Le jeu, les femmes et la grammaire
Games, women and grammar

Mon dernier article, sur les femmes et le jeu, m’a valu de nombreuses réactions, et quelques discussions intéressantes sur le point, assez amusant, de la rédaction des règles. De nombreux éditeurs américains se sont mis à utiliser le féminin « she » dans leurs règles de jeu en lieu et place du masculin « he » pour désigner le joueur (ou la joueuse). Cette tendance est d’autant plus étonnante que l’anglais permet, bien plus facilement que le français, le recours à des formules neutres, notamment en utilisant « one » ou « they » , qui n’ont pas de genre défini. Surtout, les règles rédigées en utilisant « she » donnent à la lecture une impression un peu forcée, peu naturelle – ce qui n’a rien d’étonnant, puisque l’écriture en a aussi été forcée et peu naturelle.
En français, la tendance est moins nette, mais il m’est arrivé de lire des règles précisant systématiquement « il ou elle » là où, il y a quelques années, il ne serait venu à personne l’idée d’utiliser autre chose que « il ».

Cette tendance me semble regrettable, et même contre-productive. Bien sûr, le fait que la plupart des langues occidentales – j’ignore ce qu’il en est des autres – utilise le plus souvent le genre masculin lorsqu’un choix serait logiquement possible, est l’expression historique de la domination masculine. La grammaire et le vocabulaire français sont, de ce point de vue, particulièrement édifiants, avec le masculin qui l’emporte sur le féminin dans les pluriels et les généralisations, et les intitulés des professions qui sont très souvent uniquement masculins, et de plus en plus quand on monte dans la hiérarchie. Cela signifie-t-il qu’il faille écrire systématiquement « le joueur ou la joueuse » au lieu de « le joueur », « l’auteure » au lieu de « l’auteur » quand on parle d’une femme ? Surtout pas, et pour quatre raisons.

D’une part, si malgré les nombreux progrès récents, les femmes peuvent légitimement se sentir opprimées par le machisme ambiant, par la division sexuelle des tâches, par le fonctionnement du système éducatif ou celui du marché du travail, je ne peux m’empêcher de penser qu’il faut une certaine dose de paranoïa pour se sentir opprimée au quotidien par la grammaire française (ou anglaise).
D’autre part, si ces vieilles règles de grammaire ont de toute évidence un caractère sexiste, c’est un sexisme fossilisé, un souvenir de l’histoire de la société plus qu’un mécanisme efficace de son fonctionnement présent. Ce fossile, ce souvenir du passé, il vaut mieux le conserver pour savoir d’où l’on vient, pour s’en moquer à l’occasion, que chercher à l’effacer.
Ensuite et surtout, si sur le long terme les réalités sociales et culturelles informent plus ou moins subtilement la langue, je ne pense pas qu’à court terme une modification volontariste et artificielle de cette langue ait le moindre effet sur les réalités sociales. Cela risque même de détourner des vrais problèmes de notre société, qui ne sont pas vraiment grammaticaux, et le côté un peu forcé de ces changements peut paradoxalement avoir l’effet inverse de celui recherché.
Enfin, écrire “auteure” ou “autrice” au lieu de “auteur”, ou même simplement “joueuse” au lieu de “joueur” revient, en bonne logique différentialiste, à prétendre que le genre de l’auteur ou du joueur a une importance si fondamentale que cela doit être toujours précisé, et donc que le jeu en est inévitablement différent. Je ne pense pas que ce soit le cas, pas plus en tout cas que pour l’âge, le background social ou culturel, voire la pathologie psychiatrique des joueurs et des auteurs, pour lesquels la grammaire ne prévoit rien.

Bref, je veux bien faire un effort pour écrire en anglais des règles aussi neutres que possible, en utilisant chaque fois que cela est possible one ou they au lieu de he et one’s ou their au lieu de his, car cela reste à peu près naturel – et est même parfois plus élégant. En revanche, je n’allongerai pas mes règles françaises en parlant de joueurs et de joueuses, et je préfère causer et travailler avec des auteurs, hommes ou femmes, qu’avec des auteurs et des auteures.


My last article about women in gaming was the occasion for a few interesting discussions, the most amusing ones being about writing rules, both in French and in English. Several US publishers have started using the feminine “she” instead of the masculine “he” in their rules to designate the standard player, who can be either male or female and is still most times male. What makes this even more surprising for me is that it’s easier in English than in French to use genderless expressions, such as “one” or “they”. Rules which refer to the player as “she” always feel a bit strained and artificial, which is not surprising since their writing was strained and artificial.
It’s not yet as usual with French games, but there’s a starting trend and I’ve already read several rulesets using “il ou elle” (he or she) where, a few years ago, no one would have even thought of writing anything else than “il”.

I think it’s wrong and probably counter-productive. Obviously, most western languages – I don’t know how it is with non western ones – have some sexist features which are the historical result of male domination. The plural of gender-mixed groups is always masculine, and most job names, especially the most prestigious ones, have only masculine forms. Does this mean that I ought to write systematically “le joueur et la joueuse” instead of “le joueur” (the player), or “l’auteure” (recently invented feminine form) instead of “l’auteur” (the author) when writing about a female game designer ? I don’t think so, for four different reasons.

First. Even when there has been some obvious progress in the recent years, women can still legitimately feel oppressed by the male chauvinist mood, by the division of daily task, or by subtle discrimination in the job market or the education system. I can’t help feeling, however, that there is something paranoid in feeling daily oppressed by French (or English) grammar.
Second. These very old grammar rules are sexist, but they are the fossilized form of past sexism, an image of old times society and not necessarily of the way it works now. Better keep this fossil, as a reminder of where we come from, and mock it from time to time, than try to discard and ignore it.
Third. If, in the long run, social and cultural realities certainly shape the language, I don’t think that, in the short run, any voluntarist and artificial change in the language can have any effect on social realities. It can even divert attention from our real problems, which have little to do with grammar. When these changes feel too strained and prescribed, they can even have a paradoxical effect.
Last, writing “auteure” instead of “auteur”, ‘joueuse” instead of “joueur” means, according to the differentialist theory, that a game is fundamentally different depending on the gender of its author, or of the players. I don’t think it is, or at least no more than it is with age, race, cultural or social background or even pyschiatric pathology, all characteristics which are not systematically distinguished by grammar.

So, I’ll try to write my English rules using the gender-neutral “one” or “they” instead of “he” and “one’s” or “their” instead of his, because it feels natural, but I won’t use “she”. I also won’t make my French rules longer with unnecessarily complex formulas such as “joueur et joueuses”, and I’ll keep using “auteur” no matter the sex of this “auteur”.

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