Beaucoup a Ă©tĂ© Ă©crit, trop parfois, sur les tapisseries de la dame Ă la licorne. Je nây ajouterai donc rien, mĂȘme si jâen parle un peu dans mon livre. Je me contenterai de reprendre ici quelques textes que jâaime bien, et notamment ceux des âdĂ©couvreursâ modernes de cette tapisserie, Prosper MĂ©rimĂ©e et George Sand.
Boussac est un horrible trou, la plus hideuse sous-prĂ©fecture de France. Le chĂąteau nâa pas mĂȘme le mĂ©rite dâavoir la tournure fĂ©odale, il ressemble Ă ces vilains manoirs de la Bretagne, bĂątis en granite au XVIIe siĂšcle par des maçons qui nâauraient pu gagner leur vie autre part.
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Câest au chĂąteau de Boussac dans lâappartement du Sous-PrĂ©fet que sont les tapisseries de Zizim. Comment elles ont Ă©tĂ© transportĂ©es de Bourganeuf Ă Boussac câest ce que personne nâa pu mâexpliquer. La tour oĂč Zizim a Ă©tĂ© dĂ©tenu Ă Bourganeuf existe encore, mais si mes souvenirs ne me trompent point, il eut Ă©tĂ© impossible dây tendre ces tapisseries-lĂ . Quoiquâil en soit il y a dans ces tapisseries quelque chose de singulier qui permet de croire mĂȘme Ă dâautres quâĂ M. Jourdain, quâelles ont Ă©tĂ© faites pour le fils du Grand Turc. Toutes les six reprĂ©sentent une trĂšs belle femme. VoilĂ qui est peu Turc direz-vous, mais Zizim et son frĂšre Ă©taient de trĂšs mauvais croyants accusĂ©s dâavoir des tendances pour la secte dâAli â une trĂšs belle femme donc, richement habillĂ©e et dâune façon toute orientale. Câest toujours la mĂȘme personne, quelquefois accompagnĂ©e dâune suivante, et toujours placĂ©e entre un lion et une licorne. Chaque bĂȘte tient entre ses pattes une lance bleue semĂ©e de croissants dâargent qui porte une banniĂšre de gueule Ă la bande dâazur chargĂ©e de trois croissants dâargent. Lion et Licorne portent de plus sur le dos un Ă©cu avec les mĂȘmes armoiries.
Dans une des tapisseries la femme est assise les jambes croisĂ©es sous une tente dont le sommet porte cette inscription A MON SEUL DESIR. Ce qui distingue ces tapisseries câest quâelles nâont nullement le style flamand. Les figures sont longues, Ă©lĂ©gantes, gracieuses. Les costumes indiquent un artiste qui connaĂźt les costumes et les habitudes de lâOrient. Je serais tentĂ© de croire que cela a Ă©tĂ© fait en Italie. Les fonds semĂ©s de fleurs, de fruits et dâanimaux, parmi lesquels figurent toujours un lapin blanc et un singe, prĂ©sentent de loin lâaspect dâune palme de cachemire. MĂȘme harmonie de couleurs et mĂȘme bizarrerie. Chaque tapisserie peut avoir 3 Ă 4 mĂštres de cĂŽtĂ©.
Il y en avait autrefois Ă Boussac plusieurs autres, plus belles, me dit le maire, mais lâex-propriĂ©taire du chĂąteau â il appartient aujourdâhui Ă la ville â un comte de CarboniĂšre les dĂ©coupa pour en couvrir des charrettes et en faire des tapis. On ne sait ce quâelles sont devenues. Cinq des six tapisseries sont en fort bon Ă©tat. La sixiĂšme est un peu mangĂ©e des rats. Toutes auront le mĂȘme sort si on ne les tire de Boussac. Ne penseriez-vous pas quâil y aurait lieu de les acheter pour la BibliothĂšque royale, ou si vous lâaimiez mieux de les faire acheter par la liste civile pour la collection du Roi. Je prĂ©fĂšrerais le premier parti. Les gens de Boussac nous demandent de lâargent pour leur chĂąteau, mais câest une dĂ©rision, il ne vaut pas un sou. Sâils nous vendaient leurs tapisseries, ils feraient une bonne affaire et nous aussi. En attendant que la Commission dĂ©cide, jâai dit au Maire, que sâil voulait faire raccommoder ces tentures Ă Aubusson on les perdrait et que cela lui coĂ»terait fort cher ; que si elles nâĂ©taient pas si vieilles et si dĂ©chirĂ©es, le gouvernement pourrait peut-ĂȘtre les lui acheter.
â Lettre de Prosper MĂ©rimĂ©e Ă Ludovic Vitet, 18 juillet 1841.
Un coin du Berry et de la Marche
Boussac est un prĂ©cipice encore plus accusĂ© que Sainte-SĂ©vĂšre. Le chĂąteau est encore mieux situĂ© sur les rocs perpendiculaires qui bordent le cours de la petite Creuse. Ce castel, fort bien conservĂ©, est un joli monument du moyen Ăąge, et renferme des tapisseries qui mĂ©riteraient lâattention et les recherches dâun antiquaire.
Jâignore si quelque indigĂšne sâest donnĂ© le soin de dĂ©couvrir ce que reprĂ©sentent ou ce que signifient ces remarquables travaux ouvragĂ©s, longtemps abandonnĂ©s aux rats, ternis par les siĂšcles, et que lâon rĂ©pare maintenant Ă Aubusson avec succĂšs. Sur huit larges panneaux qui remplissent deux vastes salles (affectĂ©es au local de la sous-prĂ©fecture), on voit le portrait dâune femme, la mĂȘme partout, Ă©videmment ; jeune, mince, longue, blonde et jolie ; vĂȘtue de huit costumes diffĂ©rents, tous Ă la mode de la fin du xve siĂšcle. Câest la plus piquante collection des modes patriciennes de lâĂ©poque qui subsiste peut-ĂȘtre en France : habit du matin, habit de chasse, habit de bal, habit de gala et de cour, etc. Les dĂ©tails les plus coquets, les recherches les plus Ă©lĂ©gantes y sont minutieusement indiquĂ©s. Câest toute la vie dâune merveilleuse de ce temps-lĂ . Ces tapisseries, dâun beau travail de haute lisse, sont aussi une Ćuvre de peinture fort prĂ©cieuse, et il serait Ă souhaiter que lâadministration des beaux-arts en fĂźt faire des copies peintes avec exactitude pour enrichir nos collections nationales, si nĂ©cessaires aux travaux modernes des artistes.
Je dis des copies, parce que je ne suis pas partisan de lâaccaparement un peu arbitraire, dans les capitales, des richesses dâart Ă©parses sur le sol des provinces. Jâaime Ă voir ces monuments en leur lieu, comme un couronnement nĂ©cessaire Ă la physionomie historique des pays et des villes. Il faut lâair de la campagne de Grenade aux fresques de lâAlhambra. Il faut celui de NĂźmes Ă la Maison CarrĂ©e. Il faut de mĂȘme lâentourage des roches et des torrents au chĂąteau fĂ©odal de Boussac ; et lâeffigie des belles chĂątelaines est lĂ dans son cadre naturel.
Ces tapisseries attestent une grande habiletĂ© de fabrication et un grand goĂ»t mĂȘlĂ©s Ă un grand savoir naĂŻf chez lâartiste inconnu qui en a tracĂ© le dessin et indiquĂ© les couleurs. Le pli, le mat et les lustrĂ©s des Ă©toffes, la maniĂšre, ce quâon appellerait aujourdâhui le chic dans la coupe des vĂȘtements, le brillant des agrafes de pierreries, et jusquâĂ la transparence de la gaze, y sont rendus avec une conscience et une facilitĂ© dont les outrages du temps et de lâabandon nâont pu triompher.
Dans plusieurs de ces panneaux, une belle jeune enfant, aussi longue et tĂ©nue dans son grand corsage et sa robe en gaĂźne que la dame chĂątelaine, vĂȘtue plus simplement, mais avec plus de goĂ»t peut-ĂȘtre, est reprĂ©sentĂ©e Ă ses cĂŽtĂ©s, lui tendant ici lâaiguiĂšre et le bassin dâor, lĂ un panier de fleurs ou des bijoux, ailleurs lâoiseau favori. Dans un de ces tableaux, la belle dame est assise en pleine face, et caresse de chaque main de grandes licornes blanches qui lâencadrent comme deux supports dâarmoiries. Ailleurs, ces licornes, debout, portent Ă leurs cĂŽtĂ©s des lances avec leur Ă©tendard. Ailleurs encore, la dame est sur un trĂŽne fort riche, et il y a quelque chose dâasiatique dans les ornements de son dais et de sa parure splendide.
Mais voici ce qui a donnĂ© lieu Ă plus dâun commentaire : le croissant est semĂ© Ă profusion sur les Ă©tendards, sur le bois des lances dâazur, sur les rideaux, les baldaquins et tous les accessoires du portrait. La licorne et le croissant sont les attributs gigantesques de cette crĂ©ature fine, calme et charmante. Or, voici la tradition.
Ces tapisseries viennent, on lâaffirme, de la tour de Bourganeuf, oĂč elles dĂ©coraient lâappartement du malheureux Zizim ; il en aurait fait prĂ©sent au seigneur de Boussac, Pierre dâAubusson, lorsquâil quitta la prison pour aller mourir empoisonnĂ© par Alexandre VI. On a longtemps cru que ces tapisseries Ă©taient turques. On a reconnu rĂ©cemment quâelles avaient Ă©tĂ© fabriquĂ©es Ă Aubusson, oĂč on les rĂ©pare maintenant. Selon les uns, le portrait de cette belle serait celui dâune esclave adorĂ©e dont Zizim aurait Ă©tĂ© forcĂ© de se sĂ©parer en fuyant Ă Rhodes ; selon un de nos amis, qui est, en mĂȘme temps, une des illustrations de notre province, ce serait le portrait dâune dame de Blanchefort, niĂšce de Pierre dâAubusson, qui aurait inspirĂ© Ă Zizim une passion assez vive, mais qui aurait Ă©chouĂ© dans la tentative de convertir le hĂ©ros musulman au christianisme. Cette derniĂšre version est acceptable, et voici comment jâexpliquerais le fait : lesdites tentures, au lieu dâĂȘtre apportĂ©es dâOrient et lĂ©guĂ©es par Zizim Ă Pierre dâAubusson, auraient Ă©tĂ© fabriquĂ©es Ă Aubusson par lâordre de ce dernier, et offertes Ă Zizim en prĂ©sent pour dĂ©corer les murs de sa prison, dâoĂč elles seraient revenues, comme un hĂ©ritage naturel, prendre place au chĂąteau de Boussac. Pierre dâAubusson, grand maĂźtre de Rhodes, Ă©tait trĂšs-portĂ© pour la religion, comme chacun sait (ce qui ne lâempĂȘcha pas de trahir dâune maniĂšre infĂąme la confiance de Bajazet) ; on sait aussi quâil fit de grandes tentatives pour lui faire abandonner la foi de ses pĂšres. Peut-ĂȘtre espĂ©ra-t-il que son amour pour la demoiselle de Blanchefort opĂ©rerait ce miracle. Peut-ĂȘtre lui envoya-t-il la reprĂ©sentation rĂ©pĂ©tĂ©e de cette jeune beautĂ© dans toutes les sĂ©ductions de sa parure, et entourĂ©e du croissant en signe dâunion future avec lâinfidĂšle, sâil consentait au baptĂȘme. Placer ainsi sous les yeux dâun prisonnier, dâun prince musulman privĂ© de femmes, lâimage de lâobjet dĂ©sirĂ©, pour lâamener Ă la foi, serait dâune politique tout Ă fait conforme Ă lâesprit jĂ©suitique. Si je ne craignais dâimpatienter mon lecteur, je lui dirais tout ce que je vois dans le rapprochement ou lâĂ©loignement des licornes (symboles de virginitĂ© farouche, comme on sait) de la figure principale. La dame, gardĂ©e dâabord par ces deux animaux terribles, se montre peu Ă peu placĂ©e sous leur dĂ©fense, Ă mesure que les croissants et le pavillon turc lui sont amenĂ©s par eux. Le vase et lâaiguiĂšre quâon lui prĂ©sente ensuite ne sont-ils pas destinĂ©s au baptĂȘme que lâinfidĂšle recevra de ses blanches mains ? Et, lorsquâelle sâassied sur le trĂŽne avec une sorte de turban royal au front, nâest-elle pas la promesse dâhymĂ©nĂ©e, le gage de lâappui quâon assurait Ă Zizim pour lui faire recouvrer son trĂŽne, sâil embrassait le christianisme, et sâil consentait Ă marcher contre les Turcs Ă la tĂȘte dâune armĂ©e chrĂ©tienne ? Peut-ĂȘtre aussi cette beautĂ© est-elle la personnification de la France. Cependant, câest un portrait, un portrait toujours identique, malgrĂ© ses diverses attitudes et ses divers ajustements. Je ne demanderais, maintenant que je suis sur la trace de cette explication, quâun quart dâheure dâexamen nouveau desdites tentures pour trouver, dans le commentaire des dĂ©tails que ma mĂ©moire omet ou amplifiĂ© Ă mon insu, une solution tout aussi absurde quâon pourrait lâattendre dâun antiquaire de profession.
Car, aprĂšs tout, le croissant nâa rien dâessentiellement turc, et on le trouve sur les Ă©cussons dâune foule de familles nobles en France. La famille des Villelune, aujourdâhui Ă©teinte, et qui a possĂ©dĂ© grand nombre de fiefs en Berry, avait des croissants pour blason. Ainsi nous avons cherchĂ©, et il reste Ă trouver : câest le dernier mot Ă des questions bien plus graves.
George Sand, LâIllustration, 3 juillet 1847.
Il y a ici des tapisseries, Abelone, des tapisseries. Je me figure que tu es lĂ ; il y a six tapisseries ; viens, passons lentement devant elles. Mais dâabord fais un pas en arriĂšre et regarde-les, toutes Ă la fois. Comme elles sont tranquilles, nâest-ce pas ? Il y a peu de variĂ©tĂ© en elles. Voici toujours cette Ăźle bleue et ovale, flottant sur le fond discrĂštement rouge, qui est fleuri et habitĂ© par de petites bĂȘtes tout occupĂ©es dâelles-mĂȘmes. LĂ seulement, dans le dernier tapis, lâĂźle monte un peu, comme si elle Ă©tait devenue plus lĂ©gĂšre. Elle porte toujours une forme, une femme, en vĂȘtements diffĂ©rents, mais toujours la mĂȘme. Parfois il y a Ă cĂŽtĂ© dâelle une figure plus petite, une suivante, et il y a toujours des animaux hĂ©raldiques : grands, qui sont sur lâĂźle, qui font partie de lâaction. Ă gauche un lion, et Ă droite, en clair, la licorne ; ils portent les mĂȘmes banniĂšres qui montent, haut au-dessus dâeux : de gueules Ă bande dâazur aux trois lunes dâargent. As-tu vu ? Veux-tu commencer par la premiĂšre ?
Elle nourrit un faucon. Vois son vĂȘtement somptueux ! Lâoiseau est sur sa main gantĂ©e, et bouge. Elle le regarde et en mĂȘme temps pour lui tendre quelque chose, plonge la main dans une coupe que la domestique lui apporte. Ă droite, en bas, sur sa traĂźne, se tient un petit chien, au poil soyeux, qui lĂšve la tĂȘte et espĂšre quâon se souviendra de lui. Et, â as-tu vu ? â une roseraie basse enclĂŽt lâĂźle par derriĂšre. Les animaux se dressent avec un orgueil hĂ©raldique. Les armes de leur maĂźtresse se rĂ©pĂštent sur leurs mantelets quâune belle agrafe retient. Et flottent.
Ne sâapproche-t-on pas malgrĂ© soi plus silencieusement de lâautre tapisserie, dĂšs quâon a vu combien la femme est plus profondĂ©ment absorbĂ©e en elle-mĂȘme ? Elle tresse une couronne, une petite couronne ronde de fleurs. Pensive elle choisit la couleur du prochain Ćillet, dans le bassin plat que lui tend la servante, et tout en nouant le prĂ©cĂ©dent. DerriĂšre elle, sur un banc, il y a un panier de roses quâun singe a dĂ©couvert. Mais il est inutile : cette fois câest des Ćillets quâil fallait. Le lion ne prend plus part ; mais Ă droite la licorne comprend.
Ne fallait-il pas quâil y eĂ»t de la musique dans ce silence ? NâĂ©tait-elle pas dĂ©jĂ secrĂštement prĂ©sente ? Gravement et silencieusement ornĂ©e, la femme sâest avancĂ©e â avec quelle lenteur, nâest-ce pas ? â vers lâorgue portatif et elle en joue, debout. Les tuyaux la sĂ©parent de la domestique qui, de lâautre cĂŽtĂ© de lâinstrument, actionne les soufflets. Je ne lâai jamais vue si belle. Ătrange est sa chevelure : rĂ©unie sur le devant en deux tresses qui sont nouĂ©es au-dessus de la tĂȘte et sâĂ©chappent du nĆud comme un court panache. ContrariĂ©, le lion supporte les sons, malaisĂ©ment, en contenant son envie de hurler. Mais la licorne est belle, comme agitĂ©e par des vagues.
LâĂźle sâĂ©largit. Une tente est dressĂ©e. De damas bleu et flammĂ©e dâor. Les bĂȘtes lâouvrent et, presque simple dans son vĂȘtement princier, elle sâavance. Car que sont ses perles auprĂšs dâelle-mĂȘme ? La suivante a ouvert un petit Ă©tui, et Ă prĂ©sent elle en tire une chaĂźne, un lourd et merveilleux bijou qui Ă©tait toujours enfermĂ©. Le petit chien est assis prĂšs dâelle, surĂ©levĂ©, Ă une place quâon lui a mĂ©nagĂ©e, et le regarde. Et as-tu dĂ©couvert le verset en haut de la tente ? Tu peux y lire : « Ă mon seul dĂ©sir ».
Quâest-il arrivĂ© ? Pourquoi le petit lapin saute-t-il lĂ en bas, pourquoi voit-on immĂ©diatement quâil saute ? Tout est si troublĂ©. Le lion nâa rien Ă faire. Elle-mĂȘme tient la banniĂšre, ou sây cramponne-t-elle ? De lâautre main elle touche la corne de la licorne. Est-ce un deuil ? Le deuil peut-il rester ainsi debout ? Et une robe de deuil peut-elle ĂȘtre aussi muette que ce velours noir-vert et par endroits fanĂ© ?
Mais une fĂȘte vient encore ; personne nây est invitĂ©. Lâattente nây joue aucun rĂŽle. Tout est lĂ . Tout pour toujours. Le lion se retourne, presque menaçant : personne nâa le droit de venir. Nous ne lâavons jamais vue lasse ; est-elle lasse ? Ou ne sâest-elle reposĂ©e que parce quâelle tient un objet lourd ? On dirait un ostensoir. Mais elle ploie son autre bras vers la licorne et lâanimal se cabre, flattĂ©, et monte, et sâappuie sur son giron. Câest un miroir quâelle tient. Vois-tu : elle montre son image Ă la licorneâŠ
Abelone, je mâimagine que tu es lĂ . Comprends-tu, Abelone ? Je pense que tu dois comprendre.
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Et voici que les tapisseries de la dame Ă la licorne ont, elles aussi, quittĂ© le vieux chĂąteau de Boussac. Le temps est venu oĂč tout sâen va des maisons, et elles ne peuvent plus rien conserver. Le danger est devenu plus sĂ»r que la sĂ©curitĂ© mĂȘme. Plus personne de la lignĂ©e des DĂ©lie Viste ne marche Ă cĂŽtĂ© de vous et ne porte sa race dans le sang. Tous ont vĂ©cu. Personne ne prononce ton nom, Pierre dâAubusson, grand-maĂźtre parmi les grands dâune maison trĂšs ancienne, par la volontĂ© de qui, peut-ĂȘtre, furent tissĂ©es ces images qui tout ce quâelles montrent, le cĂ©lĂšbrent, mais ne le livrent pas. (Ah, pourquoi donc les poĂštes se sont-ils exprimĂ©s autrement sur les femmes, plus littĂ©ralement, croyaient-ils ? Il est bien certain que nous nâaurions dĂ» savoir que ceci.) Et voilĂ que le hasard, parmi des passants de hasard, nous conduit ici, et nous nous effrayons presque de nâĂȘtre pas des invitĂ©s. Mais il y a lĂ dâautres passants encore, du reste peu nombreux. Câest Ă peine si les jeunes gens sây arrĂȘtent, Ă moins que par hasard leurs Ă©tudes les obligent Ă avoir vu ces choses, une fois, pour tel ou tel dĂ©tail.
Cependant on y rencontre parfois des jeunes filles. Car il y a dans les musĂ©es beaucoup de jeunes filles qui ont quittĂ©, ici ou lĂ , des maisons qui ne contenaient plus rien. Elles se trouvent devant ces tapisseries et sây oublient un peu de temps. Elles ont toujours senti que cela a dĂ» exister quelque part : une telle vie adoucie en gestes lents que personne nâa jamais complĂštement Ă©claircis ; et elles se rappellent obscurĂ©ment quâelles crurent mĂȘme pendant quelque temps que telle serait leur vie. Mais aussitĂŽt elles ouvrent un cahier tirĂ© de quelque part et commencent Ă dessiner nâimporte quoi : une fleur des tapisseries ou quelque petite bĂȘte toute rĂ©jouie.
Reiner Maria Rilke, Les cahiers de Malte Laurids Brigge, 1910
Le prince Zizim et la dame Ă la licorne
En passant par Bourganeuf, M. PoincarĂ© visitera sans doute la tour de Zizim qui abrite, sous sa poivriĂšre, le plus tendre et le plus mĂ©lancolique roman de chevalerieâŠ
CâĂ©tait le temps oĂč, grand-maĂźtre de lâordre de lâHĂŽpital et vainqueur des armĂ©es de Mahomet II, Pierre dâAubusson, souverain dans son Ăźle de Rhodes, battait monnaie, avait le pas sur tous les princes de la terre et arborait au mĂąt de ses navires le fameux pavillon de gueules Ă la croix blanche pleine, qui recevait les honneurs mais ne les rendait pas.
Un jour, les hommes de guet signalĂšrent au large des voiles ennemies. CâĂ©tait le musulman Zizim, qui dĂ©fait par son frĂšre dont il avait usurpĂ© le trĂŽne, venait avec ses trĂ©sors et les derniers compagnons fidĂšles Ă lâinfortune demander asile aux chevaliers. Aubusson fit accueil au vaincu et envoya en France le prince Zizim.
LâexilĂ© ne trouva dans la Marche ni lâor, ni lâoutremer du ciel natal. Le granit morne, les lourdes tours dâAubusson Ă©crasaient de leur tristesse et de leur ombre tous les rĂȘves de domination et de reprise que le vaincu portait en soi, Ă©clatants et secrets, comme des lames de Damas dans leur gaine de cuir. Mais une favorite grecque, AlmeĂŻda, qui avait partagĂ© sa tente, son rĂšgne et ses revers, qui Ă©tait son Ăąme ambitieuse et passionnĂ©e, le ranimait de tout son amour.
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Zizim fut conduit Ă Borgolou â Bourganeuf â dans la demeure des grands prieurs dâAuvergne. Pour tromper son ennui, il bĂątit. Il fit construire, en mĂȘme, temps que la, tour qui porte son nom, des bains et des fontaines. Pour lui, de hauts-liciers qui pouvaient rivaliser, dâaventure, avec les tapissiers sarrasinois, contĂšrent de belles histoires de couleur et de chevalerie sur leur trame de laine. Mais ce beau prince au nez de faucon qui gardait sur son visage le regret du trĂŽne et de la patrie ne laissait point de rendre songeuses les demoiselles Ă hennin prĂšs de leurs fenĂȘtres encourtinĂ©es.
Un jour de chasse, il fit rencontre de Marie de Blanchefort, niĂšce de Pierre dâAubusson, et fille du grand prieur dâAuvergne. CâĂ©tait la grĂące fine et blonde du pays de France, la rĂ©vĂ©lation dâune beautĂ© inconnue pour qui ne connaissait que les beautĂ©s dâAsie.
Zizim, qui était poÚte, fut charmé, Marie de Blanchefort fut sensible, et leur amour est tout enluminé de légende.
Faut-il croire avec G. Sand que la chrĂ©tienne voulĂ»t convertir lâinfidĂšle ou quâelle aima sans calcul dans la simplicitĂ© de son cĆur ? Ce fut pour Zizim une grande passion. Il dĂ©laissa la favorite grecque quâil avait amenĂ©e dâOrient. Par raison de cĆur et par raison dâĂ©tat, celle-ci se vengea en empoisonnant la chrĂ©tienne. Fou de douleur, le prince donna en pĂąture Ă ses hommes cette fille de sĂ©rail. AlmeĂŻda se pendit. On montre encore Ă Bourganeuf la fenĂȘtre de lâĂ©trangĂšre.
Il semble que de ces amours et de ces drames recueillis par les vieilles chroniques, lâillustration nous soit restĂ©e dans les tapisseries sur fond rouge du musĂ©e de Cluny reprĂ©sentant le « Roman de la dame Ă la licorne ». On sait que les six panneaux, qui sont dâadorables merveilles, servirent, voici quelque vingt ans, Ă protĂ©ger le piano dâun sous-prĂ©fet un jour de neige et Ă essuyer les pieds de quelques scribes de Boussac. De pieuses reprises ont effacĂ© les traces de ces mauvais hasards. G. Sand, M. de La Touche, M. de Sommerard, M. H. de Lavillatte, dâautres encore, ont lu Ă leur façon ces belles images de laine.
Câest quâautour des figures strictement dessinĂ©es, il y a, comme dans un vitrail, tout un champ de lĂ©gende et dâazur.
Cette damoiselle « mince, blonde et jolie », toujours la mĂȘme, est, Ă notre sentiment, la fille du grand prieur dâAuvergne. Nous savons que Zizim Ă Borgolou fit faire des tapisseries, Jâimagine que ce fut surtout lorsquâil eut rencontrĂ© Ă la chasse Marie de Blanchefort. Et câest bien elle, en habit de cheval, qui, dans le premier panneau, porte sur le poing le gerfaut chaperonnĂ©, elle qui, plus loin, tresse une guirlande de fleurs et de rĂȘves, joue un air tendre sur lâorgue, câest elle qui, entre son barbet et sa suivante, serre ses bijoux dans un coffret cloisonnĂ©, ou, le turban au front, au milieu des feuillages que peuple tout un bestiaire, prĂ©sente Ă sa licorne, qui sây mire, un fin miroir dâacier poli.
La suite des panneaux est perdue. Elle nous eĂ»t donnĂ© peut-ĂȘtre la clef du roman. Les animaux, les plantes, les couleurs mĂȘme ont, chez les hauts-lissiers, leur signification, leur langage. Le symbolisme des teintes â le rouge est la charitĂ©, le vert la contemplation â pourrait sans doute ĂȘtre Ă©tudiĂ© avec profit.
Cependant les croissants de feu sur lâazur des hampes ou la bande des Ă©tendards, câest lâhommage du « paĂŻen » Ă la chrĂ©tienne. Ces tapisseries commencĂ©es aux jours heureux pour faire sa cour, exprimer ses projets et son rĂȘve, Zizim dut les faire continuer aprĂšs le drame; Il dut avec ces images enchanter sa douleur. La fin, câĂ©tait le trĂŽne reconquis et Marie de Blanchefort, blonde fille du « parler dâAuvergne », devenue souveraine et sultane.
Il eĂ»t fallu, pour que ce beau chapitre couronnĂąt lâaventure, que lâhĂ©raldique licorne, symbole de la virginitĂ© et de la religion, fĂ»t vigilante et bonne gardienne, Ă©cartĂąt, selon la vieille crĂ©ance, les malĂ©fices et le poison. Elle atteste, du moins, par sa prĂ©sence la noblesse et la puretĂ© de lâhĂ©roĂŻne. Seule une vierge, en effet, pouvait capturer le fabuleux animal.
Quoi quâil en soit, je souhaite respectueusement Ă M. PoincarĂ© dâentendre conter cette histoire dâamour par mon Ă©minent ami Paul Truc, prĂ©fet de la Creuse. Il emportera ainsi de son passage dans la Marche, de fiĂšres et fabuleuses visions. La licorne il convient de le rappeler Ă lâoccasion dâune visite prĂ©sidentielle Ă©tait un animal tricolore â elle avait la tĂȘte rouge, la robe blanche et les yeux bleus.
LĂ©on Lafage, Le Temps, 8 septembre 1913
Les deux sĂ©ries sont-elles complĂštes ? On en discutera longtemps. M.B., qui est confĂ©rencier Ă Cluny, affirme avec force quâil manque une tapisserie de la Dame : câest que dans son esprit, il sâagissait Ă lâorigine de la dĂ©coration intĂ©rieure dâune tente et il faudrait donc deux fois trois tapisseries comme un double chemin montant vers la septiĂšme, motif central et sommet dâun ensemble qui reprĂ©sente la double voie dâune expĂ©rience mystique.
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Ce qui frappe avant tout dans le jeu de Cluny, câest lâextrĂȘme simplicitĂ© de la composition. Sur un fond rose de mille-fleurs et de cent-animaux, le sol bleu, une Ăźle bleue, comme scĂšne presque flottante de six tableaux Ă mĂȘme dĂ©cor et Ă mĂȘmes personnages : quatre arbres, des armes Ă trois croissants dâargent, une Dame et sa suivante, une licorne et un lion. Câest tout. Les arbres sont : chĂȘne et houx, pin et oranger, toujours groupĂ©s dans des bouquets diffĂ©rents Ă deux Ă©tages. Au centre de la tapisserie, la Dame, jeune, svelte, vĂȘtue avec somptuositĂ©, entourĂ©e Ă sa droite par le lion, Ă sa gauche par la licorne; les deux animaux supportant Ă©cus, banniĂšres ou pennons, aux armes identifiĂ©es comme Ă©tant celles de la famille Le Viste.
Sur la premiĂšre tapisserie : le goĂ»t, la servante soulĂšve avec peine une Ă©norme coupe de friandises, vers laquelle la Dame distraite tend sa main droite; mais son attention semble captivĂ©e par la perruche posĂ©e sur sa main gauche gantĂ©e et au-delĂ , par la licorne saillante. De toutes les tapisseries, cette premiĂšre est la plus mouvementĂ©e, comme si tous les souffles de la vie, peut-ĂȘtre de la passion, en parcouraient encore lâatmosphĂšre. Les animaux hĂ©raldiques se dressent presque furieusement, leur mantelet vole, comme vole le voile protĂ©geant la chevelure de la Dame; la perruche elle-mĂȘme bat des ailes, comme pour trouver sur le perchoir du doigt un Ă©quilibre difficile. Cependant, derriĂšre la Dame, une jeune licorne, si jeune que la dĂ©fense est encore invisible, dĂ©tourne la tĂȘte.
Dans la deuxiĂšme tapisserie : lâodorat, lâatmosphĂšre est dĂ©jĂ calme; le visage empreint dâune Ă©trange rĂȘverie, comme si venant de loin son imagination allait plus loin encore, la Dame a pris, sur le plateau que tend la servante, un Ćillet quâelle ajoute Ă une couronne de fleurs, au bĂąti fait de fils dâor. A lâarriĂšre-plan, sur un tabouret, un singe imite les gestes de sa maĂźtresse, en jouant dâune fleur prise dans le panier tressĂ©.
TroisiĂšme tapisserie : le toucher. La servante a disparu de la scĂšne; le lion et la licorne sont porteurs des Ă©cus dâarmes et semblent ne plus savoir quoi faire de leurs « mains ». La Dame, trĂšs droite, presque figĂ©e en majestĂ©, couronnĂ©e, et les cheveux flottant jusquâaux reins, soutient de sa droite le pennon Ă trois croissants dâargent et, de sa main gauche, touche la corne de la licorne qui lĂšve vers elle un regard de soumission.
Dans la quatriĂšme tapisserie : lâouĂŻe, rĂšgne la paix par lâharmonie; la licorne est couchĂ©e, le lion calme sur son sĂ©ant. Câest que la Dame debout joue dâun orgue portatif, au buffet ornĂ© Ă©galement dâun lion et dâune licorne dâivoire, tandis que la servante actionne les soufflets de lâinstrument.
CinquiĂšme tapisserie : la vue. La servante a de nouveau disparu; câest la mĂȘme atmosphĂšre solennelle que dans la troisiĂšme piĂšce : celle de la cĂ©lĂ©bration dâun rite de silence et de solitude. La Dame assise prĂ©sente son miroir Ă la licorne accroupie qui sây contemple et a posĂ© ses antĂ©rieurs sur les genoux accueillants; le lion, en alerte, semble regarder ailleurs, par discrĂ©tion.
Ce calme solennel perdure dans la sixiĂšme tapisserie : mais le dĂ©cor a changĂ©. Les dimensions semblent agrandies. Une tente se dresse au fond, mouchetĂ©e dâhermines;· ses cordages fixĂ©s aux troncs du pin et du houx. La Dame, plus magnifiquement vĂȘtue que jamais, quelques cheveux Ă©pars sur les Ă©paules, les autres en bandeaux retenus par un harnais de perles que surmonte une aigrette, dĂ©pose, dans le coffret que lui prĂ©sente sa servante, sa parure de roses ciselĂ©es quâelle va recouvrir dâune bandelette de lin. Son cou, pour la premiĂšre fois, est nu; son regard est dans le vague; câest presque en hĂ©sitant, dirait-on, quâelle se dĂ©pouille ainsi de ses premiers atours.
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Oui, cette derniĂšre tapisserie exprime une hĂ©sitation essentielle, lâinstant dâun choix fondamental. Oui, la Dame enfin sâapproche avec majestĂ© de soi-mĂȘme, Ă lâentrĂ©e de cette tente dont les deux animaux hĂ©raldiques mi-dressĂ©s, retiennent les pans. Sur le bandeau frontal, quatre mots ont Ă©tĂ© brodĂ©s Ă MON SEUL DĂSIR.
Bertrand dâAstorg, Le Mythe de la dame Ă la licorne, 1963.
Elles sont six : six tapisseries qui se regardent en demi-cercle. Câest du rouge, du bleu, du jaune, du vert, du rouge surtout, un rouge qui vous prend les yeux. Ce sont des femmes sur des Ăźles : une grande solitude fĂ©minine â une solitude qui a lâair enchantĂ©e. Elles sont lĂ , toutes les six, et Ă travers ce rouge, ce bleu, ce jaune, ces visages et ces archipels, ce qui vous saute aux yeux, dâune maniĂšre opulente, câest la poĂ©sie. Vous ne saisissez pas bien de quoi il sâagit, tout ce rouge, ces gestes de femmes, ces animaux, ces bijoux, ces armoiries. Les dĂ©licatesses foisonnent, elles volent partout. La tĂȘte vous tourne. Vous sentez que vous en aurez pour des heures, des journĂ©es entiĂšres Ă goĂ»ter ce luxe. Vous cherchez la bonne distance pour les regarder. Il y a de petits bancs au milieu de la salle. Vous vous asseyez.
à chaque fois, sur fond rouge, une ßle bleu indigo, et les personnages sont là : il y a la dame, blonde aux yeux bleus, longiligne, le grand front clair des vierges flamandes, les cheveux en cascade tressés de ruban de soie et de perles, le buste étroit. Elle est couverte de satins, de velours, de diadÚmes, et ses tenues de brocart ont des entrelacs de fleurs et de feuilles.
Il y a une servante, il y a un lion et une licorne, de petits animaux, et des gestes qui composent Ă travers des buissons de signes une scĂšne oĂč vient se tramer, silencieusement, un mystĂšre. Un oranger, un chĂȘne, un pin, un buisson de houx encadrent Ă chaque fois la tapisserie. Un blason â « de gueules Ă la bande dâazur chargĂ©e de trois croissants montants dâargent » â occupe les banniĂšres, les Ă©tendards, les Ă©cus, les capes dâarmes. Et des fleurs : roses, myosotis, jacinthes, pĂąquerettes, ancolies, campanules, pensĂ©es, soucis, Ćillets, marguerites, violettes, forment un jardin de couleurs.
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On ne sait pas grand-chose de ces tapisseries, cette ignorance mâa toujours plu. On ne connaĂźt pas le nom du cartonnier qui a peint les six jeunes femmes, ni celui des maĂźtres lissiers qui ont transformĂ© les cartons en merveille de laine et de soie. On pense que les cartons viennent de Paris; et que la tenture a Ă©tĂ© confectionnĂ©e dans un atelier flamand, Ă Bruxelles peut-ĂȘtre, ou aux PaysBas, entre 1484 et 1500. On a pensĂ© que Charles le TĂ©mĂ©raire lâavait commandĂ©e pour son mariage avec Marguerite de York, mais non : il sâagirait dâun bourgeois lyonnais, prĂ©sident Ă la cour des aides de Paris, Jean Le Viste.
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Ce que raconte la Dame Ă la licorne? Rien, elle ne raconte rien. Ceux qui sâĂ©chinent Ă y dĂ©chiffrer une intrigue, Ă recomposer un rĂ©cit qui donnerait un ordre aux gestes des dames, et une signification, oublient que la solitude est semblable au dĂ©sir : elle est libre. On ne la raconte pas comme une histoire. Elle dĂ©borde le cadre, ou alors se fait si mince quâaucun dĂ©but ni aucune fin ne la limite. Le temps apparaĂźt quand on ne lâemploie pas. Câest alors quâil donne Ă voir, et câest prĂ©cisĂ©ment ce quâon voit sur les tapisseries : une femme dans le temps. Ă QUOI ELLE PENSE, câest le sujet de la tenture.
Yannick Haennel, à mon seul désir, 2004