📖 Licornes juives

Les licornes sont très nombreuses dans les marges et les décors animaux des manuscrits religieux juifs du Moyen Âge. Elle y côtoie de très nombreux lions, mais aussi des dragons, des chèvres, des éléphants et pas mal de créatures assez bizarres.

Toute une faune à la fois fantastique et exotique apparaît ainsi, par exemple, sur ce Pentateuque copié en Allemagne au début du XIVe siècle, aujourd’hui à la British Library sous la côte Add ms 15282.

Si ce volume est l’un de ceux où les licornes sont les plus présentes, on les croise à l’occasion sur bien des manuscrits enluminés, qu’ils aient été copiés en Espagne ou en Allemagne. Comme les dragons et autres griffons, ces quadrupèdes, et parfois bipèdes, unicornes sont purement décoratifs. Seul le couple du lion et de la licorne affrontés, relativement fréquent, avait peut-être un sens vaguement symbolique.

La scène de la chasse à la licorne du Physiologus a connu plusieurs lectures tout au long du Moyen Âge, mais toutes étaient chrétiennes. Ce récit n’a donc rien à faire dans les décors des manuscrits juifs. Qu’on l’y trouve parfois, comme sur ce Pentateuque du XIIIe siècle au style graphique typique de l’enluminure juive rhénane, montre à quel point cette histoire était devenue un classique, relevant autant de l’histoire naturelle que de l’allégorie chrétienne.

Pentateuque Rothschild,Allemagne, 1296.
Los Angeles, Getty Museum, ms 116, fol 169r

Sur la toute première page d’une bible juive du XVe siècle, on découvre même jeune vierge à la licorne d’allure très mariale. Dans la ville d’Italie où ce manuscrit a été réalisé, sans doute Ferrare, il y avait assez de travail pour un ou deux copistes juifs, mais pas pour un enlumineur. C’est donc un artiste chrétien qui fut chargé des décors. On ignore s’il a simplement, sans se poser de questions, illustré une bible juive avec les images qu’il mettait habituellement sur les livres chrétiens, ou s’il a voulu faire une bonne blague à un commanditaire que, visiblement, cela ne gênait guère puisque la scène n’a pas été effacée ou recouverte.

Bodleian Library, ms Canonici Or 61, fol 2r.

Une licorne brune apparaît dans un médaillon d’un très riche Mahzor, recueil de prières pour les fêtes juives, copié vers 1490. Les enluminures sont l’Å“uvre, là encore, d’un atelier chrétien, celui de Boccardin il Vecchio (1460-1529), qui n’employait sans doute qu’un ou deux artistes juifs pour bien dessiner les lettres et ne pas faire de grosses bêtises dans les scènes religieuses. SI les miniatures illustrent les fêtes juives, les frises qui les entourent ne sont en rien différentes de celles que le même atelier réalisait pour les Medicis ou d’autres grandes familles florentines. Ni la licorne brune du médaillon, ni les deux petites licornes dorées de la reliure, ne sont donc particulièrement juives.

La micrographie figurative, peut-être à l’origine une astuce inventée dans le monde arabe pour faire des dessins en prétendant que c’est du texte, a été surtout utilisée par les copistes juifs. Ce sont souvent des animaux qui sont ainsi représentés à l’aide de commentaires des textes religieux.

La maquettiste a judicieusement choisi d’illustrer ce chapitre de mon livre par la plus belle miniature illustrant la discussion entre l’Oku et de l’Ofer dans le Mashal ha Kadmoni. Ce recueil de fables animalières fut le premier livre imprimé en hébreu, à Brescia en 1491, et fut régulièrement réédité. Voici donc quelques autres miniatures et gravures de la même scène.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, le couple du lion et de la licorne debout face à face – en héraldique, on dit affrontés – est souvent figuré sur les murs et les plafonds des synagogues, sur les pierres tombales et sur quelques objets rituels. Autant la signification du lion de Juda est claire, autant celle de la licorne est assez vague, et ne semble jamais avoir été vraiment explicitée. Un autre chapitre de ce blog est consacré spécifiquement à ce couple, également présent à la même époque dans le monde slave. Le couple de deux lions est bien sûr plus fréquent ; celui de deux licornes est plus rare, mais se rencontre à l’occasion.

Voici enfin quelques exemples de tentatives de reconstitution des blason des douze tribus d’Israël, au XVIIe et XVIIIe siècle, généralement par des auteurs chrétiens. Il y en a de plus anciennes, mais je ne crois pas que l’on y trouve de licornes.

Nicholas Mcleod, Illustrations for the epitome of the ancient history of Japan, 1879.
L’auteur pense avoir retrouvé au moins deux des dix tribus perdues d’Israel, une en Angleterre et une au Japon.

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