➕ La licorne en mythologie

On ne croise pas plus de licornes dans les sagas nordiques que dans les mythologies grecques et romaines, mais on pouvait s’arranger. À la Renaissance, on reconstruit l’Antiquité autant qu’on la redécouvre.

l n’y a pas de licorne dans nos mythologies. Contrairement aux centaures, sirènes, griffons et autres dragons, l’albe bête est absente aussi bien des longs feuilletons grecs et romains que des légendes nordiques.  Pourtant, lorsque, à la Renaissance, l’antiquité redécouverte et fantasmée devient à la mode dans les milieux cultivés de France et d’Italie, la blanche cavale parvient à se glisser ici et là, non pas dans des récits mythologiques déjà pour l’essentiel clos et verrouillés, mais dans les images qui les accompagnent. Dieux et héros, qui ne la connaissaient pas auparavant, ont peut-être été surpris de la voir pointer le bout de sa corne.

Circé change les compagnons d’Ulysse en animaux.
Francis de Retzn Defensorium inviolatae virginitatis Mariae, circa 1490. Bibliothèque Nationale d’Irlande, Dubin, ms 32 513.

Faute de références antiques suffisantes, peintres et graveurs ont souvent, pour représenter des scènes mythologiques, transposé des modèles éprouvés venus du répertoire chrétien, et c’est par là que la licorne est arrivée au pied de l’Olympe et aux portes d’Hadès. Les animaux sauvages, après avoir pris note des noms que leur attribuait Adam, puis écouté quelques saints leur prêcher la bonne parole, se sont regroupés autour d’Orphée pour profiter du chant de sa lyre. Sur un manuscrit de la fin du XIVe siècle, Circé change les compagnons d’Ulysse non pas en pourceaux mais en chien, chat, lapin âne et licorne. Sur un dessin du XVIe siècle, au musée du Louvre, les deux lions qui gardent traditionnellement Cybèle, déesse grecque associée à la nature sauvage, sont accompagnés d’un cerf et d’une licorne.

La Nature et Prométhée, circa 1571.
Cabinet de François Ier Medici, Palazzo Vecchio, Florence.

De la même manière, une licorne s’est retrouvée sur une fresque figurant la Nature et Prométhée, au plafond du cabinet de travail – si l’on ose dire, car c’est un peu grand pour un cabinet – de François Ier de Médicis, au Palazzo Vecchio, à Florence. La scène s’inspire des représentations chrétiennes de la création du monde et des animaux.

Sur le manuscrit des Métamorphoses dont nous avons déjà vu deux miniatures au chapitre précédent, une licorne à pois est l’une des bêtes monstrueuses vaincues par le héros Bellérophon, le tueur de la chimère.
Bibliothèque municipale de Lyon, ms 742 B, 79v

Lorsque Pluton enlève Proserpine pour l’emmener aux enfers, il est parfois à pied, mais plus souvent – c’est quand même un dieu – en char ou à cheval. Albrecht Dürer l’a représenté emportant sa proie, solidement tenue sous le bras, sur un cheval unicorne et trapu. Sa corne recourbée vers l’avant donne à l’unicorne un aspect chthonien qui convient à la monture du dieu des enfers.

Le char de Neptune, dieu des eaux vives et des océans, est traditionnellement tiré par des hippocampes, qui avant d’être de petites bestioles d’aquarium étaient de solides créatures de la mythologie grecque, tête et pattes antérieures de cheval, queue de poisson ou de monstre marin. Rien ne s’opposait bien sûr à ce que certains de ces hippocampes soient aussi, à l’occasion, des licornes.

Pourquoi alors, même en cherchant bien, ne trouve qu’un ou deux pégases unicornes, purement héraldiques, dans tout l’art de la Renaissance ? Le cheval ailé était trop unique, trop bien connu, et son image antique et stabilisée ne pouvait plus guère évoluer. Il a fallu attendre pour que les licornes s’envolent et les pégases s’arment d’une corne l’époque contemporaine, et un certain oubli des mythologies classiques.

Une licorne symbole de chasteté et de fidélité illustre l’Épistre Othea la déesse, que elle envoya à Hector de Troye, quand il estoit en l’aage de quinze ans, de Christine de Pizan.
Erlangen Universitätsbibliothek, ms M 2361, fol 36r

On imaginerait volontiers les blanches et fières licornes aux côtés de la hautaine, sauvage et vierge Diane chasseresse. Trop exotique, la licorne de la Renaissance n’était pas encore un animal sylvestre, et Diane est donc accompagnée de biches, parfois de cerfs blancs, mais très rarement de licornes. Des unicornes, au nombre de six ou huit, tirent néanmoins, au XVIe siècle, le char de la déesse dans un texte hermétique, Le songe de Poliphile, de Francesco Colonna, mais l’idée vient ici de Pétrarque et non des mythes grecs.

Une peinture du Titien, qui se trouve à Londres à la National gallery, représente le moment ou Diane apprend que sa nymphe préférée, Callisto, n’est plus chaste puisqu’elle est enceinte de Jupiter ; les licornes brodées sur la toile de la tente de Diane sont un symbole de chasteté emprunté à l’iconographie mariale.

Le Titien, Diane et Callisto, 1559
Londres, National Gallery

Une mystérieuse licorne pointe corne et museau sur la dernière fresque d’une série de Bernardino Luini contant l’histoire de Procris et Céphale, dont vous n’avez certainement jamais entendu parler. En résumant, il est jaloux, puis elle est jalouse, et ça finit par un accident de chasse. Diane, qui craint que les accidents de chasse ne nuisent à sa réputation de déesse compétente et efficace, ressuscite la belle Procris et tout est bien qui finit bien. La licorne qui apparaît sur le dernier panneau symbolise la résurrection, ce qui renvoie autant au Christ qu’à Procris. D’autres versions de l’histoire se terminent moins bien, mais la morale est toujours la même – la jalousie, c’est un peu idiot et, à moins que vous n’ayez le 06 de Diane, ça finit mal. Dans une édition imprimée de 1539 des Métamorphoses d’Ovide, une gravure montre Céphale et son chien Laelaps poursuivant une licorne bondissante dont on ne sait pas très bien si elle est une simple bête sauvage ou la belle Procris prise pour une bête sauvage.

Bernardino Luini, Procris et Céphale, circa 1520.
National Gallery of Art, Washington
Les métamorphoses d’Ovide, éditées par Denis Jadot, 1539

Et nous n’étions qu’à la Renaissance…. Encore aujourd’hui, même si nous sommes un peu mieux renseignés sur la vie quotidienne sur l’Olympe, il n’est pas rare de voir des licornes se glisser dans des épisodes mythologiques où elles n’ont que faire.

Le sommet du kitsch et du n’importe quoi au-dessus de l’entrée d’un centre commercial de Manchester. Un griffon, un centurion romain qui se prend pour Zeus, et une licorne dont nul ne sait ce qu’elle fait là.
Photo Chemical Engineer, Wikimedia Commons
À en croire la littérature enfantine d’aujourd’hui, la licorne est finalement devenue une créature mythologique.
Un jeu de stratégie des années quatre-vingt. J’ai peut-être encore une boite chez moi ; en tout cas, j’en ai eu une.

Leave a Reply

Your email address will not be published. Required fields are marked *