. Souvent quand on le provoque Ă  la colère et Ă  la vengeance, il est retenu par le sentiment de la crainte de Dieu. Quelquefois en offensant sa puissance souveraine, on l’anime de fureur, mais faisant aussitĂ´t rĂ©flexion sur le juge qui est Ă©ternel, sa corne se trouve liĂ©e par cette pensĂ©e, de sorte qu’il s’adoucit et qu’il s’humilie. Il me souvient d’avoir vu moi-mĂŞme assez souvent que lorsque cette puissante licorne Ă©tait toute prĂŞte Ă  donner de furieux coups, et qu’ayant dĂ©jĂ  Ă©levĂ© cette corne terrible, elle menaçait d’une manière redoutable les moindres bĂŞtes, c’est Ă  dire ses sujets, d’exil, de mort, et d’autres semblables punitions, ce pieux prince faisant aussitĂ´t le signe de la croix sur son front, Ă©teignait en un moment dans son âme cet embrasement de fureur, que se tournant vers Dieu, il se dĂ©pouillait de toute colère, et que comme il se sentait impuissant d’accomplir tout ce qu’il avait rĂ©solu, il reconnaissait bien qu’il Ă©tait liĂ©. Mais il ne se contente pas de dompter soi-mĂŞme sa propre colère, il s’efforce encore d’insinuer dans les cĹ“urs de ses sujets tout ce qu’il y a de bien et de juste, et veut faire voir lui-mĂŞme par l’exemple de son humilitĂ© propre, que tout le monde doit avoir imprimĂ©e dans le fond de l’âme une sincère vĂ©nĂ©ration pour l’Église sainte. Dieu dit donc Ă  Job: « Lierez-vous la licorne avec vos courroies pour la faire labourer? Â» comme s’il lui disait en termes plus clairs : Croyez-vous pouvoir rĂ©duire les grands du monde qui se glorifient dans leur folle vanitĂ©, au travail de la prĂ©dication et les attacherez-vous des liens de la discipline? Il faut ajouter, comme moi qui l’ai fait quand je l’ai voulu, et qui de ceux que j’ai autrefois souffert si longtemps pour persĂ©cuteurs et pour ennemis, en ai fait depuis fait des dĂ©fenseurs de ma foi.

— Les morales de Saint Grégoire Pape sur le livre de Job, 1669

On ne croise nulle licorne dans le livre de Daniel, qui dĂ©crit la captivitĂ© du peuple juif Ă  Babylone. Pourtant, la licorne est devenu classiquement l’un des animaux reprĂ©sentĂ©s dans la scène du songe prophĂ©tique de Nabuchodonosor, qui rĂŞve d’un arbre reliant la terre au ciel, sous l’ombre duquel se reposent les bĂŞtes et sur les branches duquel les oiseaux font leur nid. Plus rarement, elle apparait aussi lorsque les choses tournent mal pour le roi de Babylone, qui perd la raison et vit parmi les animaux, parmi lesquels le texte biblique ne cite que les bĹ“ufs.

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