L’autre Bruno
The Other Bruno

L’autre Bruno, Bruno Cathala, vient de recevoir le plus prestigieux des prix ludiques, et le seul sans doute qui ait un impact mesurable sur les ventes, le Spiel des Jahres, pour son jeu Kingdomino, édité par Blue Orange. Bruno est un auteur talentueux avec qui j’ai beaucoup travaillé, que j’ai aidé et qui m’a aidé. Cela m’a donc semblé une bonne occasion de faire un petit article sur lui, ses créations et nos collaborations. J’aurais pu l’interviewer comme je l’ai fait souvent ces derniers temps avec les illustrateurs, mais j’imagine qu’il a déjà une douzaine de demandes d’entretiens. J’ai donc décidé non pas de faire les questions et les réponses mais de raconter ses jeux par le petit bout de ma lorgnette.

Jamaica avec, entre autres, Serge Laget et Christian Martinez.

J’ai connu Bruno Cathala au début des années 2000. Le monde et le marché du jeu de société n’étaient pas encore ce qu’ils sont devenus aujourd’hui, mais j’y étais déjà un peu connu et recevais déjà, de temps en temps des emails de jeunes auteurs cherchant à avoir un avis sur leurs créations ou se demandant comment contacter les quelques éditeurs. Bruno avait conçu deux jeux de cartes. Du premier, je ne me souviens que du thème, des vers dans des pommes. C’est le second, Sans Foi ni Loi, qui me plut vraiment et que je décidai de montrer à l’équipe de Jeux Descartes, qui venait de publier quelques un des mes jeux. Il faut dire que, de toutes les créations de Bruno Cathala, cela reste celle qui ressemble le plus à un jeu de Bruno Faidutti.


Bruno Cathala présente Guerre & Beeh

Le contact se fit fort bien, Bruno signa pour son jeu de cow-boys, et conçut dans la foulée pour le même éditeur une série de petits jeux à deux joueurs qui furent les premiers parus, Drake & Drake, Tony & Tino et Guerre & Beeh, ce dernier étant mon préféré.


Sébastien Pauchon et Bruno Cathala jouent à l’une des premières versions de Senji

Quelques années plus tard, Bruno qui était ingénieur dans l’industrie perdait son emploi et décidait de se consacrer à plein temps à la création ludique. S’il avait établi des relations solides et amicales avec les éditeurs français, et en particulier Days of Wonder, il n’avait pas encore de grand succès. C’était donc un pari très risqué, qui lui valut quelques années de vaches maigres avant de rencontrer le succès grace à Mr Jack, Les Chevaliers de la Table Ronde, puis surtout Five Tribes et de pouvoir vivre à peu près correctement de ses droits d’auteur.


Bruno Cathala et Antoine Bauza, un peu fatigués après une longue journée de travail.

Il reste que Bruno, s’il sait prendre des risques, est quelqu’un d’anxieux, et même parfois d’un peu anxiogène. Il y a quelques mois encore, il me disait encore s’inquiéter de ne pas avoir, comme moi avec Citadelles, de jeu dont il soit sûr qu’il sera encore là dans dix ans. Je lui avais répondu que Kingdomino, simple et élégant, pourrait bien être le « classique » qui manquait à sa ludographie. Il semble que le jury du Spiel des Jahres partage mon opinion.


Le prototype de Five Tribes

C’est d’autant plus remarquable que Kingdomino n’est pas seulement un excellent jeu, c’est aussi un jeu typiquement cathalesque. Les règles en sont simples mais laissent la place à bien des subtilités dans le choix et le placement des dominos, qui relève de la tactique, de la stratégie et parfois de la prise de risque. Le hasard, présent dans les dominos disponibles à chaque tour, est fortement contrebalancé par un astucieux système d’ordre du tour. Les dominos dessinent en outre des plateaux quadrillés, très abstraits, comme dans la plupart des jeux de Bruno, qui semble ne pas apprécier les hexagones (peut-être parce qu’il est le seul auteur de jeu à utiliser Powerpoint pour dessiner ses prototypes). Kingdomino est un jeu très tactique, un peu calculatoire, mais chacun construit son domaine dans son coin, et ce n’est donc pas un jeu méchant. Si j’avais fait ce jeu, j’aurais ajouté des catapultes pour détruire les maisons, des saboteurs pour inonder les plaines adverses et mettre le feu aux forêts, et du coup je n’aurais pas eu le Spiel.

Le succès de Kingdomino a poussé Bruno à concevoir une version plus sophistiquée et plus stratégique, de son jeu. Queendomino, le Kingdomino advanced, devrait paraître dans les mois qui viennent.


Bruno Cathala et Serge Laget

Bruno et moi avons des styles très différents. Mes jeux sont en général plus chaotiques, plus interactifs, les siens plus tactiques, plus équilibrés, plus proches de ce qu’il est convenu d’appeler l’école allemande.


Un prototype mystérieux avec Yoann Levet

Nous avons cependant en commun d’apprécier le travail à plusieurs, et surtout d’apprécier travailler en duo, et le plus souvent des auteurs au style bien différent du nôtre. Tout comme moi, Bruno a donc collaboré avec de nombreux autres auteurs de jeux, vieux de la vieille ou petits jeunes. Il a fait entre autres Les Chevaliers de la Table Ronde et Senji avec Serge Laget, Cyclades, Mr Jack et Dice Town avec Ludovic Maublanc, Le Petit Prince et Seven Wonders Duel avec Antoine Bauza, Abyss et Kanagawa avec Charles Chevalier, Yamataï avec Marc Paquien, Histrio avec Christian Martinez, Manchots Barjots avec Matthieu Lanvin, et je pourrais continuer la liste.


Bruno joue à l’un des premiers prototypes de Takenoko avec Antoine Bauza. Un éditeur passe…

Je me permettrai d’être plus exhaustif sur les jeux que nous avons commis ensemble. Les plus connus sont sans doute Mission: Planète Rouge, qui est surtout un jeu de Bruno Faidutti, et Raptor, qui est surtout un jeu de Bruno Cathala, mais il y a aussi Le Collier de la Reine, La Fièvre de l’Or, Tomahawk, et ceux dont vous n’avez jamais entendu parler, Chicago Poker, Iglu Iglu, Ostriches et Piraci.

Je vois moins Bruno depuis que je suis redevenu parisien, et nous n’avons pas de projet commun en cours, mais il reste un habitué, chaque printemps, de mes rencontres ludopathiques, dont il n’a raté à ce jour – c’est lui qui me l’a assuré – qu’une seule édition, celle de 2017. Du coup, je sais où aller chercher des photos pour illustrer cet article.


Raptor


The other Bruno, Bruno Cathala, has just been awarded the most prestigious of all board game awards, and the only one with a measurable impact on sales. The German Spiel des Jahres goes to Kingdomino, published by Blue Orange. Bruno is a talented and friendly designer with whom I really enjoy working. This sounded like a good opportunity to write a short blogpost about him, his games, and our collaboration. Interviewing him, like I usually do with illustrators, would certainly have been a bad idea when he probably already has a dozen requests for interviews here and there. That’s why I’ve rather decided to tell his story from my point of view.


Shadows over Camelot prototype

I first heard of Bruno Cathala around the year 2000. The board gaming world and market was much smaller than it has become since, but I was already one of its minor celebrities and used to receive emails from young wannabe designers asking for an advice about their designs or for ways to contact the few publishers. Bruno had designed two card games. Of the first one, I only remember the theme, worms eating apples. The second was a wild west themed card game which I liked it enough to show it to Jeux Descartes, who had just published three small card games of mine. No wonder I liked it, it’s probably the Bruno Cathala game which feels most like a Bruno Faidutti game.
It went very well. Bruno signed for his cow boy card game, Lawless, and almost at once for three small two player boardgames, Drake & Drake, Tony & Tino and War & Sheep – the latter being a personal favorite.


Playtesting Atlas & Zeus with Oriol Comas

A few years later, Bruno, who worked as an industrial engineer, lost his job and decided to design games full-time. Though he already had solid and friendly relations with some French publishers, especially Days of Wonder, he had no real hit under his belt yet, and it was risky move. He had a few lean years before he could live correctly off his royalties, thanks to Mr Jack, then Shadows over Camelot, and most of all Five Tribes.


Playtesting Noah

Bruno can take risks, but he is an anxious guy, sometimes even an anxiogenic one. I remember him a few months ago telling me he was worried not to have a regular seller like my Citadels, a game which had good odds to be still there ten years from now. I had answered him that Kingdomino, a game simple, elegant and deep, could well be the « classic » missing from his ludography. It looks like the Spiel des Jahres jury agrees with me.


Dice Town‘s prototype

What makes it even more of an achievement is that Kingdomino is not only a great game, it’s the archetypal Cathala game. It has simple rules, but some tactical and strategic depth in choosing and placing one of the available dominoes. The luck of the draw of the available tiles is balanced by a clever turn order system. Tiles create near abstract square-patterned domains, like in many of Bruno’s games, since he is very reluctant to use hexagons (may be because he draws his prototypes using Powerpoint). Kingdomino is tactical and computational, but every player computes in his own small kingdom, with no mean and direct interaction. If I had designed this game, it would have had catapults to destroy houses and saboteurs to flood plains and set fire to forests, and I would not have gotten the Spiel.

After Kingdomino‘s success, Bruno has designed a more sophisticated and strategic variant. Queendomino, the advanced Kingdomino, will be published in the coming months.


Bruno Cathala & Gwenaël Bouquin

Bruno and I have different styles. My games are more chaotic and mean, his are more tactical, balanced, more in the « german school » of game design. We have however, one important thing in common, we like teamwork, and especially we enjoy four-handed design with designers having a style different from our own.


Ludovic Maublanc tries very hard to look serious.

Like me, Bruno has collaborated with many other game designers, seasoned old timers like young wannabe enthusiasts. He designed, among many others, Shadows over Camelot and Senji with Serge Laget, Cyclades, Mr Jack and Dice Town with Ludovic Maublanc, The Little Prince and Seven Wonders Duel with Antoine Bauza, Abyss and Kanagawa with Charles Chevalier, Yamataï with Marc Paquien, Histrio with Christian Martinez, Zany Penguins with Matthieu Lanvin, etc.


An early prototype of Yamatai. Yes, there are camels and palm trees, the action takes place in ancient Egypt.

Let me be more exhaustive about what we’ve done together. The best known of our common designs are probably Mission: Red Planet, which is more a Faidutti game, and Raptor, which is more a Cathala one, but there are several other ones, Queen’s Necklace, Boomtown, Tomahawk and those you’ve probably never heard about, Iglu Iglu, Chicago Poker, Ostriches and Piraci.

Since I’m back in Paris, I don’t see Bruno as often as I used to when I lived in the South of France, but he still regularly attends my ludopathic gathering every spring. He missed it this year for the first time, or so he says. This means I know where to look for pictures to illustrate this blogpost.

6 thoughts on “L’autre Bruno
The Other Bruno

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