➕ Le conte du papegaulx

Qui contient les premieres aventures qui avindrent au bon roi Artus.

Le conte du papegau est un long roman arthurien tardif et un peu ironique, dont il n’existe qu’un seul manuscrit, le français 2154 de la Bibliothèque nationale, malheureusement non enluminé alors que certains épisodes auraient pu donner lieu à de jolis dessins.

Papegau désigne, en ancien français, notre perroquet, et le roman est ainsi nommé car le jeune Arthur, qui n’est pas encore Roi, s’y promène avec sur l’épaule un papegau couard, qui parfois fait passer des messages à ses chevaliers et à sa bien-aimée, la Dame aux cheveux blonds. Après bien des aventures, le prince décide de rentrer dans son royaume par la mer, mais échoue sur une île où il fait la connaissance d’un nain et de son fils, le géant sans nom, qu’une licorne sauvage a recueillis et nourris de son lait. Il faut dire que la bête, qui était « aussi grande comme ung grand cheval et avoit une corne enmy le front aussi tranchant comme nul rasoir du monde », « avoit grans mamelles, XIIII, dont la maindre estoit aussi grant  comme la mamelle d’une vasche[4] ». C’est d’ailleurs parce qu’il a tété, tout petit, du lait de licorne, « meilleur lait et le plus doulx que oncques eusse mengé », que le fils du nain est devenu géant. Tout le monde s’entend plutôt bien, et la compagnie embarque ensuite pour la Bretagne, la licorne parvenant à surmonter sa peur de la mer. Sans aller trop loin dans l’interprétation, on peut être surpris de voir ici en figure maternelle, façon louve allaitant Romulus et Remus, une licorne qui a habituellement, dans la littérature médiévale, des caractéristiques très masculines.

Le passage ci dessous, qui conte les aventures du nain, du géant sans nom et de la licorne, est extrait de la traduction en français moderne par Hélène Charpentier et Patricia Victorin, parue en 2004.

Première page de l’unique manuscrit du roman.
BNF,
ms fr 189, fol 289v.
C’est la seule image que j’aie trouvée avec une licorne et un papegau.

Prêtez-moi une oreille attentive, cher et doux seigneur, car je vais vous conter la chose la plus incroyable, la plus prodigieuse qui me soit arrivée! Si un autre m’avait conté ce que je vais vous dire, je dois reconnaître en toute sincérité que jamais je ne l’aurais cru.

Quand ma femme fut morte et enterrée, je plaçai mes provisions dans ma tunique, puis j’enveloppai mon enfant de mon mieux. Et je partis en quête, de ci de là, dans le bois, d’un gros arbre où je pourrais m’abriter de la pluie et me coucher pour la nuit. Je n’imaginais pas à ce moment-là qu’il y eût tant de bêtes féroces sur cette île. Par bonheur, je trouvai un arbre creux, le plus grand que j’aie jamais vu: d’ailleurs, il existe toujours. La cavité était si profonde que six chevaliers auraient pu y tenir. A l’intérieur, je découvris que la place était occupée par les petits d’une bête sauvage; ils étaient nés depuis peu. Chacun des petits était doté d’une petite corne pointue au milieu du front. En les voyant, j’en­trai et les examinai longuement, non sans curiosité et étonnement. Finalement, je m’assis parmi eux. Cela faisait peu de temps que j’étais là lorsque la mère des petits arriva.
C’était une bête d’une taille extraordinaire, grande comme un che­val de belle taille, et elle avait une corne plus tranchante qu’aucun rasoir au milieu du front. Elle était pourvue de quatorze grandes mamelles, dont la plus petite était de la taille d’un pis de vache. Quand elle me vit, elle me jeta un regard si féroce que je m’enfuis épouvanté. Dans ma précipitation, mon enfant me tomba des bras et se mit à hurler. Il était tout mignon, tout blond et jamais on n’avait vu plus bel enfant! La bête en eut pitié et pénétra dans la cavité. Pendant ce temps, j’observai – caché derrière la racine de l’arbre – ce que la bête ferait de l’enfant. Elle prit délicatement le nourrisson de son museau, elle rentra dans le trou, s’al­longea et fit si bien qu’il eut bientôt sa mamelle dans la bouche. Lorsqu’il perçut la douceur de la mamelle, il se mit à téter le plus naturelle­ment du monde. Une fois repu, il s’endormit. De mon côté, je n’osai ni dormir, ni bouger d’un pouce de peur que la bête ne me tue. C’est ainsi que se passa cette première nuit, mon enfant endormi auprès des petits. Le lendemain, au matin, quand la bête alla chercher sa pâture, je mangeai de mes provisions, car j’avais grand faim. Après quoi, j’eus très soif, mais je n’osai pas sortir de ma cachette pour chercher de l’eau. Je décidai de prendre mon enfant, et tandis que j’étais en train de l’em­mailloter, la bête revint. Curieusement, elle se montra très affectueuse à mon égard et finalement, je restai auprès d’elle. Après avoir fait téter ses petits ainsi que mon fils, elle me considéra et me voyant tout petit – puisque je suis nain – elle crut que j’étais encore enfant et elle me poussa à mon tour vers une de ses mamelles encore bien pleine. Comme j’avais très soif, je fis ce qu’elle attendait de moi: je bus son lait qui me parut délicieux et le plus doux que j’aie jamais goûté. Voilà, seigneur, la manière dont je vivais tant que mes provisions durèrent. Mon enfant profitait bien de ce lait, comme on peut encore le voir aujourd’hui, grâce à Dieu I Quand il ne me resta plus de provisions, ce régime lacté ne suffisait pas à me donner des forces.

Or il advint un jour, j’en rends grâce à Dieu, qu’un grand cerf vint à passer devant notre arbre creux. Je vous rappelle que j’avais grand faim, car le lait ne pourvoyait pas à tous mes besoins. Et je laissai échapper ce souhait: « Plût à Dieu que je puisse manger un beau cuissot de cerf rôti!». Tout en disant cela, j’avais sorti ma tête hors du trou. Le cerf s’était arrêté, en m’entendant, et me regardait. La bête qui passait par là pour nous protéger, ses enfants et moi, vit le cerf qui me regardait. Crai­gnant pour notre vie, elle fonça sur lui, furieuse, et avant même qu’il ait pu s’en rendre compte, elle le pourfendit de sa corne. En retirant sa corne, elle le trancha net en deux morceaux. Le cerf tomba mort. Moi, j’étais aux anges. Je jaillis du trou dont je n’étais pas sorti depuis trois semaines. J’aperçus un morceau de bois crochu, tombé d’un arbre creux et je m’en emparai. Puisqu’il m’était impossible de le déplacer, je décidai de le laisser là et de creuser une fosse au-dessous de lui. En creusant, une source d’eau jaillit que je déviai pour nettoyer mon morceau de bois. Puis je versai de l’eau et je fis du feu grâce à ma pierre à fusil. Après quoi, je suis allé chercher du sable de la mer, car il était salé, et je l’y mélangeai.

La bête veillait sur moi, suivant mes moindres faits et gestes, pour me protéger des bêtes sauvages, tant elle m’aimait. D’ailleurs elle continue de passer une à deux fois par jour devant cette tour.
Au bout d’un an, la bête n’eut plus de lait et je donnai de la viande à manger à mon enfant, comme pour moi. J’avais si bien apprivoisé cette bête qu’elle faisait tout ce que je lui demandais, car elle m’aimait comme une mère aime ses enfants. Elle tuait nombre de cerfs, d’ours et autres, pour que mon fils et moi puissions manger. Voilà la vie que j’ai menée pendant vingt ans, sans trouver aucune issue à cette île, à part la mer.

L’ermite Nascien à l’île Tornéant, Miniature du maître d’Adélaïde de Savoie, Lancelot-Graal, XVe siècle. Deux licornes sont représentées parmi les animaux sauvages.
Bibliothèque Nationale, ms fr 96 fol 23v

[…]

Alors Géant sans Nom dévora une bonne moitié de cerf et but de l’eau. Ce n’était pas étonnant qu’il mange autant pour un homme de sa taille qui ne faisait qu’un seul repas. Il ne mangeait pas de pain ni d’autres plats et ne buvait pas de vin. Le roi ne put avaler une bouchée, tant il était impressionné par le géant. Quant au nain, il mangea très peu, en raison de sa joie. Après le repas, le nain ordonna à son fils de s’incliner devant le roi Arthur et d’implorer sa grâce pour qu’il le respecte davantage. Il rendit hommage au roi, l’embrassa et promit solennelle­ment de lui être entièrement dévoué. Enfin, ils mirent au point leur projet, se couchèrent et dormirent jusqu’au matin. Ils se levèrent tous trois avec le jour. Le roi monta sur son destrier et plaça le nain devant lui; quant au géant, il marchait, sa massue dans la main et son bagage pendu au cou. Tandis qu’ils se dirigeaient vers Je navire, ils virent venir la licorne’ qui avait allaité le géant, car comme tous les jours, elle voulait voir celui qu’elle considérait comme son fils. Elle passait plus volontiers le matin, car elle avait davantage de chances de le trouver. Elle emboîta le pas du géant pour lui venir en aide si besoin était, tant elle l’aimait profondément.

C’est ainsi que le Chevalier au Papegau s’en retourna vers son navire, avec son escorte formée par un nain sur son arçon, et suivi de Géant sans Nom et de la licorne. Quand ils arrivèrent, les marins ne savaient s’ils devaient se réjouir ou s’enfuir. Ils éprouvaient de la joie parce que leur seigneur était de retour, et de la terreur à cause du géant et de la licorne. Quand le Chevalier au Papegau leur eut tout expliqué, ils prirent des cordes, les jetèrent hors du navire; puis ils les attachèrent au mât et à la coque. Le géant s’empara d’une des extrémités de la corde et l’attacha autour du poitrail de la licorne, et l’autre bout, il se l’attacha autour des épaules. Ce faisant, il avait toujours sa massue à la main. Le nain et le Chevalier au Papegau embarquèrent. À quoi bon allonger encore mon récit? Le géant et la licorne tirèrent le navire, avec l’aide des marins, et parvinrent à le remettre à l’eau. Alors, le géant monta sur le navire, aussitôt suivi par la licorne, qui ne pouvait se séparer de lui. Ils ramèrent ensuite de toutes leurs forces pour dépasser le fleuve qui s’étendait sur plus de quatre miles. L’eau était effroyablement profonde. Quand ils eurent traversé ce passage périlleux, ils découvrirent une très belle contrée. Le Chevalier au Papegau reconnut être déjà passé là; ils débarquèrent, chevauchèrent un peu et parvinrent à I’ Amoureuse Cité, là où vivait la Dame aux Cheveux Blonds. Ils continuèrent jusqu’au palais. La Dame aux Cheveux Blonds leur réserva un accueil somptueux. Sans perdre de temps, le Chevalier au Papegau dépêcha un messager au château de Causuel, pour faire savoir à Lion sans Merci que le roi Arthur lui demandait d’honorer sa promesse. Il devait, comme convenu et s’il tenait à son honneur, se trouver à Windsor, avec ses chevaliers, le jour de la Pentecôte, où le roi assemblerait sa cour. Le messager rapporta sa réponse: Lion sans Merci s’y conformerait volontiers. Il fut temps d’aller au lit, ce que chacun fit.

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