Règles en “français”
French Rules

Shaman 1

Je me suis fait quelques ennemis, il y a quelques semaines, en pestant contre le vocabulaire inadapté utilisé par certaines revues et sites webs pour parler des jeux de société. Je pense que ce vocabulaire fait obstacle à la reconnaissance sociale, et éventuellement juridique, de la nature culturelle du jeu, et donc du travail de tous ceux qui en vivent, à commencer par les auteurs.
Je vais m’en faire d’autres aujourd’hui en pestant, cette fois, contre quelques éditeurs dont le comportement pose très exactement les mêmes problèmes.

Les éditeurs nous ont énormément aidés, notamment en prenant peu à peu, et de très bonne grace, l’habitude de mettre nos noms sur les boites de jeu, à la manière de ce qui se fait pour les romans. Nous ne les en remercierons jamais assez, car rien n’a sans doute autant contribué au début de reconnaissance de notre métier. Cela impliquait pour eux de sacrifier, au moins en partie, l’idée que l’identité d’un jeu était d’abord celle de son éditeur, comme c’était encore souvent le cas dans les années soixante-dix et quatre-vingt, et de renforcer un peu la position des auteurs indépendants. Les éditeurs aussi, cependant, avaient et ont encore tout à gagner à ce que le jeu soit reconnu comme ce qu’il est, un univers culturel au même titre que la littérature ou le cinéma, tout en styles et en références.

Il est pourtant un autre domaine où, peut-être parce que cela demande un peu plus de travail et d’attention, j’ai l’impression que la situation tend plutôt à se dégrader, c’est celui de la rédaction des règles. Je ne parle pas ici de la précision technique, de l’exactitude, qui est essentielle mais qui aujourd’hui, à quelques rares exceptions près, ne pose plus vraiment de problèmes. Je parle du style, de la fluidité, du vocabulaire, parfois même simplement de l’orthographe et de la grammaire. Comment peut-on espérer faire accepter le caractère culturel du jeu, ou même simplement faire partager notre passion à ceux qui n’en connaissent rien, lorsque les règles sont écrites dans un style ampoulé et verbeux, ou sont traduites mot à mot de l’anglais ou de l’allemand.

Aujourd’hui, il est certains éditeurs – enfin, un surtout, pourtant francophone et épris de sagesse – dont j’essaie de me procurer les jeux en version anglaise plutôt que française, quitte à payer une dizaine d’euros de plus. Je crains en effet de ne pas oser sortir la boite en « français » devant mes amis, car je risquerais de leur donner l’impression que le monde du jeu est un univers de marchands de savon incultes n’ayant qu’une très vague idée de la syntaxe et de la grammaire française. C’est aussi vrai de certains sites webs, mais ils sont de moins en moins nombreux et fréquentés surtout par les passionnés. Je remarque d’ailleurs que celui auquel je faisais régulièrement ce genre de reproche – Tric Trac – a fait d’énormes progrès.

Il y a une dizaine d’années, nous nous moquions fréquemment des traductions incompréhensibles des jeux de Queen Games, mais pour en avoir vu quelques uns récemment, je constate qu’ils ont fait d’énormes progrès – j’ignore s’ils sont liés au rapprochement avec Asmodée. D’autres éditeurs plus ou moins lointains continuent à nous livrer des traductions assez exotiques, mais ce n’est pas le plus choquant. Les règles écrites en français fautif ou maladroit peuvent aisément être pardonnées aux éditeurs étrangers, on peut même en sourire. Chez des éditeurs français (ou francophones), cela m’enrage car cela montre un certain mépris des joueurs. C’est aussi un coup de poignard dans le dos des auteurs et de tous ceux qui, quotidiennement, défendent la nature culturelle de notre loisir.

Si nous voulons que notre passion soit respectée, nous avons tous, joueurs, éditeurs, illustrateurs, auteurs, intérêt à ce qu’elle soit le plus « présentable » possible. Cela suppose d’utiliser pour en parler le vocabulaire de la culture et non celui du commerce ou de la technique – critique et non test, auteur et non inventeur. Cela suppose aussi de montrer que nous avons un certain respect pour les jeux, en évitant les règles pleines de fautes et les traduction bâclées.

Donc, mesdames et messieurs les éditeurs, un peu de constance et de cohérence ! Vous mettez nos noms sur les boites, et les jeux nous représentent donc un peu. Faire relire un texte, ça ne coûte pas bien cher, et ça ne prend pas beaucoup de temps. Et je vous signale, pour ne reprendre que quelques unes des erreurs les plus fréquentes dans les règles de jeux, que l’on ne peut pas choisir une carte au hasard, que si un jeu est asymétrique les camps ne sont que différents, qu’après que est suivi de l’indicatif, et qu’infinitif, impératif et participe passé ne sont pas librement substituables l’un à l’autre.

Shaman 2

I already made myself a few enemies a few weeks ago with my blogpost protesting against the faulty vocabulary used by some French magazines and websites to discuss boardgames. I explained why the use, for example, of « test » instead of « review » could hinder the social, and possibly legal, acknowledgement of the cultural nature of games, and therefore of the work of all the people in the game business, first and foremost the game designers.   II’ll probably have a few more enemies after this new blogpost in which I protest against the behavior of some publishers, which could have the same effect.
We are all very grateful for the way publishers helped us with gracefully accepting to put the names of the designer on the game boxes, as it is done for books. Nothing could have helped more to the social recognition of our job. It was, at least in the short term, a sacrifice for them, because it meant the identity of a game was not first its publisher, like it has often been so far, and because it strengthened the position of independent game designers. Publishers knew, however, that in the long run, they had some interest in having games recognized as cultural items, like books and movies.

(The following reproaches are targeted only at French, or French speaking, publishers. I don’t have enough English to judge of the elegance of rules written in this language)

Unfortunately, there’s another issue where publishers are not helping, may be because it requires more actual work and dedication, it is the way rules are written. I’m not speaking of technical accuracy and exactness of the rules, which is now rarely an issue. I’m talking of style, elegance, and sometimes even orthography and grammar. How can we hope to have the cultural nature game socially recognized, or simply to lure more people into our hobby, when rules are heavily and pompously written, or when they are translated word-to-word from English or German.

There are a few French speaking publishers (especially one, who’s supposed to love wisdom) whose games I try to buy in English, even if it costs me a dozen euros more. I’ve had a few bad experiences with « French » editions which I didn’t dare to play with my friends because I didn’t want to give the impression that the board gaming world was made of unread people with only a very vague idea of French grammar and syntax. This is also true of a few websites, but it’s not that important when only hardcore gamers visit them. The website I used to criticize for this few years ago, Tric Trac, has made tremendous progress

Ten years ago, we used to mock the meaningless rules translation of the Queen games. I’ve bought a few ones recently, and they too have made much progress, may be due to the help of Asmodée. Other foreign publishers still give us more or less exotic translations, but it’s not such a big issue. I easily forgive them their heavy or faulty French, and it even makes me smile. Similarly, I hope my English readers also smile at my clumsy English.
It makes me angry when it comes from French or French-speaking publishers, because it’s disdainful of gamers. It’s also a stab in the back of game designers, and of all those who want a full cultural recognition of our hobby.

If we want our hobby to be considered, we must all – gamers, publishers, illustrators, game designers – make it as presentable, as nice looking as possible. This means that we must talk of it with the cultural vocabulary and not the technical or commercial one, and use, for example, review and not test. This also means that we must show some respect for the games, and try to avoid pompous or clumsy rules and rules translations.

So, dear publishers, please be consistent. Our names are on the boxes, so the games more or less represent us. Proofreading is not very expensive, and doesn’t take much time.

10 thoughts on “Règles en “français”
French Rules

  1. Bonne année

    Sa sé bin vré, l’hortograf franséz é maleureuseuman pa toujour raispaicté !

    Le premier vrai contact qu’a le joueur avec un jeu (mis à part la beauté graphique de l’ensemble), c’est en lisant la règle. C’est dans les premières minutes qu’un jeu sera choyé ou stigmatisé. Il m’est déjà arrivé d’oublier un jeu sur un coin d’étagère car la règle était imbuvable, mal expliquée, et remplie de fautes d’orthographe indignes d’un enfant de 10 ans (disons 12).

    Parfois, je sens confusément que le jeu en vaut la chandelle, alors je lis et relis pour comprendre. Quelquefois, je vais sur Internet chercher le détail sur lequel je butte. Je trouve souvent dommage d’aller lire la règle en anglais ou en allemand pour bien comprendre certains passages. Moi, ça va, j’arrive à lire diverses langues européennes, mais ma chère femme en est incapable, et elle n’est pas la seule.

    Quand on rédige une règle, il faut la policer, la réécrire jusqu’à ce que le texte soit limpide, spontané. Et ça demande du travail, je sais. Quelque part, c’est un réel travail d’auteur (ce qui fera plaisir à quelqu’un, je crois 🙂 )

    Bonne continuité et plein de nouveaux jeux pour 2016 🙂

  2. M. Faidutti,

    Merci pour cet article fort instructif (et tout à fait sensé -avec un s). Je suis traductrice et passionnée de jeux de société. Je me disais justement que pour 2016, je me lancerais (conditionnel) bien dans la traduction des règles de jeux de société, car traductrice ET joueuse, ça ne peut être (sans trait d’union) qu’un avantage, pas vrai ? Et ça me passionnerait ! Bon, j’ai cru comprendre que pour la rémunération, ce n’était peut-être (avec trait d’union) pas encore très avantageux… mais bon, soit. Seulement… Je ne sais pas trop à qui m’adresser. J’ai fait mes recherches, j’ai bien quelques adresses, mais si vous en aviez quelques autres à me suggérer, je les accepterais bien volontiers 😉

    Bonne année ludique 2016 !

    Hélène

  3. @Hélène
    Bon courage dans tes recherches. Je confirme que ce n’est pas un marché très porteur ni très lucratif (on n’en vit clairement pas à 100%). Tu peux essayer de démarcher les éditeurs, mais beaucoup n’ont pas les moyens (pensent-ils) de rémunérer correctement une traduction et travaillent souvent “en interne” (pour des résultats en effet parfois discutables). Il faut aussi savoir que c’est un type de traduction avec de fortes contraintes : – travail souvent à reprendre plusieurs fois parce que la règle originale continue parfois à évoluer en parallèle de sa traduction (une façon de bosser absurde, qui est source d’erreurs, mais c’est comme ça) – il faut aussi être très concentré sur le gameplay lui-même pour débusquer les incohérences, les contresens et les imprécisions (en termes de mécanique et donc aussi de langue), ce qui implique de nombreux aller-retour avec l’éditeur, voire plusieurs éditeurs différents (or ils ne sont pas tous forcément très disponibles ni très réactifs).
    Bref, c’est une activité sympa quand on est passionné (et atypique pour un traducteur pro) , mais qui peut s’avérer très galère, et du coup, peu rémunératrice étant donné les efforts consentis…

  4. Puisque vous en parlez, M. Faidutti, le “endormissez” de Raptor – excellent jeu au demeurant – m’a bien fait mal aux yeux ! (C’est peut-être ce qui a provoqué cet article ?)

  5. Je ne peux que partager l’analyse et les regrets qu’elle inspire.
    Toutefois je “séquencerais” (oui je sais ce n’est pas français) les choses en deux parties :
    – les traductions qui donnent des règles déformées, erronés voir injouables
    – les traductions (ou règles de base d’ailleurs) qui permettent de jouer correctement mais dans un français approximatif (au mieux) et une orthographe calamiteuse.
    Le premier point DOIT être fait par un joueur pour éviter ces non sens.
    Le second point peut être traité par une personne qui ne joue pas forcément mais relis les documents avec un regard de “correcteur” comme chez un éditeur de livres.
    Tout ceci n’évitant pas les possibles coquilles chez l’imprimeur évidemment.

    Quelques réflexions sur le pourquoi (peut-être) qui expliquent sans justifier :
    – quel est le statut des traducteurs ? Salarié ? “payé” en boites de jeux ou bon d’achat ?
    – Combien donne-t-on de temps au traducteur pour effectuer sa tâche ? Du moins après que les règles définitives aient été définies ?
    – Peut-il toujours jouer au jeu dont il traduit la règle ?
    – Si son nom (comme celui de l’auteur et de l’illustrateur) apparaissait dans le jeu (à la fin des règles ?) il y aurait une certaine responsabilisation devant le travail fourni.
    – Qui valide les BAT dans les diverses langues ?

    Merci pour ces sujets qui tendent vers une exigence de qualité dans la production du jeu de société.

      • Mmmmm… Au temps pour toi, plutôt !

        Je me permets car j’ai longtemps commis l’erreur 😉

      • Là, c’est volontaire, et ce n’est pas une erreur. L’origine de l’expression est discutée, et selon celle que l’on tient pour bonne, l’orthographe est différente.

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